Nullités de la période suspecte et connaissance de l’état de cessation des paiements, Acte II.

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

  

Source : Cass. Com. 1er avril 2014, n°13-14.086, F-P+B

 

Par un arrêt particulièrement intéressant, la Cour de Cassation semble valide la solution qui semblait se dégager de son arrêt du 19 novembre 2013, que nous avions déjà pris le soin de commenter[1] : dans le cas d’une action en nullité d’un acte conclu en période suspecte, le cocontractant n’est pas présumé connaître l’état de cessation des paiements, et les juges du fond doivent motiver cette connaissance.

 

Mais tout d’abord, nous aborderons la seconde solution posée par l’arrêt.

 

Le demandeur au pourvoi soutenait en effet que le liquidateur judiciaire n’avait pas qualité pour agir en annulation d’un acte passé en période suspecte, car il n’était pas visé comme étant l’un des titulaires de l’action dans l’article L 632-2 du Code de Commerce.

 

Cet article dispose en effet que seuls l’administrateur judiciaire, le mandataire judiciaire, le commissaire à l’exécution du plan et le ministère public peuvent introduire une telle action. Et le débiteur de soutenir que le mandataire judiciaire n’est pas le liquidateur.

 

Il s’agit là vraisemblablement, et tout au plus, d’une malfaçon rédactionnelle de l’ordonnance du 18 décembre 2008 ayant modifié l’article.

 

La Cour balaie l’argument, en retenant qu’en liquidation judiciaire, le liquidateur exerce les fonctions de mandataire, de sorte qu’il devient titulaire de l’action, par renvoi de l’article L641-14, qui rend applicable à la liquidation l’article L632-2.

 

Il s’agissait là d’un argument ayant peu de chances d’aboutir, mais la précision est notable.

 

Le second moyen mérite que l’on s’y attarde plus longuement, ce qui nécessite de s’attacher plus précisément à détailler les faits de l’espèce : un couple (commun en biens) avait constitué une SCI, à laquelle ils avaient apporté leur immeuble d’habitation. L’époux, exerçant à titre individuel, est placé en liquidation judiciaire 8 mois plus tard. Dans le jugement d’ouverture, la date de cessation des paiements est reportée 18 mois en arrière, de sorte que l’apport à la SCI constitue un acte accompli en période suspecte.

 

Le liquidateur assigne alors les époux, ainsi que la SCI, en nullité de l’acte, sur le fondement de l’article L 632-2 du Code de Commerce, afin de reconstituer l’actif du débiteur en liquidation.

 

L’action en nullité d’actes passés en période suspecte prévoit deux cas : les nullités de plein droit, et les nullités facultatives.

 

Pour être annulé de plein droit, le texte pose que l’acte doit constituer une mutation d’actif, réalisée à titre gratuit, soit un contrat commutatif déséquilibré en défaveur du débiteur.

 

En l’espèce, l’arrêt est suffisamment précis sur le sujet, pour conclure que le liquidateur n’a pas agi sur ce fondement dans la mesure où l’époux a bien reçu, en contrepartie de son apport, des titres de SCI représentant la valeur de son apport. De sorte qu’il ne s’agissait pas d’un acte gratuit. Il ressort également de l’arrêt que l’immeuble, dans le cadre de cet apport n’avait pas été sous-estimé, ne permettant pas de retenir le contrat commutatif déséquilibré.

 

La nullité de l’apport devait donc être recherchée sur le fondement des nullités facultatives de la période suspecte, qui suppose la connaissance personnelle du tiers à la procédure de l’existence d’un état de cessation des paiements du débiteur. En d’autres termes, en l’espèce, l’épouse, ainsi que la SCI, avaient-elles connaissance de cet état de cessation des paiements.

 

La Cour de Cassation prend un soin particulier à motiver cette connaissance, retenant notamment l’accumulation de dettes du couple à l’égard de l’URSSAF et de l’administration fiscale, que l’épouse ne pouvait ignorer, car faisant l’objet d’inscriptions sur l’immeuble, mentionnées dans les statuts lors de l’apport à la SCI. La Cour retient également l’absence de revenus ou de biens personnels autres que l’immeuble, qui constituait donc, pour l’époux, le seul actif disponible à l’égard de ses créanciers, ce que ne pouvait pas non plus ignorer l’épouse.

 

Et la Cour de conclure que le montage avait pour seule finalité de soustraire l’immeuble à l’appétit des créanciers de l’époux, avec la coopération de l’épouse, en connaissance de l’état de cessation des paiements avéré.

 

Cette décision s’articule parfaitement avec l’arrêt du 19 novembre 2013 évoqué préalablement, où la Cour avait posé la solution selon laquelle il ne pouvait exister de présomption de connaissance de l’état de cessation des paiements, quelque soit la qualité du tiers. En l’espèce, les juges du fond avaient retenu l’absence de connaissance par un co-gérant associé de l’état de cessation des paiements de sa société, dont il avait délaissé la gestion à raison de son opposition avec l’autre gérant. La Cour d’Appel avait dès lors refusé d’annuler le remboursement de son compte courant d’associé, au sein de la société ayant été placée en procédure collective, à la différence du remboursement du compte du cogérant aux commandes.

 

Ce nouvel arrêt est l’illustration inverse de l’arrêt du 19 novembre : au même titre que le cogérant n’est pas présumé connaître la situation de sa société, une épouse n’est pas présumée connaître l’état de cessation des paiements de son mari.

 

D’où l’attachement de la Cour à vérifier la parfaite motivation des juges du fond sur le sujet.

 

CQFD.

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocats

 


[1] cf notre article du 3 février 2014

 

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