La Cour de cassation est amenée à se positionner sur la recevabilité d’une demande de réparation, formulée par un actionnaire au titre de l’action sociale contre le dirigeant de sa société, mais aussi et surtout, contre les dirigeants de la société cocontractante.
Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 11 octobre 2023, 22-10.271, Publié au bulletin
La Cour de cassation revient une nouvelle fois sur la notion d’action ut singuli, qui permet aux actionnaires d’une société d’engager la responsabilité du mandataire en cas de fautes commises par celui-ci dans l’exercice de ses fonctions.
La jurisprudence est pléthore en la matière puisque cette notion fait régulièrement l’objet de l’actualité judiciaire, avec par exemple :
- L’indispensable désignation d’un mandataire ad hoc lorsque les associés assignent le dirigeant, compte tenu de l’évident conflit d’intérêt (https://vivaldi-chronos.com/action-ut-singuli-lindispensable-designation-dun-mandataire-ad-hoc-en-cas-de-conflit-dinteret/ )
- La problématique liée à l’action ut singuli en cas de pluralité de dirigeants (https://vivaldi-chronos.com/action-ut-singuli-et-pluralite-de-gerant-en-sarl/ )
- Ou encore l’impérative nécessité de conserver la qualité d’associé jusqu’au terme de la procédure initiée contre le dirigeant, sous peine de se voir déclaré irrecevable au cours de la procédure (https://vivaldi-chronos.com/laction-ut-singuli-et-date-dappreciation-de-la-qualite-dassocie-attention-danger/ ).
C’est dans un sens tout à fait différent que la Cour de Cassation intervient alors, par un arrêt néanmoins publié au bulletin, s’agissant alors d’une société anonyme.
Les fondements textuels divergent en fonction de la forme sociale visée. Pour les sociétés anonymes précisément, c’est l’article L 225-252 du Code de commerce qui encadre l’action ut singuli en ces termes :
« Outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, intenter l’action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués ».
Au cas d’espèce, un actionnaire minoritaire tentait d’agir au nom de la société (Société Anonyme), contre son dirigeant, mais aussi contre les dirigeants d’une autre société.
Il invoquait la nécessaire réparation du préjudice subi par la SA, du fait d’une convention réglementée conclue entre les deux sociétés, mais n’ayant pas été approuvée.
La convention en question, qui portait sur des prestations informatiques et d’assistance administrative et technique, aurait eu des conséquences préjudiciables pour la SA.
Débouté par les juges du fond, de son action en responsabilité contre les dirigeantes de la société cocontractante, l’actionnaire minoritaire se pourvoit en cassation pour tenter d’étendre le champ d’application de l’action ut singuli jusqu’ici appliquée.
Il fait grief alors à ses juges de l’avoir déclaré irrecevable « pour défaut de qualité à défendre » au motif :
« qu’en jugeant que l’action sociale intentée par un actionnaire en indemnisation des préjudices subis par la société à raison d’une convention réglementée ne peut l’être qu’à l’encontre des administrateurs et du directeur général de la société et qu’elle ne peut l’être à l’égard de toute autre personne, quand bien même celle-ci aurait la qualité de l’une des personnes énumérées par les articles L. 225-38 et L. 225-41 du code de commerce, la cour d’appel a violé l’article L. 225-41 de ce code, ensemble son article L. 225-252. »
Dans un arrêt, quoi que peu récent, la Cour de cassation avait d’ores et déjà pris position sur cette problématique. En 2019[1], par une décision inédite, les juges du Quai de l’Horloge avaient affirmé que les dispositions de l’article L225-252 du Code de commerce n’autorisaient les actionnaires à exercer l’action sociale ut singuli qu’à l’égard des dirigeants de droit de la société dont ils sont eux-mêmes actionnaires.
En l’occurrence, les actionnaires de la société mère étaient déclarés irrecevables à exercer l’action sociale contre les dirigeants de la filiale dont ils n’étaient pas directement actionnaires. La Doctrine avait de ce fait rappelé l’interprétation stricte de l’action ut singuli qui par son caractère exceptionnel ne bénéficiait pas de l’élasticité souhaitée par les demandeurs.
Sans opérer de revirement de jurisprudence, le Cour de Cassation déboute une nouvelle fois le demandeur, en considérant que :
« Il résulte de l’article L. 225-252 du code de commerce que les actionnaires d’une société anonyme ne peuvent, au nom et pour le compte de la société, intenter d’autre action en responsabilité que celle, prévue par ce texte, dirigée contre les administrateurs ou le directeur général.
6. Il s’ensuit que les actionnaires d’une société anonyme ne peuvent exercer l’action sociale en responsabilité contre les personnes intéressées au sens des articles L. 225-38 et L. 225-41 du code de commerce dès lors qu’elles ne sont pas dirigeantes de la société pour le compte de laquelle l’action est exercée.»
La Cour de cassation fait barrage à la demande d’extension du champ d’application d’une telle action et rappelle à son tour l’interprétation stricte du texte de l’article L225-252 du Code de commerce pour « intenter l’action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général » de la société, à l’exclusion de tout autre.
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