L’action UT SINGULI et date d’appréciation de la qualité d’associé : Attention danger !

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

L’associé qui exerce l’action Ut Singuli dans l’intérêt de la société n’a surtout pas intérêt à céder ses droits sociaux au cours de la procédure, sous peine de perdre sa faculté d’exercer l’action sociale, quand bien même le préjudice était né lorsque l’intéressé était encore associé.  

Source : CA Caen, 2e ch. civ., 31 mars 2022, n° 16/02837.  

La Cour d’Appel de CAEN est intervenue très récemment dans le cadre d’une action Ut Singuli, pour répondre indirectement à la question suivante :

L’associé qui a initié l’action social peut-il céder ses droits sociaux avant la fin de la procédure ?

C’est par la négative que les juges normands répondent aux intéressés. 

I – L’action Ut Singuli 

L’action Ut Singuli est un dispositif légal prévu à l’article L225-252 du Code de commerce pour les sociétés anonymes, ou à l’article L223-22 pour les SARL, qui permet à un associé d’exercer une action contre le(s) dirigeant(s), pour engager leur responsabilité, dans l’intérêt de la Société. En effet, quand ils commettent des fautes dans leur gestion, il est indispensable que quelqu’un puisse représenter la société victime directement à leur encontre.

Elle se distingue de l’action Ut Universi, qui est exercée directement par les dirigeants eux-mêmes. Ils diligentent une action ayant pour objectif d’obtenir réparation du préjudice subi par la société, mais enclenche leur potentielle propre condamnation, raison pour laquelle elle n’est que peu utilisée. Elle peut toutefois être mise en œuvre pour obtenir réparation des préjudices subis du fait des fautes des anciens dirigeants

II – Application des dispositions prévues par le Code de commerce

Dans cette affaire qui n’a pas atteint le stade de la Cour de cassation, les juges du second degré exigent que le demandeur à l’action ut singuli soit en mesure de justifier de sa qualité d’associé ou d’actionnaire s’il entend se substituer au représentant légal de la société, en vue de rechercher, au nom et pour le compte de cette dernière, la responsabilité du dirigeant de droit de la société.

Mais la question s’est posée de la date d’appréciation de la qualité d’associé.

Dans le stricte prolongement de l’arrêt antérieur de la Cour d’Appel de PARIS[1], les normands insistent : L’associé/actionnaire doit évidemment avoir la qualité d’associé / actionnaire au moment de l’acte introductif d’instance, mais il doit également la conserver jusqu’à l’épuisement des voies de recours !

Cette dangereuse rigueur dans l’application des dispositions du Code de commerce ne manquera pas de causer des difficultés lors des longs contentieux qui ne font que rebondir pendant plusieurs années.

En effet, par ces arrêts, les juges du second degré interdisent à l’associé / actionnaire,  qui décide de mettre en cause la responsabilité du dirigeant, de céder ses droits sociaux le temps de la procédure, quand bien même celle-ci mette une dizaine d’année comme dans l’affaire soumise aux juges parisiens.

Le demandeur à l’action sociale ut singuli doit donc se poser une question primordiale avant d’initier ses projets :

  • Soit prendre le risque de se voir implicitement interdire toute cession de ses droits sociaux pendant la durée de la procédure
  • Soit prendre le risque d’être un jour irrecevable en la poursuite de sa procédure qu’il aura pris le risque d’intenter.

S’il est compréhensible que celui qui était exceptionnellement investi du pouvoir d’agir contre le dirigeant, au nom et pour le compte de la société elle-même, puisse perdre ce pouvoir en perdant la qualité d’associé, cela pourrait engendrer d’importantes conséquences, en décourageant les associés d’intenter de telles actions…  

C’est donc dans un sens favorable aux dirigeants que se sont prononcés les juges normands.

III – Circonstances du cas d’espèce

En l’espèce, le Tribunal de commerce de Caen était saisi d’une contestation de cession d’action.

Aux prémices de ce contentieux, deux associés fondent une société holding, deviennent cogérants, jusqu’à révocation de l’un d’entre eux.  Par la suite, la holding cède ses actions d’une filiale à une troisième société.

L’ancien gérant révoqué, considérant que la cession desdites actions a été réalisée à vil prix, conteste l’opération, et engage la responsabilité du gérant unique sur le fondement de l’action ut singuli, pour le préjudice subi par la holding.

La procédure suit son cours : une mesure d’expertise est ordonnée par la juridiction consulaire pour apprécier les circonstances de la cession.

La cession litigieuse est intervenue en 2011. En 2016, le Tribunal de commerce déboute l’associé demandeur à l’action ut singuli, qui interjette promptement appel. Le conseiller de la mise en état est sollicité pour des incidents de procédure. La procédure continue jusqu’à ce que la Cour d’Appel se positionne enfin sur la recevabilité de l’action engagée par l’ancien gérant.

Il n’était alors plus associé.

Or, les juges normands considèrent :

« L’action Ut Singuli ne peut être exercée dans l’intérêt de la société que par un associé de cette société, cette qualité s’appréciant à la date de l’assignation et devant être conservée pendant le déroulement de l’instance.

La cession des titres d’un associé s’accompagne de la perte de la faculté d’exercer l’action sociale, même si elle porte sur un préjudice né alors qu’il était encore actionnaire ».

Malheureusement le demandeur avait aussi cédé ses parts, en 2020, à la société précédemment cessionnaire à la cession litigieuse.

Fin du match.

Le demandeur a signé son arrêt de mort. Il devient irrecevable à poursuivre l’action sociale intentée des années auparavant. Il supporte alors les frais irrépétibles, et sera condamné au titre de l’article 700 du Code de procédure civile…

IV – L’état du droit prétorien

Cette position n’aurait peut être pas été identique si la Cour de cassation avait été saisie de la problématique.

En effet, les juges suprêmes ont déjà eu l’occasion de se positionner sur la date d’appréciation de la recevabilité d’une demande, considérant a contrario, que l’intérêt à agir ne pouvait pas disparaitre en cours de route..

En effet, et par exemple dans son arrêt du 6 décembre 2005[2], la chambre commerciale de la Cour de cassation considère que la recevabilité d’une demande s’apprécie au jour où elle est formée, et qu’elle ne peut être remise en cause pour des raisons apparues postérieurement…


[1] CA PARIS 10 MARS 2022, N°13.18511.

[2] C.Cass, C.Com, 6 decembre 2005, N°04.10.287

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