Revirement de jurisprudence : point de départ du délai de prescription applicable au recouvrement de factures de travaux contre un particulier.

Amandine Roglin
Amandine Roglin

Par un remarquable revirement, la Cour de cassation fixe le point de départ du délai de prescription biennal.

Cass. 3e civ., 1er mars 2023, n°21-23.176

I –

Le délai de prescription de droit commun est de 5 ans (article 2224 du Code civil).

Pa dérogation, l’article L.218-2 du Code de commerce prévoit que le délai de prescription est de 2ans s’agissant d’actions engagées par des professionnels contre des consommateurs.

En l’occurrence ce délai de prescription est applicable quant au recouvrement de créances détenus par l’entreprise de travaux vis-à-vis d’un particulier, maître d’ouvrage.

La jurisprudence est, sur ce point, parfaitement claire et constante : Cass. 1re civ., 26 sept. 2018, n° 17-15.037 ; Cass. 3e civ., 17 févr. 2022, n° 21-19.829, n° 270 FS-B ; Cass. 3e civ. QPC, 28 sept. 2022, n° 21-19.829, n° 676 FS-B.

II –

En revanche, il subsistait une interrogation quant au point de départ de ce délai de prescription, en l’absence de précision dans le texte.

Ce point de départ devait-il être fixé à la date d’établissement de la facture ? A la date de son exigibilité ? A la date de l’achèvement des travaux ?

La position de la Cour de cassation a évolué.

Dans un premier temps, la 1ère chambre et la 3ème chambre de la Cour de cassation ont considéré, qu’en matière de marchés privés, le délai de prescription commençait à courir à compter de l’établissement de la facture (Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-10.908, n° 609 FS-P + B ; Cass. 3e civ., 14 févr. 2019, n° 17-31.466).

Puis, la 1ère chambre a opéré un revirement en considérant que l’action du professionnel se prescrivait à compter de la date de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’agir, laquelle pouvait être caractérisée par l’achèvement des travaux (Cass. 1re civ., 19 mai 2021, n° 20-12.520, n° 354 FS-P).

La troisième chambre civile a adopté la même solution, dans le cadre d’un arrêt destiné à la publication (Cass. 3e civ., 1er mars 2023, n° 21-23.176, n° 149 FS-B).

III –

En l’espèce, un particulier qui avait confié à une entreprise la construction d’un mur de soutènement ainsi que la réfection de terrasses.

L’entreprise lui avait adressé sa facture et la maitre d’ouvrage avait refusé de payer le solde des travaux en raison d’inachèvements et de désordres les affectant.

En cause d’appel, les juges avaient déclaré l’action en recouvrement prescrite, fixant le point de départ du délai de prescription  à la date de l’émission de la facture ou, à défaut, à celle de la mise en demeure de payer.

L’entreprise a formé un pourvoi en cassation soutenant que le point de départ du délai correspondait à la date à laquelle la créance constituée du solde du prix restant dû par le maître de l’ouvrage était devenue exigible, c’est-à-dire à l’issue de l’expertise amiable, ayant conduit au rapport établi le 17 décembre 2012.

IV –

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi par un arrêt particulièrement motivé :

« Aux termes de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

Selon l’article 2224 du code civil, le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

S’il a été jugé que le point de départ du délai biennal de prescription se situait, conformément à l’article 2224 du code civil, au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée (1re Civ., 16 avril 2015, pourvoi n° 13-24.024, Bull. 2015, I, n° 100 ; 1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.278, Bull. 2017, I, n° 111), il a été spécifiquement retenu, comme point de départ, dans le cas d’une action en paiement de travaux formée contre un consommateur, le jour de l’établissement de la facture (1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-10.908, Bull. 2015, I, n° 136 ; 3e Civ., 14 février 2019, pourvoi n° 17-31.466).

Cependant, la Cour de cassation retient désormais que l’action en paiement de factures formée contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du code de commerce ou contre un consommateur, soumise à la prescription biennale de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, se prescrit à compter de la date de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’agir, laquelle peut être caractérisée par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations (Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, publié au bulletin ; 1re Civ., 19 mai 2021, pourvoi n° 20-12.520, publié au bulletin).

Au regard des dispositions de l’article 2224 du code civil dont l’application a été admise pour déterminer le point de départ du délai de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, et afin d’harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d’exercer son action, laquelle est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations, cette circonstance rendant sa créance exigible.

La cour d’appel ayant constaté que les travaux commandés à la société Pastorelli avaient été réalisés en 2011, il en résulte que l’action introduite le 23 septembre 2014, plus de deux ans après leur achèvement, était prescrite ».

V –

La Cour de cassation a confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’appel, la créance étant prescrite, mais, comme l’y autorise les dispositions des articles 620, alinéa 1er et 1015 du Code de procédure civile, la Cour de cassation a procédé à une substitution de motif.

Ainsi, la décision des juges du fond est confirmée mais pas leur raisonnement, la Cour de cassation rappelant qu’en la matière, la jurisprudence a évolué : l’action en paiement se prescrit par 2 ans à compter de l’achèvement des travaux ou de l’exécution des prestations, cette circonstance rendant la créance exigible, hormis les cas où le contrat ou la loi en dispose autrement, c’est en conséquence la date à retenir comme point de départ du délai biennal de prescription.

En prenant appui à la fois sur les dispositions de l’article L.218-2 du Code de la consommation et sur celles de l’article 2224 du Code civil, la Cour de cassation harmonise le point de départ du délai de prescription.

Par conséquent, il faut éviter d’attendre le dépôt du rapport d’expertise judiciaire avant d’assigner en paiement du solde des travaux sous peine de voir son action déclarée prescrite.

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