Le juge du fond qui, soumis à la revendication d’un locataire commercial ayant bénéficié de délais de paiement entérinés par une décision du juge des référés passée en force chose jugée, constate que ces derniers n’ont pas respectés, ne peut en accorder de nouveaux, même à titre rétroactif.
SOURCE : Cass. civ 3ème, 11 juillet 2024, n°23-16040, Inédit
A la base de ce contentieux soumis à la censure de la Cour de cassation, un commandement de payer un arriéré de loyers visant la clause de résiliation anticipée du bail, est délivré au locataire. Puis, passé le délai légal d’un mois aux fins de régularisation des causes du commandement, une assignation en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire est délivrée au locataire.
Une ordonnance de référé a constaté l’acquisition de la clause résolutoire tout en suspendant ses effets sous réserve du strict respect par le locataire débiteur de l’échéancier judiciaire.
Invoquant un défaut de paiement et donc un non-respect de l’échéancier, le bailleur a poursuivi l’expulsion du locataire indélicat par la délivrance préalable d’un commandement de quitter les lieux.
En défense, le locataire a assigné son bailleur devant le juge du fond, aux fins de voir annuler le commandement de payer visant la clause résolutoire, ou subsidiairement, d’obtenir de nouveaux délais de paiement rétroactifs, de dire n’y avoir lieu à résiliation du bail et d’obtenir des dommages et intérêts.
Entre-temps, un arrêt du juge de l’exécution avait rejeté la demande en annulation du commandement.
Saisie du contentieux par le locataire, la Cour d’appel avait refusé d’accorder rétroactivement de nouveaux délais au débiteur aux motifs que les délais, non respectés, avaient déjà été accordés par le juge des référés et ne pouvaient l’être à nouveau, quand bien même cette ordonnance n’avait pas autorité de la chose jugée au principal (article 488 du CPC).
Le locataire s’est donc pourvu en cassation. La censure était cependant inévitable.
Avec avoir rappelé, au visa des dispositions de l’article L145-41 du Code de commerce, qu’une ordonnance de référé passée en force de chose jugée (voies de recours épuisées ou expirées) avait accordé au locataire des délais de paiement non respecté, la Cour de cassation juge que la juridiction du fond saisie qui constate que ces délais n’ont pas été respectés, ne peut en accorder de nouveaux.
La jurisprudence est constante[1].
La Cour rappelle qu’il est également constant que le juge du fond peut accorder rétroactivement des délais de paiement au débiteur de bonne foi qui s’est acquitté de l’intégralité de la dette au jour où il statue[2], à la condition toutefois que le locataire n’en ait pas bénéficié devant le juge des référés (cf supra).
Ainsi, les dates fixées par le juge des référés n’ayant pas été respectées, la résiliation du bail est acquise.
Cet arrêt illustre la force judiciaire des échéanciers entérinés par le juge des référés, avec déchéance du terme :A défaut de paiement d’un acompte et / ou d’un terme de loyers et charges, le bail est résilié de plein droit sans formalité supplémentaire, et les sommes immédiatement exigibles.
Pour exemple : une dette de 13 000 € qui devrait être apurée en treize mensualités égales le 5 de chaque mois, à laquelle s’ajouteraient les loyers mensuels en cours (exemple 3 000 €) suppose un paiement au plus tard le 5 de chaque mois une somme de 4 000 € (3 000 € + 1 000 €). Le paiement partiel (exemple 2 500 €) ou paiement tardif (exemple le 7 du mois) prive de tout effet la suspension de la clause résolutoire et corrélativement, autorise l’expulsion.
D’un point de vue purement procédural et stratégique, le bailleur saisi en défense, d’une demande de suspension des effets de la clause résolutoire et de paiement moratorié de la dette locative, à tout intérêt à ne pas s’y opposer formellement, sans possibilité d’appel.
Cette organisation (moratoire et déchéance du terme) est confortable pour le bailleur à double titre :
- En premier lieu, elle prive de tout intérêt l’appel du preneur à bail à l’encontre de la décision de résiliation du bail. Pour mémoire, selon la jurisprudence, l’infirmation par la Cour d’appel de la résiliation prononcée en première instance, peut conduire si l’expulsion a été exécutée par le bailleur au paiement d’une indemnité d’éviction de sorte que par prudence, les bailleurs attendent l’Arrêt de la Cour d’appel à intervenir (avant d’expulser). L’ordonnance de référé a un caractère provisoire (art. 484 du CPC) et l’exécution se fait aux risques et périls du créancier ;
- Par ailleurs, la résiliation du bail peut être privée de tout effet par l’ouverture d’une procédure collective, dès lors que celle-ci intervient avant que la décision de résiliation ne soit définitive. Dans une telle hypothèse, la dette de loyers jusqu’à l’ouverture de la procédure est à déclarer au passif. A l’inverse, le non-respect du moratoire donne à la résiliation du bail un caractère définitif qui protège le bailleur de l’ouverture d’une procédure collective d’une part, et d’une procédure d’appel d’autre part.
Dans un schéma idéal, il est donc souhaitable pour le bailleur :
- De faire entériner judiciairement l’accord des parties, avec déchéance du terme (cf supra) ;
- A charge pour le bailleur, une fois l’ordonnance rendue, de procéder à sa signification, et ainsi faire courir les délais d’appel.
Enfin, et par un arrêt publié du 26 octobre 2023, la Cour de cassation a jugé que le non-respect d’un échéancier de paiement entériné judiciairement, avec suspension concomitante des effets de la clause résolutoire, rendait la clause résolutoire définitivement acquise sans que la mauvaise foi du bailleur à s’en prévaloir puisse y faire obstacle[3].
[1] En ce sens, Cass. civ 3ème, 2 avril 2003, n°01-16834, FS – PB ou encore Cass. civ 3ème, 15 octobre 2008, n°07-16725, FS – PB
[2] Cass. civ 3ème, 12 mai 2016, n°15-14117, Inédit
[3] https://vivaldi-chronos.com/bail-commercial-delais-de-paiement-bonne-foi-du-bailleur-et-decheance-du-terme-dura-lex-sed-lex/