Bail commercial, délais de paiement, bonne foi du bailleur et déchéance du terme : dura lex sed lex !

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Aux termes d’un arrêt voué à une large publication, en date du 26 octobre 2023, la Cour de cassation juge que le non-respect d’un moratoire de paiement d’un arriéré de loyers et charges, avec suspension concomitante des effets de la clause résolutoire, entériné judiciairement, rend la clause résolutoire définitivement acquise sans que la mauvaise foi du bailleur à s’en prévaloir puisse y faire obstacle. Lu en filigrane, la bonne foi du bailleur s’apprécie donc à la date de la délivrance du commandement de payer visant la clause résolutoire.

SOURCE : Cass. civ 3ème, 26 octobre 2023, n°22-16216, FS – B

L’espèce soumise à la censure de la troisième chambre civile de la Cour de cassation est la suivante : Une ordonnance de référé est rendue, constate l’acquisition de la clause de résiliation anticipée prévue au bail, prononce l’expulsion corrélative du preneur, octroie un délai pour s’acquitter de sa dette locative selon moratoire avec suspension des effets de la clause résolutoire, et déchéance du terme en cas de défaut de paiement de l’arriéré ou d’un loyer à son terme selon l’échéancier fixé.

Au cours du moratoire, les parties se sont rapprochées afin de convenir des modalités de la conclusion d’une promesse de bail commercial sous réserve du paiement de la totalité de la dette locative par le locataire, sous un certain délai.

Le locataire n’ayant pas honoré les termes de l’accord amiable, le bailleur a donc mis œuvre la procédure d’expulsion.

Le locataire a contesté l’expulsion et a sollicité sa réintégration dans les lieux, en invoquant la mauvaise foi du bailleur. Le locataire a notamment soutenu qu’au regard du faible montant restant dû à la date de l’expulsion par rapport à la dette locative (31 € en l’espèce), et des efforts entrepris par celui-ci pour apurer sa dette sur 8 mois (là où le moratoire était fixé sur 24 mois), le bailleur devait être considéré comme ayant invoqué de mauvaise foi le jeu de la clase résolutoire, celle-ci devant être considérée comme n’ayant jamais joué.

Le locataire reçoit une oreille favorable de la Cour d’appel, et obtient sa réintégration dans les lieux.

Le bailleur se pourvoit en cassation, et soutient que l’ordonnance de référé avait prévu que la clause résolutoire s’appliquerait en cas de non-respect de l’échéancier, de sorte que celui-ci pouvait mettre en œuvre la procédure d’expulsion sans qu’aucune mauvaise foi de sa part ne puisse lui être opposée.

La Cour de cassation au visa de l’article L145-41 du Code de commerce, censure l’arrêt d’appel au visa de l’attendu de principe suivant :

« Vu l’article L145-41 du Code commerce


Il résulte de ce texte que lorsqu’une ordonnance de référé passée en force de chose jugée a accordé au titulaire d’un bail à usage commercial des délais pour régler un arriéré de loyers et le loyer courant en suspendant la réalisation de la clause résolutoire, le non-respect de ces délais rend la clause définitivement acquise sans que la mauvaise foi de la bailleresse à s’en prévaloir puisse y faire obstacle



Pour dire que la clause résolutoire doit être réputée ne pas avoir joué, l’arrêt retient, qu’au regard du solde minime restant dû par rapport à l’importance de la dette initiale et du versement par la locataire de 20 000 euros en huit mois quand l’ordonnance de référé lui avait octroyé vingt-quatre mois pour apurer sa dette, la bailleresse a invoqué de mauvaise foi le jeu de la clause résolutoire, en sorte qu’elle doit être considéré comme n’ayant pas joué.

En statuant ainsi, tout en constatant que la locataire n’avait pas respecté les délais de paiement accordés par l’ordonnance du 22 octobre 2019, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

La bonne foi du bailleur ne s’apprécie donc qu’au moment de délivrance du commandement de payer visant la clause résolutoire, sans que son comportement postérieur ne puisse lui être reproché.

Cette règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi (article 1104 du Code civil) permet de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle. La sanction réside dans la paralysie de la clause résolutoire mise en œuvre de mauvaise foi par le bailleur.

En réalité, cet arrêt n’est qu’une nouvelle illustration de la pleine efficacité judiciaire des échelonnements de paiement entérinés devant le juge des référés avec déchéance du terme. A défaut de paiement d’une seule échéance de loyers et charges et / ou d’une seule échéance moratoriée à la date convenue, la sanction est radicale : les sommes en souffrance sont immédiatement exigibles et le bail résilié de plein droit. Le bailleur est donc en droit de poursuivre sans délai, le paiement des sommes dues ainsi que l’expulsion du preneur en vertu de l’ordonnance de référé valant titre exécutoire.

S’il fallait s’en convaincre, un parallèle peut ici être fait avec l’arrêt rendu par la troisième chambre civile le 15 juin 2023, qui s’inscrit dans son œuvre de construction doctrinale sur l’exigibilité des loyers « Covid », aux termes duquel elle a jugé que l’interdiction des sanctions pour défaut de paiement des « loyers et charges » dont l’échéance de paiement était intervenue au cours de la période protégée, prévue à l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020, ne s’appliquait pas aux effets d’une clause résolutoire acquise antérieurement à la période protégée, dont la suspension était conditionnée au respect d’un échéancier fixé par le juge[1].

D’un point de vue stratégique, les bailleurs ont donc le plus grand intérêt à ne pas s’opposer formellement, aux demandes d’échelonnement de paiement des arriérés de loyers et charges, avec suspension des effets de la clause résolutoire, à condition de faire encadrer l’accord devant la juridiction des référés.


[1] Cass. civ 3ème, 15 juin 2023, n°21-23902, FS – B

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