Confusion des patrimoines : Attention à l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société au patrimoine de son dirigeant.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Le gérant associé d’une SARL qui prélève de lui-même diverses sommes sur le compte bancaire de la société, fut-ce pour procéder de lui-même au remboursement de son compte courant, peut-il se voir reprocher une confusion des patrimoines ?

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 13 septembre 2023, 21-21.693, Inédit

Dans un arrêt quoi qu’inédit, la Cour de cassation revient sur l’une des grandes frayeurs du dirigeant qui voit son entreprise placée en procédure collective : l’éventualité d’une confusion des patrimoines.

La confusion des patrimoines est une notion spécifique aux procédures collectives, elle est prévue par l’article L621-2 du Code de commerce. Les 2 et 3ème alinéas prévoient :

« A la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale.

Dans les mêmes conditions, un ou plusieurs autres patrimoines du débiteur peuvent être réunis au patrimoine visé par la procédure, en cas de confusion avec celui-ci. Il en va de même lorsque le débiteur a commis un manquement grave aux obligations prévues à l’article L. 526-13 ou encore une fraude à l’égard d’un créancier titulaire d’un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure ».

En cas de « relations financières anormales » entre une société et son dirigeant, la procédure de liquidation judiciaire peut être alors étendue à l’encontre du patrimoine personnel du dirigeant sur initiative du mandataire ou liquidateur judiciaire…

L’intérêt de mettre en place une telle procédure est celui d’étendre les chances de recouvrement des sommes dues aux créanciers de la société placée en liquidation judiciaire, puisqu’en pareilles hypothèses, les biens personnels du dirigeant peuvent, conformément à l’alinéa 4 du texte susmentionné, faire l’objet d’une mesure conservatoire, et ainsi… être vendus pour payer les créanciers.

« (…) le président du tribunal peut ordonner toute mesure conservatoire utile à l’égard des biens du défendeur à l’action mentionnée à ces mêmes alinéas, à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d’office »

Dans ce nouvel arrêt, le lecteur entre-aperçoit d’ores et déjà la situation qui se dessine à l’horizon : une SARL est donc placée en liquidation judiciaire, et son liquidateur tente d’étendre la procédure au patrimoine du dirigeant, invoquant ladite confusion des patrimoines. Débouté par les juges du fond, le liquidateur se pourvoit en cassation.

La jurisprudence est pléthore en la matière, puisque les juges sont d’ores et déjà intervenus à plusieurs reprises pour encadrer juridiquement les conditions de l’extension de cette procédure : le demandeur doit démontrer l’imbrication de patrimoines, ou des flux financiers anormaux, c’est-à-dire « sans contrepartie ».

De fait, la charge de la preuve appartient au liquidateur.

Dans cette affaire l’associé gérant s’est emparé de +80 mille euros par divers retraits d’espèces, et virements à son profit depuis le compte bancaire de la SARL. De toute évidence, après l’étude des comptes opérée par le liquidateur judiciaire dès après l’ouverture de la procédure collective, celui-ci s’empresse d’assigner le gérant devant le tribunal de commerce, considérant les prélèvements opérés comme injustifiés.

L’axe de défense choisi par l’ancien gérant consistait à dire que ces retraits n’étaient pas cachés, puisqu’inscrits au débit de son compte courant d’associé, et qu’en quelque sorte il se remboursait directement en se servant sur le compte bancaire de la SARL.

Manifestement, cet argument a emporté l’adhésion des premiers juges :

« 5. Pour rejeter la demande de la société [P] tendant à l’extension à M. [B] de la liquidation judiciaire de la société [B] construction, l’arrêt retient que les retraits d’espèces et les virements bancaires réalisés au profit de M. [B] au cours de l’année 2016 ont été inscrits à son compte courant d’associé, lequel était débiteur au 26 décembre 2016, à hauteur de 88 135,51 euros, que si l’existence d’un compte courant débiteur est pénalement sanctionnée, la société reste créancière de l’associé débiteur et que dès lors une telle situation ne permet pas d’établir une confusion de patrimoine »

En revanche, la Cour de cassation a censuré ses collègues de la Cour d’Appel, en considérant :

« 6. En se déterminant ainsi, alors que l’inscription au compte courant d’associé de M. [B] des virements et retraits d’espèces qu’il avait opérés à son profit sur les comptes de la société n’était, en l’absence de toute caractérisation d’une contrepartie les justifiant, pas de nature à en exclure l’anormalité, la cour d’appel, qui s’est fondée sur des motifs impropres à établir l’absence de relations financières anormales constitutives d’une confusion des patrimoines, n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Pour les juges suprêmes, le seul fait que les sommes prélevées aient été inscrites sur le compte courant du gérant associé est insuffisant pour écarter l’anormalité des virements et retraits opérés à son profit sans contrepartie.

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