Sources : Loi 2022-401 du 21 mars 2022
I – QU’EST QU’UN LANCEUR D’ALERTE (au 1er septembre 2022) ?
C’est désormais, « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union Européenne, de la loi ou du règlement ».
L’élément nouveau est certainement l’absence de contrepartie financière, ce qui exclut de fait, les indicateurs en matière fiscale, les indics en matière de police judiciaire ou même les aviseurs en matière douanière. L’exclusion est logique puisque l’article 1825 F du CGI, s’agissant des indicateurs en matière fiscale, punit des peines de l’article L.226-10 du Code Pénal, tout individu convaincu d’avoir, verbalement ou par écrit, dénoncé à tort et de mauvaise foi de prétendues contraventions aux lois fiscales. Il serait anormal que celui-ci en quête de gains ait cherché à dénoncer une infraction sans s’assurer sérieusement de son existence.
Par ailleurs, rentre dans la définition du lanceur, toute personne qui dénonce un fait sans, cette fois, qu’il y ait à rechercher le caractère de gravité issu de la loi Sapin II.
En revanche, le lanceur d’alerte en 2022, comme en 2016, doit avoir eu personnellement connaissance des faits sauf si cette information (nouveau en 2022) est obtenue dans le cadre de l’activité professionnelle. Dans cette hypothèse, un salarié bénéficie du statut protecteur en signalant des faits illicites dont il n’a pas eu personnellement connaissance, mais qui lui ont été rapportés.
II – QUEL EST LE PERIMETRE DE PROTECTION DU LANCEUR D’ALERTE ?
Evidemment, la personne du lanceur d’alerte, qui répond à la définition susvisée, est définie, mais celle-ci s’étend également aux facilitateurs et aux identités juridiques contrôlés par le lanceur d’alerte, à savoir :
Les facilitateurs sont définis comme toute personne physique ou morale de droit privé qui peuvent aider le lanceur d’alerte à signaler ou divulguer des informations, auxquels s’ajoutent des personnes physiques en lien avec le lanceur d’alerte et risquant de faire l’objet de représailles dans le cadre de leur activité professionnelle de la part de leur employeur par exemple ou de clients ;
Les entités juridiques contrôlées par le lanceur d’alerte s’entendent de la définition classique de l’article L.233-3 du Code de Commerce, c’est-à-dire la société dans laquelle le lanceur d’alerte dispose d’une majorité du capital social.
III – QUELLE FORME DOIT REVETIR L’ALERTE ?
En 2016 pour bénéficier du statut de protecteur, il fallait que le lanceur d’alerte procède à un signalement en interne, lorsqu’il était salarié. Ce n’est qu’à défaut de traitement du signalement que l’autorité judiciaire, second niveau de l’information, pouvait être saisie et enfin, ce n’est qu’à défaut d’action de l’autorité judiciaire que l’information pouvait être rendue publique.
Désormais, le lanceur d’alerte continue à bénéficier de la protection s’il informe la justice avant d’informer sa hiérarchie. En revanche, l’information du public suppose, préalablement, la démonstration d’une inaction de l’autorité judiciaire (dans les trois mois de la saisine).
IV – DANS QUELLES CONDITIONS LE LANCEUR EST-IL PROTEGE D’UNE ALERTE PUBLIQUE ?
Au-delà du cas d’une inaction de l’autorité judiciaire préalablement saisie, l’information donnée au public protège quand même le lanceur d’alerte dans les hypothèses suivantes :
En cas de danger grave et imminent ;
S’agissant d’informations obtenues dans le cadre d’activité professionnelle et en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible ;
Lorsque la saisine de l’autorité compétente fait courir un risque de représailles à l’auteur de l’alerte ou qu’elle ne peut permettre de remédier efficacement à l’alerte en raison de circonstances particulières (suspicion de conflit d’intérêt, risque de dissimulation ou de destruction de preuve, collusion, etc.).
S’agissant de ce dernier cas, il est toujours difficile par exemple, pour un collaborateur d’un établissement bancaire qui soupçonne son employeur de procéder à des opérations de blanchiment de fraude fiscale, de procéder à une dénonciation de Tracfin, en sachant que l’accusé de réception de Tracfin sera destiné directement … à l’employeur. Dans cette hypothèse, l’information de l’ACPR ou même, l’information publique, semble être une arme plus efficace que la déclaration de soupçon.
Attention toutefois à la protection, celle-ci couvre le lanceur d’alerte sur le territoire national, mais peut l’exposer aux sanctions liées à l’application de législations étrangères. Ce sera souvent le cas lorsque l’établissement bancaire, objet de la procédure d’alerte, est contrôlé et dirigé par une société mère qui n’est pas du droit français ou parfois même en dehors du ressort de l’Union Européenne.
V – QUEL EST LE SECRET SUR L’IDENTITE DU LANCEUR D’ALERTE ?
Par principe, l’identité du lanceur d’alerte n’apparaît pas dans les procédures douanières / fiscales / judiciaires, la procédure étant initiée par la référence et une information confidentielle, mais émanant d’un auteur digne de foi.
En 2022, comme en 2016, les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne pourront être divulgués qu’avec son consentement, sauf à l’autorité judiciaire, lorsque les personnes chargées du recueil et du traitement des signalements sont tenues de dénoncées les faits auprès du Juge. Le lanceur d’alerte sera alors informé de cette divulgation à l’autorité judiciaire, à moins que cette information risque de compromettre la procédure judiciaire.
Pour autant, si l’autorité judiciaire avait à connaître l’identité du lanceur d’alerte, cette identité n’apparaîtrait pas, comme dans le passé, dans la procédure.
VI – DE QUELLE PROTECTION BENEFICIE LE LANCEUR D’ALERTE ?
Le lanceur d’alerte étant souvent un préposé ou un fonctionnaire, sa protection est d’abord intégrée à l’article L.1121-2 du Code du Travail et dans le Code Général de la fonction publique. Cette immunité le protège des mesures suivantes :
Suspension, mise à pied, licenciement ou mesure équivalente ;
Rétrogradation ou refus de promotion ;
Transfert de fonction, changement de lieu de travail, réduction de salaire, modification des horaires de travail ;
Suspension de la formation ;
Evaluation de performance ou attestation de travail négative ;
Mesures disciplinaires imposées ou administratives, réprimandes ou autres sanctions, y compris une sanction financière ;
Coercition, indemnisation, harcèlement ou ostracisme ;
Discrimination, traitement désavantagé ou injuste, non conversion d’un contrat de travail à durée déterminée ou d’un contrat temporaire en un contrat permanent lorsque le travailleur pouvait légitimement espérer se voir offrir un emploi permanent (avec une réelle difficulté pour l’employeur d’apporter, la preuve de l’inaptitude du lanceur d’alerte au poste convoité).
A ces interdictions, s’ajoute la réparation du préjudice, y compris les atteintes à la réputation de la personne, la perte des revenus.
Tout acte ou décision pris en méconnaissance de ces interdictions est donc nul de plein droit[1].
Au-delà de la protection du lanceur d’alerte dans sa relation au travail, la loi consacre également l’immunité civile et pénale du lanceur d’alerte « dès lors qu’ils avaient des motifs raisonnables de croire, lorsqu’ils y ont procédé, que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause ».
De fait, l’immunité du lanceur d’alerte de mauvaise foi est écartée, mais l’interprétation qu’en fait déjà le droit prétorien, est à ce point restrictive de la qualification de mauvaise, que lorsqu’une personne bénéficie de la qualité de lanceur d’alerte, elle en sera, de ce fait, protégée, évidemment pour autant que cette dénonciation ait été opérée dans un cadre non rémunéré.
VI – QUELLES REPRESAILLES CONTRE LE NON-RESPECT DE LA PROTECTION DU LANCEUR D’ALERTE ?
La loi Sapin II sanctionnait suffisamment les sanctions prononcées contre le salarié ou fonctionnaire par la nullité des sanctions.
Désormais, la nouvelle loi ajoute la possibilité, pour le Conseil des Prud’hommes de condamner l’employeur, en plus de toutes les autres sanctions à abonder le compte personnel de formation du lanceur d’alerte jusqu’au plafond majoré applicable au salarié eu qualifié (soit jusqu’à 8 000 €).
Par ailleurs, tout obstacle à la transmission d’un signalement interne ou externe destiné, là encore, à stigmatiser le comportement du salarié est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (loi de 2016) auxquels s’ajoute une peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision pénale.
La nouvelle loi modifie le régime des amendes civiles encourues par toute personne physique ou morale qui agit de manière dilatoire ou abusive contre un lanceur d’alerte, en raison des informations signalées ou divulguées. Cette fois, la loi nouvelle double le montant de l’amende civile qui passe de 30 000 à 60 000 €, laquelle peut être ordonnée sans préjudice de l’octroi des dommages et intérêts au bénéfice de la victime de la procédure dilatoire.
[1] Article 10-1 de la loi