Loi « Sapin II » et l’on reparle du registre des bénéficiaires effectifs après la publication des décrets.

Laurent Turon
Laurent Turon

 

Sources :

Ordonnance n°2016-1635 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme du 2 décembre 2016 ci-après (« l’Ordonnance ») ;

Article 139 de la loi n° 2016-1691, dite loi « Sapin II », du 9 décembre 2016  ci -après (la loi « Sapin II ») ;

Décret n°2017-1094 du 12 juin 2017

I. PETITE HISTOIRE DU BENEFICIAIRE EFFECTIF

 

Comment pouvait-on devenir associé anonyme ? C’était simple, il fallait, après sa constitution, acheter des actions d’une société anonyme (SA), d’une société en commandite par actions (SCA) ou d’une société par actions simplifiées (SAS). Et sur ce point, il faut admettre que seul le registre des mouvements de titres et les personnes qui peuvent y accéder, étaient en mesure d’identifier clairement l’actionnariat. Mais c’était avant.

 

Il faut désormais oublier cette discrétion depuis la promulgation de l’Ordonnance applicable au plus tard le 2 août 2017[1] et la loi « Sapin II » entrée en vigueur depuis le 1er avril 2017 qui instaurent le registre des bénéficiaires effectifs, notion qui aurait méritée d’être mieux définie par la         Loi, comme le droit anglais l’a fait (en transposant également la directive) à propos de l’« UBO » (Ultimate Beneficial Owner). Certes, la IVème directive anti-blanchiment transposée par la Loi et l’Ordonnance donne par son article 3 une définition du bénéficiaire effectif[2] mais cette définition relativement complète n’est reprise que de manière très partielle par l’article L.561-2-2 du Code Monétaire et Financier, modifié par l’article 2 de l’Ordonnance.

 

Ainsi, en droit français, le bénéficiaire effectif est la ou les personne(s) physique(s) qui contrôle(nt), directement ou indirectement, le client ou celle pour laquelle une transaction est exécutée ou une activité est réalisée. Un décret en Conseil d’Etat est censé préciser la définition du bénéficiaire effectif pour les différentes catégories de personnes morales. Pour l’instant, le texte renvoie à l’article R.561-1 du Code Monétaire et Financier dans sa version du 5 septembre 2009 qui n’apporte aucun élément d’explication supplémentaire à la définition.

 

Au-delà de cette insuffisance rédactionnelle, on peut s’interroger sur l’utilité de découper l’obligation en deux textes d’origine et de nature différentes pour aboutir, à une solution, somme toute imparfaite qu’il faudrait, à terme, corriger.

 

Il faut donc, « jongler » entre deux textes dont les principaux enseignements sont ci-après résumés.

 

II. SYNTHESE DES INFORMATIONS A TRANSMETTRE DES BENEFICIAIRES EFFECTIFS

 

La comparaison de l’Ordonnance et de la Loi est l’illustration de doublons et parfois de contradictions. Par exemple, le manquement aux obligations déclaratives est sanctionné par l’Ordonnance mais pas par la loi Sapin II. Les juristes répondront alors que la loi est une norme juridiquement supérieure à l’ordonnance qui n’a qu’une valeur réglementaire de sorte que la juxtaposition de ces deux normes ne peut conduire qu’à la constatation de l’absence de sanctions pénales.

 

En revanche la loi Sapin II autorise, en cas de manquements aux obligations déclaratives, le Président du Tribunal de commerce à délivrer injonction, le cas échéant, assortie d’une astreinte. Ainsi, en 9 jours est-on passé d’une sanction à caractère pénale (amende) à une injonction civile. Reste à contrôler la réalité des déclarations en l’absence de sanctions pénales.

 

ORDONNANCE DU 1ER DECEMBRE 2016 LOI SAPIN 2 DU 9 DECEMBRE 2016
CHAMP D’APPLICATION

Sociétés et entités françaises immatriculées autres que celles dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé

Sociétés et entités françaises immatriculées

CONTENU ET MODALITES DE L’INFORMATION

Dépôt au greffe du Tribunal d’un document contenant les éléments d’identification et le domicile du bénéficiaire ainsi que les modalités du contrôle qu’il exerce sur la société (à préciser par décret)

Dépôt au greffe du Tribunal de Commerce pour être annexé au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS), lors de la demande d’immatriculation à ce registre ou au plus tard dans un délai de quinze jours à compter de la délivrance du récépissé de dépôt de dossier de création d’entreprise. Un nouveau document est déposé dans les trente jours suivant tout fait ou acte rendant nécessaire la rectification ou le complément des informations qui y sont mentionnées (article 1 décret n°2017-1094 du 12 juin 2017 et article R.561-55 Code Monétaire et Financier)

RÔLE DU GREFFIER

Vérification et transmission des informations à l’INPI et au RCS

Le greffier signale l’existence de ce dépôt et son caractère confidentiel, selon des modalités définies par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre chargé de la propriété industrielle (article 2 décret n°2017-1094 du 12 juin 2017)
ACCES AUX INFORMATIONS

Société ou entité ayant déposé le document, autorités compétentes (notamment, autorités judiciaires, agents des douanes et des finances publiques), organismes financiers visés à l’article L.561-2 du Code Monétaire et Financier et toute autre personne « justifiant d’un intérêt légitime », sur autorisation du juge commis à la surveillance du RCS

Société ou entité ayant déposé le document, autorités compétentes à savoir ;

– Les autorités judiciaires ;

– Agents des douanes et des finances publiques ;

– Personnel des services de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) ;

– Enquêteurs et contrôleurs de l’Autorité des marchés financiers ;

– Le bâtonnier ou sur sa délégation, un ou plusieurs membres du conseil de l’ordre individuellement désignés par lui et par le Conseil National des Barreaux ;

– Notaires inspecteurs ;

– Huissier de justice

inspecteurs ;

– Commissaires-priseurs

judiciaires délégués ;

– Président du Conseil de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ;

– Président du Conseil National des Administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires et les contrôleurs ;

– Président du Haut Conseil du commissariat aux comptes et son rapporteur général ;

– Membres du comité de lutte anti-blanchiment de l’ordre des experts comptables ;

– Président du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ;

– Délégué aux agents sportifs ;

– Agents désignés par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation ;

– Agents de la police nationale chargés de la police des jeux  (article 1 décret n°2017-1094 du 12 juin 2017 et article R.561-57 Code Monétaire et Financier)

SANCTIONS

Injonction du Président du Tribunal de déposer le document, d’office ou à la requête du parquet ou de toute personne justifiant y avoir un intérêt (ou désignation par le Président d’un mandataire chargé du dépôt) ;

Six mois d’emprisonnement et 7 500€ d’amende ; Personnes morales pénalement responsables

Aucune sanction spécifique (seules les sanctions de droit commun s’appliquent : refus d’immatriculation ;

Injonction du Président du Tribunal de communiquer les informations à la demande de tout intéressé ou du parquet : article L.123-5-1 du Code de commerce

ENTREE EN VIGUEUR

A une date fixée par décret et au plus tard le 2 août 2017

Pour les sociétés déjà immatriculées, dépôt du document au plus tard le 1er avril 2018

Le 1er avril 2017

 

III. BENEFICIAIRES EFFECTIFS ET SOCIETES CÔTEES

 

Les sociétés côtées font parties des personnes mentionnées à l’article L.561-2 du Code Monétaire et Financier qui ne sont pas soumises aux obligations prévues par la Loi ou l’Ordonnance « pour autant qu’il n’existe pas de soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ».

 

Elles font parties de ces entités qualifiées par l’ACPR qui présentent un risque faible de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

 

Par sociétés côtées, il faut comprendre toute société dont les titres sont admis à la négociation sur au moins un marché réglementé en France ou dans un Etat de l’UE ou partie à l’accord sur l’espace économique européen (notamment).

 

IV. BENEFICIAIRES EFFECTIFS ET KYC (CONNAISSANCE DU CLIENT)

 

L’Ordonnance et la Loi ne changent rien aux obligations réglementaires de l’ensemble des entités sous contrôle de l’ACPR qui impose aux entités sous son contrôle, dans le cadre du dispositif de connaissance du client, l’identification du bénéficiaire effectif. Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’une obligation de vigilance codifiée par les articles L.561-5 et suivants du Code Monétaire et Financier. L’absence de moyens matériels et humains ou les manquements dans la recherche du bénéficiaire effectif sont régulièrement sanctionnés. Ainsi au cours des trois derniers mois, l’ACPR a-t-elle sanctionné successivement Société Générale, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d’Atlantique Vendée et BNP Paribas[3] à des amendes de 5 M€, 2 M€ et 10 M€.

 

Le KYC doit être plus ou moins poussé selon que le risque est faible (société côtée, par exemple) ou élevé lorsque, par exemple, le client est une personne résidant dans un autre Etat Membre de l’Union Européenne qui est exposée à un risque particulier en raison des risques politiques, juridictionnels ou administratifs et qu’elle a exercées pour le compte d’un autre Etat ou celles qu’exercent ou ont exercées des membres directs de sa famille ou des personnes connues pour lui être étroitement associé.

 

Ainsi, les organismes financiers doivent intégrer dans leur procédure de contrôle interne la vérification des obligations relatives aux bénéficiaires effectifs en matière de LCB/FT et s’assurer, dans le cadre des contrôles permanents et périodiques, du respect de ces obligations.

 

On observera avec attention que l’ACPR invite les organismes financiers à considérer comme bénéficiaires effectifs en cas de démembrement d’actions tant la ou les personnes physiques ayant la qualité de propriétaire mais également celles d’usufruitier pour autant qu’elles détiennent au moins 25% des droits.

 

V. BENEFICIAIRES EFFECTIFS ET COMPLIANCE

 

On ne parlera évidemment pas de compliance, terme, dont la définition mériterait également d’être donnée, pour les sociétés qui doivent obligatoirement communiquer dans leurs statuts la liste actualisée des associés. Il s’agit entre autre, de toutes les sociétés civiles et des SARL.

 

La même observation, peut être répétée pour les sociétés par actions dont l’organisation capitalistique est simple (des actionnaires qui détiennent en direct 100% des titres de sociétés par actions).

 

La compliance prend tout son sens dans des groupes capitalistiques fortement filialisés puisque dans ce cas, il faudra jusqu’à la filiale située tout en bas de l’organigramme, décrire la chaîne de détention capitalistique jusqu’au bénéficiaire effectif et pour le coup, cette opération devra être pleinement intégrée aux opérations de contrôle interne des holdings de tête, qui devront vérifier que l’organigramme des détentions soit régulièrement mis à jour.

 

Là encore, pas de risque réel de sanction sauf à souffrir d’une injonction du Président du Tribunal de commerce à moins qu’il ne soit démontré que cette omission était volontaire et destinée à couvrir une opération de blanchiment. Dans ce cas, c’est la règlementation sur les infractions en matière de blanchiment qui s’appliquent de sorte que son auteur (personne morale et/ou personne physique) est passible d’une peine de 5 à 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 375 000 à 750 000 euros (art 324-1 du Code pénal).

 

Eric DELFLY   Constance LACHERE
Vivaldi-Avocats   Vivaldi-Avocats


[1] Ordonnance n°2016-1635 renforcement le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme du 2 décembre 2016

[2] Directive UE 2015-849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme (LCB/FT du 5 juin 2015).

« Bénéficiaire effectif», la ou les personnes physiques qui, en dernier ressort, possèdent ou contrôlent le client et/ou la ou les personnes physiques pour lesquelles une transaction est exécutée, ou une activité réalisée, et qui comprend au moins :

a)

Dans le cas des sociétés :

i)

la ou les personnes physiques qui, en dernier ressort, possèdent ou contrôlent une entité juridique, du fait qu’elles possèdent directement ou indirectement un pourcentage suffisant d’actions ou de droits de vote ou d’une participation au capital dans cette entité, y compris au moyen d’actions au porteur ou d’un contrôle par d’autres moyens, autre qu’une société cotée sur un marché réglementé qui est soumise à des obligations de publicité compatibles avec le droit de l’Union ou soumise à des normes internationales équivalentes qui garantissent la transparence adéquate pour les informations relatives à la propriété.

Une participation dans l’actionnariat à hauteur de 25 % des actions plus une ou une participation au capital de plus de 25 % dans le client, détenu par une personne physique, est un signe de propriété directe. Une participation dans l’actionnariat à hauteur de 25 % des actions plus une ou une participation au capital de plus de 25 % dans le client, détenu par une société, qui est contrôlée par une ou plusieurs personnes physiques, ou par plusieurs sociétés, qui sont contrôlées par la ou les mêmes personnes physiques, est un signe de propriété indirecte. Ceci s’applique sans préjudice du droit des États membres de décider qu’un pourcentage plus bas peut être un signe de propriété ou de contrôle. Le contrôle par d’autres moyens peut être établi notamment conformément aux critères visés à l’article 22, paragraphes 1 à 5, de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil ;

ii) si, après avoir épuisé tous les moyens possibles et pour autant qu’il n’y ait pas de motif de suspicion, aucune des personnes visées au point i) n’est identifiée, ou s’il n’est pas certain que la ou les personnes identifiées soient les bénéficiaires effectifs, la ou les personnes physiques qui occupent la position de dirigeant principal; les entités assujetties conservent les informations relatives aux mesures qui ont été prises afin d’identifier les bénéficiaires effectifs dans le cadre du point i) et du présent point ;

b)

Dans le cas des fiducies/trusts :

i) le constituant ;

ii) le ou les fiduciaires/trustees ;

iii) le protecteur, le cas échéant ;

iv) les bénéficiaires ou, lorsque les personnes qui seront les bénéficiaires de la construction ou de l’entité juridique n’ont pas encore été désignées, la catégorie de personnes dans l’intérêt principal de laquelle la construction ou l’entité juridique a été constituée ou opère ;

v) toute autre personne physique exerçant le contrôle en dernier ressort sur la fiducie/le trust par propriété directe ou indirecte ou par d’autres moyens ;

c) Pour les entités juridiques telles que les fondations, et les constructions juridiques similaires à des fiducies/trusts, la ou les personnes physiques occupant des fonctions équivalentes ou similaires à celles visées au point b) ;

[3]

Décision de la Commission des sanctions n° 2016-07 du 19 juillet 2017 à l’égard de la Société Générale (lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme)

Décision de la Commission des sanctions n° 2016-09 du 30 juin 2017 à l’égard de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d’Atlantique Vendée (lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme)

Décision de la Commission des sanctions n° 2016-06 du 30 mai 2017 à l’égard de BNP PARIBAS (lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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