Source : Décision SONEPAR, Commission des sanctions de l’Agence Française Anti-Corruption, 4 juillet 2019
SONEPAR est un groupe français, leader de la distribution de matériels électriques, solutions et services associés. Société par actions simplifiée employant plus de 46 000 personnes et générant un chiffre d’affaires de plus de 22 milliards d’euros, SONEPAR est une entité qui, remplissant les seuils posés par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II », peut faire l’objet d’un contrôle de l’Agence Française Anti-Corruption (AFA).
L’objet du contrôle de l’AFA est la vérification de la conformité de l’entreprise concernée à la loi Sapin II particulièrement au regard de ses obligations de gestion des risques de corruption et de trafic d’influence.
Etape 1 : notification du contrôle et constitution de la task force
C’est chose faite puisque le 18 octobre 2017, SONEPAR reçoit notification d’une lettre d’avis de contrôle de l’AFA. C’est le début d’une longue procédure d’autant plus inédite puisque SONEPAR sera la première société à être convoquée devant la commission des sanctions de l’AFA.
Le contrôle déclenché, l’objectif est de constituer une équipe dédiée au contrôle de l’AFA de sorte à pouvoir répondre à la première étape du contrôle. Ainsi, le juridique, les RH, le contrôle interne et l’audit constituent la task force menée par le point de contact entre SONEPAR et l’AFA, habituellement le directeur juridique et/ou compliance, mais en l’espèce, ce sera la présidente de SONEPAR, ancien avocat aux Barreaux de Paris et New-York, qui choisira d’incarner cette fonction.
Lors de cette première étape, l’entité contrôlée doit répondre à un premier questionnaire de l’AFA. Les réponses doivent être documentées de sorte que l’AFA peut solliciter de l’entité contrôlée tout document juridique, administratif, financier, comptable, fiscal ou encore relatif aux politiques de compliance/éthique susceptible de démontrer sa conformité au texte précité. La Commission des sanctions de l’AFA qui statuera le 4 juillet 2019 précisera à cet égard que « les contrôleurs de l’Agence peuvent […] solliciter des documents et renseignements se rapportant à une période antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016 dès lors que ces documents et renseignements sont utiles [et notamment s’] ils sont de nature à permettre d’appréhender concrètement l’exposition de l’entité contrôlée aux risques de corruption et de trafic d’influence eu égard à la façon dont l’entité contrôlée a fait face dans le passé à l’exposition à ces risques ».
Outre le « temps-homme », les coûts de traduction qui peuvent être générés pour la production de documents en langue française doivent aussi être pris en compte car à la charge de l’entreprise contrôlée.
Etape 2 : contrôle dans les locaux de l’entreprise contrôlée
Afin de compléter ou d’approfondir certains éléments en réponse au questionnaire précité, l’AFA se rend dans les locaux de l’entreprise afin de rencontrer les personnes qu’elle a identifiées (direction générale, direction juridique, direction financière ou encore fonctions support). A cette fin, l’AFA transmet en amont une liste d’interlocuteurs qu’elle souhaite rencontrer.
Toutefois, une fois sur place, la liste d’interlocuteurs peut faire l’objet de modification par l’AFA qui peut choisir de ne plus entendre certaines personnes pourtant sélectionnées ou au contraire de s’entretenir avec d’autres non désignées au départ.
Il convient de retenir que si ces entretiens ne sont pas des auditions au sens du droit pénal de sorte qu’aucun procès-verbal n’est établi lors de ces entretiens, la personne entendue peut toutefois être, si elle le souhaite, assistée d’un avocat. La présence de ce tiers permet, outre de rassurer les collaborateurs généralement novices dans ce type d’exercice, de conserver une trace écrite des échanges individuels avec les agents de l’AFA.
Etape 3 : rapport d’enquête préliminaire de l’AFA
A l’issu de cette semaine (4-5 jours en général), l’AFA rédige un rapport d’enquête préliminaire qui est communiqué à l’entreprise contrôlée.
En l’espèce, dans son rapport préliminaire, l’AFA a considéré, au regard des éléments fournis par SONEPAR (documents et entretiens), que cette dernière ne disposait d’aucun des huit outils[1] définis par l’article 17 de la loi Sapin II permettant de lutter et gérer les risques de corruption et de trafic d’influence.
Etape 4 : réponse au rapport d’enquête préliminaire par l’entreprise contrôlée
L’entreprise contrôlée dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception du rapport d’enquête préliminaire pour y répondre. Sa réponse lui donne l’occasion de soumettre des arguments et/ou les éléments nouveaux afin de démontrer qu’elle répond aux exigences de la loi Sapin II.
Etape 5 : notification des griefs via le rapport d’enquête définitif de l’AFA
Après avoir intégré ces réponses à son enquête, l’AFA dispose de deux possibilités : soit, elle estime que l’entreprise contrôlée satisfait aux obligations de compliance précitée et met un terme au contrôle, soit elle déclare que les nouveaux points complétant la réponse au questionnaire (étape 1) sont insuffisants et poursuit la procédure en saisissant sa Commission des sanctions. Dans cette seconde hypothèse, la société concernée dispose de deux mois à compter de la réception de son rapport final pour réponse à la notification des griefs de l’AFA.
Au cas d’espèce, le 6 juillet 2018, SONEPAR a soumis à l’AFA une réponse point par point aux arguments de l’Agence.
Le 13 mars 2019, jugeant ces nouveaux éléments de réponse insuffisants[2], Charles DUCHAINE, ancien juge d’instruction et directeur de l’AFA depuis mars 2017, a (i) notifié ses griefs à SONEPAR dans un rapport définitif et (ii) saisi la Commission des sanctions de l’AFA par une lettre de saisine motivée.
Etape 6 : mémoire de l’entreprise contrôlée en réponse à la notification des griefs (rapport d’enquête définitif)
C’est la procédure administrative écrite qui engagée dans ce dossier.
SONEPAR doit alors répondre dans les deux mois de la réception du rapport d’enquête définitif (notification des griefs) au moyen d’un mémoire en réponse qu’elle doit soumettre à la Commission des sanctions.
De manière plus spécifique, le leader de la distribution de matériels électriques, solutions et services associés a fait part de sa surprise en constatant peu de différences entre le rapport préliminaire et la notification des griefs (rapport définitif) de l’AFA.
Etape 7 : audience devant la Commission des sanctions de l’AFA
S’agissant de la toute première audience tenue par la Commission des sanctions le 25 juin 2019, son format est resté inconnu par SONEPAR.
Dans un souci de transparence et en accord avec sa conception de la compliance, SONEPAR n’a pas sollicité le huit clos de l’audience de sorte que le débat contradictoire était public.
Etape 8 : décision de la Commission des sanctions de l’AFA
A l’issue de l’audience, la Commission des sanctions peut obliger l’entreprise contrôlée à se mettre en conformité avec les obligations de la loi Sapin II et plus précisément de remédier aux griefs soulevés par l’AFA lors de son enquête.
En outre, la Commission peut infliger une sanction pécuniaire à la société si elle juge que les manquements sont trop graves.
Pour SONEPAR, annoncé dans un délai de quatre semaines à compter de l’audience, la décision de la Commission des sanctions est finalement intervenue le 4 juillet 2019.
Le contrôle s’est bien fini pour SONEPAR puisque la Commission a conclu qu’il n’y avait pas lieu à injonction de mise en conformité et à sanction pécuniaire contre elle.
Cette décision est intervenue dans un contexte où SONEPAR avait, entre la notification du contrôle (étape 1) et l’audience (étape 7), continué à mobiliser ses équipes, notamment compliance, pour se mettre en conformité avec ses obligations « Sapin II » selon les griefs reprochés par l’AFA.
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Si la saisine de la Commission des sanctions par l’AFA par cette dernière semble annoncer la fin de toute clémence de la part du régulateur de la compliance, il apparaît que la démarche pédagogique de l’AFA vise non pas la sanction pour la sanction, mais vise à inviter la société contrôlée « à améliorer son dispositif de prévention de la corruption »[3].
[1]« 1° Un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ce code de conduite est intégré au règlement intérieur de l’entreprise et fait l’objet, à ce titre, de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue à l’article L. 1321-4 du code du travail ;
2° Un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ;
3° Une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ;
4° Des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;
5° Des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ces contrôles peuvent être réalisés soit par les services de contrôle comptable et financier propres à la société, soit en ayant recours à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification de comptes prévus à l’article L. 823-9 du code de commerce ;
6° Un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence ;
7° Un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;
8° Un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre ».
Indépendamment de la responsabilité des personnes mentionnées au I du présent article, la société est également responsable en tant que personne morale en cas de manquement aux obligations prévues au présent II.
[2] Selon lui, cinq manquements en matière de compliance subsistaient et notamment une cartographie des risques de corruption et de trafic d’influence ainsi qu’un code de conduite non conforme à l’article 17 de la loi Sapin II.
[3] Communiqué de presse du Directeur de l’AFA suite à la décision SONEPAR