Consommation : retour sur la distinction entre clauses illicites et clause abusives

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

Source : Cass. 1ère civ., 26 septembre 2019, FS-P+B, n° 18-10.891

 

I – LES FAITS 

 

 I – 1.

 

Le 25 février 2013, l’association UFC – Que Choisir (ci-après « UFC ») a assigné la société GDF Suez, devenue Engie (ci-après « ENGIE »), en suppression de clauses illicites ou abusives contenues dans ses conditions générales de vente (ci-après « CGV ») de gaz naturel.

 

UFC ayant été déboutée par la Cour d’appel de Versailles par un arrêt du 16 novembre 2017 a choisi de se pourvoir en cassation.

 

Le présent arrêt est ici commenté uniquement sur la distinction entre clauses abusives et clauses illicites.

 

II – RETOUR SUR LA NOTION DE CLAUSE ABUSIVE ET CLAUSE ILLICITE

 

II – 1. Clauses abusives

 

En matière de droit de la consommation, une clause est qualifiée d’abusive lorsqu’elle crée, au détriment du consommateur (ou du non-professionnel), un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (article L212-1 du Code de la consommation).

 

De manière plus précise, l’article précité explique que le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant :

 

au moment de la conclusion du contrat ;

 

à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion ;

 

à toutes les autres clauses du contrat ;

 

aux clauses contenues dans un autre contrat lorsque deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.

 

Toutefois, le caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

 

Le décret du 20 mars 2009 liste au regard de leur objet ou effet :

 

12 clauses « noires » qui sont de manière « irréfragable présumées abusives » de sorte qu’elles sont interdites (article R. 212-1 du Code de la consommation) ; et

 

10 clauses « grises » qui sont « présumées abusives » de sorte que le professionnel doit rapporter la preuve contraire (article R. 212-2 du Code de la consommation).

 

II – 2. Clauses illicites

 

Le sort des clauses illicites est prévu par l’article 1171 du Code civil qui prévoit sous l’angle du contrat d’adhésion que :

 

« toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

 

Et de préciser que l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.

 

La présence de clauses illicites dans le contrat est sanctionnée par leur réputation non-écrite et, en pratique, par leur suppression individuellement sans pour autant anéantir le contrat dans sa globalité.

 

III – LA POSITION DE LA COUR D’APPEL ET DE LA COUR DE CASSATION

 

 

Clause litigieuse

Cour d’appel

Cour de cassation

Article 3.3 des CGV :

« Le délai prévisionnel de fourniture est convenu entre le Fournisseur et le Client, dans le respect des contraintes imposées par le Distributeur. Il figure dans le catalogue des prestations du distributeur ».

Décision : rejet de la demande de suppression de cette clause.

Motif : si le délai prévisionnel de fourniture de l’énergie n’est pas mentionné dans la clause, une telle information figure dans les conditions particulières du contrat.

Décision : censure de l’arrêt au visa de l’article L. 121-87, 8°, devenu L. 224-3, 8°, du Code de la consommation.

Rappel : « il résulte de [l’article précité] que l’offre de fourniture d’électricité ou de gaz naturel doit préciser, dans des termes clairs et compréhensibles, le délai prévisionnel de fourniture de l’énergie ».

Décision: « en statuant ainsi, alors que la clause litigieuse ne permettait pas au consommateur de connaître, avant la conclusion du contrat, le délai prévisionnel de fourniture de l’énergie, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Conclusion : la clause litigieuse est illicite en ce qu’elle est directement contraire à ce que prévoit désormais l’article précité, savoir : « L’offre de fourniture d’électricité ou de gaz naturel précise, dans des termes clairs et compréhensibles (…) le délai prévisionnel de fourniture de l’énergie »

Article 7.1 des CGV :

« À défaut de paiement intégral dans le délai prévu, les sommes dues sont majorées sans mise en demeure de pénalités égales aux sommes restant dues multipliées par le nombre de jours de retard, que multiplie 1,5 fois la valeur journalière du taux de l’intérêt légal en vigueur ».

Décision : validation de la clause et rejet des demandes de l’UFC.

Motif : le défaut de réciprocité de la pénalité infligée au consommateur en cas de retard de paiement ne crée aucun déséquilibre significatif à son détriment, dès lors que la société n’a pas la maîtrise du réseau de distribution, qu’elle subit d’importantes contraintes techniques et que la pénalité infligée au client apparaît modérée.

Décision :

Décision : cassation au visa des articles L. 132-1 et R. 132-1, 5° (devenus L. 212-1 et R. 212-1, 5°, du Code de la consommation).

Motif : « alors que la pénalité encourue par le consommateur en cas de retard de paiement ne s’accompagnait d’aucune pénalité réciproque en cas de manquement de la société à son obligation principale de fourniture d’énergie, peu important son défaut de maîtrise du réseau de distribution, l’ampleur de ses contraintes techniques et la modicité de la pénalité infligée au consommateur, la cour d’appel a violé les textes susvisés »

Conclusion : la clause litigieuse est bien abusive pour la Haute Juridiction en ce qu’il s’agit de la 5ème clause abusive (sur les 12 listées) qui vise à « contraindre le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n’exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d’un bien ou son obligation de fourniture d’un service ».

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