Quid de l’indemnisation du préjudice né de la brutale rupture de relation commerciale établie faisant suite à l’annonce de la cession d’un fonds de commerce ?

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

Source : Cass. com., 3 juillet 2019, F-D, n° 17-18.681

 

I – LES FAITS 

 

Le 28 mai 2003, CITROEN a conclu avec un garage (société S) un contrat de réparateur agréé pour une durée de cinq ans, soit jusqu’au 28 mai 2008. Le contrat a été prorogé jusqu’au 31 mai 2011.

 

La société S avait pour obligation de conserver l’ensemble des documents relatifs à aux opérations de réparation au titre de la garantie pendant une certaine période au cours de laquelle CITROEN pouvait réaliser un audit sur lesdites opérations et, le cas échéant, exiger le remboursement des facturées indûment payées en raison de prestation mal ou non effectuées.

 

Un second contrat de réparateur agréé a été conclu entre les mêmes parties le 1er juin 2011.

 

En octobre 2011, CITROEN effectue un audit comme décrit précédemment sur les opérations de réparation réalisées en avril 2011.

 

Le 28 novembre 2011, la société S a informé CITROEN de son intention de céder son fonds de commerce.

 

Le 23 décembre 2011, constatant la facturation et l’encaissement de prestations de réparation non effectuées par son cocontractant, CITROEN a alors résilié ce second contrat avec effet immédiat et a assigné la société S en restitution des sommes indûment facturées et en paiement de l’indemnité prévue conventionnellement.

 

Contre-attaque de la société S qui a demandé reconventionnellement des dommages et intérêts pour résiliation abusives du contrat précité et rupture brutale de la relation commerciale établie.

 

La cession du fonds de commerce de la société S est finalement intervenue le 5 avril 2012.

 

Conjuguant cession de fonds de commerce et rupture brutale, l’arrêt ici commenté pose la question de savoir si l’annonce de la cession du fonds de commerce par un distributeur fait perdre le caractère établi de la relation commerciale.

 

En d’autres termes, il s’agit de déterminer la date à laquelle la relation commerciale entre les parties au litige a cessé.

 

II – POSITION DE LA HAUTE JURIDICTION

 

II – 1. Sur le fondement de la brutale rupture (L. 442-6, I, 5° du Code de commerce)

 

Pour la Cour d’appel, l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne peut trouver à s’appliquer puisqu’avant même que CITROEN ne résilie le contrat litigieux (le 23 décembre 2011), la société S lui avait annoncé son intention de céder son fonds de commerce (le 28 novembre 2011). En d’autres termes, pour les juges du second degré, le terme de la relation commerciale est intervenu à l’initiative de la société S en date du 28 novembre 2011.

 

Rectification de la Chambre commerciale de la Cour de cassation : l’annonce de la société S faite à CITROEN de son intention de céder son fonds de commerce n’a pas fait perdre le caractère établi de la relation commerciale. La fin de cette relation commerciale ne pouvait intervenir qu’à compter de la cession du fonds. Cette cession est intervenue le 5 avril 2012

 

II – 2. Sur la demande de réparation du préjudice (1147 du Code civil)

 

Pour la société S, son préjudice repose sur la perte de sa qualité de réparateur agréé de CITROEN jusqu’à la vente de son fonds de commerce qui est le résultat, selon elle, de la rupture fautive du contrat litigieux par CITROEN.

 

Sur ce point, les juges du second degré ont accordé une somme de 30 000 euros à la société S au regard des éléments comptables produits par cette dernière.

 

De son côté, la Haute juridiction a jugé que cette somme a été accordée à la société S sur la base d’une évaluation forfaitaire du montant du préjudice de la société défenderesse de sorte que la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil.

 

*****

 

A la question « quelle est l’influence de la cession du fonds de commerce d’un cocontractant sur la relation commerciale ? », la Cour de cassation reconnaît que la relation commerciale établie peut se poursuivre avec le cessionnaire dès lors que ce dernier et le cocontractant du cédant ont exprimé leur volonté et leur intention de continuer la relation commerciale antérieure.

 

L’enjeu est ici déterminant puisque le calcul de la durée du préavis est fondé sur la période de l’ancienneté de la relation commerciale établie.

 

Ainsi, l’acquisition d’un fonds de commerce nécessite d’appréhender la question de la reprise des contrats du cédant, mais surtout de trancher la question de poursuivre la relation commerciale établie « dans les pas » de son « prédécesseur ». Au regard des enjeux juridiques et financiers, il entre dans la stratégie de l’acquéreur et du futur partenaire de savoir anticiper la question de la brutale rupture.

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