SOURCES : Cass com 2 novembre 2016, n° 16-10.363 (Inédit)
Cass com 23 septembre 2014 n°13-17.347 publiée au Bulletin
Il s’agit d’un arrêt Inédit, mais sur ce point, il faut reconnaître que les Chambres Civiles sont avares de décisions publiées, et d’une manière générale, n’ont pas convenance à fixer des principes généraux auxquels les juristes pourraient se rattacher. Il leur appartient en conséquence de collationner les décisions inédites et d’en tirer des principes généraux avec une marge d’erreur qu’il convient nécessairement d’apprécier.
La décision commentée peut être comparée… à une décision contraire à pratiquement deux ans d’intervalle (I), ce qui nous amènera à dresser un portrait de la problématique des garanties consenties par les SCI au bénéfice de leur associé (II).
I – LA DECISION COMMENTEE ET SON CONTRAIRE
I – 1.
Aux termes de la décision commentée, une banque consent un prêt au gérant majoritaire d’une SCI pour lui permettre de libérer son apport en numéraires, grâce auquel la société acquiert des biens immobiliers à usage commercial.
Aux fins de favoriser l’obtention du prêt, la SCI fournit une garantie hypothécaire autorisée à l’unanimité des associés par une assemblée générale, sur le seul bien lui appartenant.
Pour répondre au défaut de paiement de l’associé, la banque tente de faire vendre aux enchères publiques, l’immeuble sur lequel la SCI lui avait consenti une garantie. La SCI s’y oppose, arguant la nullité de la sûreté immobilière.
Selon elle, le cautionnement était contraire à l’intérêt social de la SCI « dès lors que sa mise en jeu pouvait conduire à mettre en cause l’existence même de cette société, compte tenu du montant de la créance de la banque et de la valeur de son patrimoine immobilier, puisque son entier patrimoine devait être réalisé pour y faire face (…) ».
Saisie de la difficulté, la Cour de Cassation approuve la Cour d’Appel de REIMS qui pour dire valable la garantie, avait relevé que « Le cautionnement litigieux a permis à la SCI d’acquérir un patrimoine immobilier et de percevoir des revenus tirés du bail commercial exploité par le débiteur cautionné ou par les exploitants ultérieurs, et retient que sans ce cautionnement, elle n’aurait pu se doter ni d’immeuble, ni de revenus fonciers (…), peu importe à cet égard que la garantie consentie pouvait peser sur l’existence « même » de la société en raison du possible engagement de son entier patrimoine en cas de réalisation de la sûreté. »
Soit…
I – 2.
Mais deux ans plus tôt, dans un arrêt publié au Bulletin[1], la même Chambre Commerciale de la Cour de Cassation avait jugé que n’était pas valide la sûreté accordée par une Société Civile en garantie de la dette d’un associé, dès lors qu’étant de nature à compromettre l’existence même de la société, elle est contraire à l’intérêt social, et ce même lorsque l’acte entre dans l’objet statutaire.
Et la Cour de juger (titrages et résumé) que « Statue dès lors à bon droit une Cour d’Appel qui constatant que l’immeuble donné en garantie du prêt consenti à l’un des associés constituait le seul bien de la Société Civile, de sorte que celle-ci qui ne tirait aucun avantage de son engagement mettait en jeu son existence même, prononce la nullité de la sûreté souscrite par la société. »
La Chambre Commerciale nous fait-elle « tourner chèvre » ?
C’est possible, mais ce n’est pas certain.
I – 3.
Dans la décision de 2014, la Cour de Cassation avait à juger une affaire dans laquelle le créancier se contentait de soutenir « qu’un acte qui entre dans l’objet social statutaire d’une Société Civile Immobilière est conforme à l’intérêt social de cette société. »
Ainsi, la conformité de la garantie à l’objet social était, selon le créancier, une condition suffisante à la validité de la sûreté. La Cour de Cassation a jugé le contraire en faisant une distinction entre une garantie conforme à l’objet social qui pouvait être contraire (ou non) à l’intérêt social lorsque notamment, sa mise en œuvre était de nature à compromettre son existence par la vente du seul bien dont elle était propriétaire.
Il est donc logique que la SCI, dans l’arrêt commenté de 2016, ait repris à la ligne près l’argument, sur la base d’une équation : les sûretés données sur la totalité du patrimoine d’une société dont la réalisation compromet son existence, constituent intrinsèquement un manquement à l’intérêt social.
Dans son arrêt de 2016, la Cour de Cassation invite ses lecteurs à examiner l’intérêt social sous un angle différent. Le défaut d’intérêt social n’est caractérisé que lorsque la société n’a absolument aucun intérêt à consentir une sûreté. Tel n’est pas le cas lorsque la garantie, comme en l’espèce, permet à l’associé d’emprunter les fonds nécessaires à la SCI, pour autofinancer l’acquisition des biens sur lesquels elle consent un cautionnement au banquier.
Et comme l’explique justement la Cour de Cassation, sans ce financement, la SCI n’acquiert pas de bien et ne touche pas de loyer.
Et sur ce point, il faut admettre que si le montage est un peu « à l’envers », puisque c’est l’associé qui emprunte et non la SCI, alors que c’est cette dernière qui achète l’immeuble, l’utilisation d’une norme plus orthodoxe aurait nécessairement dû conduire la SCI à emprunter et à garantir l’immeuble objet de l’emprunt.
Il s’en déduit une certaine forme de complexité dans l’appréciation de la validité d’une sûreté consentie par une société au bénéfice de ses associés.
Cette complexité est d’ailleurs beaucoup plus large que le débat relatif aux deux décisions commentées.
II – SURETE CONSENTIE PAR UNE SCI AU PROFIT D’UN TIERS : CE QU’IL FAUT RETENIR
Les moyens de défense de la SCI sont en général accès sur des conditions de forme (II-1) et des conditions de fond uniquement accès sur le défaut d’intérêt social (II-2).
II – 1. Condition de forme
Il faut tout d’abord que la SCI puisse statutairement consentir des garanties (II-11) et que cette garantie soit consentie par un organe compétent (II-12).
II – 11. Les garanties doivent statutairement faire partie de l’objet social
Sur ce point, l’affirmation doit être appréciée avec l’esprit critique du juriste. En effet, la validité d’un cautionnement donné par une Société Civile peut être appréciée par les Chambres Civiles de la Cour de Cassation, et notamment la 3ème Chambre, mais également par la Chambre Commerciale, ces deux Chambres ne s’étant certainement pas concertées pour harmoniser leur jurisprudence.
Il faut comprendre de cette remarque que par l’effet de la dévolution de l’affaire devant une Chambre civile ou commerciale, certains moyens ont plus de chance que d’autres d’être admis.
On peut quand même admettre qu’à défaut de disposition particulière statutaire, la constitution de garantie pour la dette des associés n’entre pas par principe de l’objet social d’une société, de sorte qu’une sûreté consentie en dehors dans l’objet social serait nulle.
A l’inverse, ne pourrait pas être critiquable une garantie consentie par une SCI dont l’objet social prévoit la fourniture de ce type de garantie et attribue au gérant, le pouvoir seul de les signer[2].
Mais pour la Chambre Commerciale, le silence des statuts n’est pas nécessairement une cause de nullité, dès lors que la garantie ne serait pas « contraire » à l’intérêt social[3]. Il faut y voir ici un critère alternatif au silence de l’objet social et la référence à une communauté d’intérêt (associé et SCI).
Cette communauté d’intérêt a été retenue :
– entre sociétés du même groupe : holding / filiale[4] ;
– mais également lorsqu’il a été opéré patrimonialement une dissociation entre l’activité économique et le patrimoine immobilier (holding / société d’exploitation / SCI)[5].
Il ne faut toutefois pas trouver dans cette notion de communauté d’intérêt la recette du bonheur. Ainsi, l’identité de bénéficiaire économique (mêmes associés) ne présume pas la communauté d’intérêt.
II – 12. Une garantie consentie par une personne statutairement autorisée
L’intégration dans l’objet social de la possibilité pour la SCI de consentir des garanties, ne remplit pas toutes les conditions de forme que doit vérifier le créancier. Il doit aussi rechercher si le gérant est statutairement autorisé seul, c’est-à-dire sans décision de la société à consentir des garanties au nom de la SCI. A cet égard, le fait de consentir une garantie n’est pas un acte d’administration mais un acte de disposition, de sorte que les pouvoir du gérant devront ici s’apprécier au regard des dispositions statutaires relatives aux actes de disposition. Ainsi, lorsqu’un gérant n’est pas autorisé à vendre seul, c’est-à-dire sans autorisation de l’assemblée un immeuble, alors il n’est pas non plus autorisé à consentir seul une sûreté sur un immeuble au bénéfice du créancier.
Dans ce cas, il faut avoir recours aux dispositions de l’article 1854 du Code Civil qui dispose que « Les décisions peuvent encore résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte ».
Il convient alors de suppléer à l’absence de pouvoir des gérants statutaires par un vote unanime des associés, qui a par ailleurs le mérite de régler par la même occasion, les risques d’abus de majorité. Ce principe est admis depuis longtemps par la Cour de Cassation[6].
II – 13. Règles de prudence
Il importe en conséquence aux parties de vérifier, avant la fourniture des garanties :
– si l’objet social autorise la fourniture de garanties au bénéfice d’un tiers ;
– si le gérant peut consentir seul une garantie ;
– à défaut (et même par sûreté) réunir les associés aux fins d’obtenir une autorisation unanime au consentement de la garantie ;
– vérifier nonobstant ces règles de formalisme, que la société a bien un intérêt à consentir la garantie cf. infra).
II – 2. CONDITION DE FOND : UNE SURETE NON CONTRAIRE A L’INTERET SOCIAL DE LA SOCIETE
Très clairement, la conformité de la sureté à l’intérêt social de la société est une condition de fond qui s’ajoute à la condition de forme[7]. Peu importe à cet égard que la sûreté ait été consentie avec l’accord unanime des associés.
Et sur ce point, la Chambre Commerciale et la Chambre Civile s’entendent, la 3ème Chambre ayant jugé en 2012[8] :
« Le cautionnement, même accordé par le consentement unanime des associés, n’est pas valable s’il est contraire à l’intérêt social. »
Il faut vraisemblablement intégrer dans l’intérêt social toutes les circonstances qui permettent à la société de tirer partie de l’opération à l’origine de la sûreté consentie et ne pas s’arrêter simplement à l’absence d’intérêt social en cas de risque portant sur l’existence même de la société à raison de la disparition de ces actifs.
Eric DELFLY
VIVALDI-Avocats
[1] Cass com 23/09/2014, n° 13-17.347, bull 2014 IV n° 142
[2] Attention à l’abus de majorité lorsque la garantie profite uniquement au majoritaire : cass 3ème civ 25/03/1998, n° 96-17.307
[3] Cass com 18/03/2003, n° 00-20041
[4] CA PARIS 21/04/1982, RTDcom 1982, p 258
[5] Ex : cass 1ère 01/02/2000, n° 97-17.827 ou cass com 03/12/2003, n° 02-1163
[6] Voir notamment cass 3ème civ 04/02/1971, n° 69-11.047 ou cas 1ère civ 08/11/2007, n° 04-17.893
[7] Cass com 03/06/2008, n° 07-11.785 ou cass com 08/11/2011, n° 10-24.438 ou cass com n° 96-19.260
[8] Cass 3ème civ 12/09/2012, n° 11-17.948