Société civile : le conjoint survivant d’un associé est un héritier comme un autre…

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

 

SOURCE : Cass.com,  06 novembre 2012 n° 11-25.058, F-D, Arrêt n° 1098.

 

Dans cette espèce, une société civile, constituée sous forme de Groupement Foncier Agricole (GFA) avait été constituée entre des parents et leurs quatre enfants, puis au décès du père s’était poursuivie avec la mère et ses quatre enfants.

 

L’un des quatre enfants étant décédé à son tour, laissant pour seuls survivants son épouse et ses deux enfants, ceux-ci demandèrent au GFA de les agréer en qualité de nouveaux associés ceci conformément à l’article 10 des statuts du GFA.

 

L’Assemblée Générale Extraordinaire du GFA, par une résolution adoptée du 11 décembre 2004, refusa d’agréer l’épouse survivante et ses deux enfants en qualité d’associés.

 

Dans le cadre des opérations de succession, l’épouse survivante opta pour ¼ en pleine propriété et ¾ en usufruit des biens de son époux prédécédé.

 

Pourtant, par une nouvelle résolution adoptée le 16 juillet 2005, l’Assemblée Générale Extraordinaire du GFA refusa à nouveau d’agréer l’épouse survivante et ses deux enfants en qualité d’associés.

 

Ayant pourtant recueilli la propriété de ses parts dans le cadre de la succession, l’épouse survivante et ses deux enfants procédèrent à des opérations sur le démembrement de la propriété desdites parts, de sorte que l’épouse survivante consentait à ses deux enfants une donation-partage portant sur les parts du GFA.

 

Dans le même temps, l’épouse survivante et ses deux enfants avaient saisi le Tribunal de Grande Instance aux fins de se voir reconnaître la qualité d’associés du GFA, nonobstant le refus d’agrément, demande qui fut accueillie favorablement par un Jugement du Tribunal de Grande Instance de MEAUX.

 

Par suite, l’ensemble du groupe familial se retourna contre l’épouse survivante et ses deux enfants et interjeta appel de la décision.

 

La Cour d’Appel de PARIS, dans un Arrêt du 29 juin 2011, vint infirmer la décision des premiers juges, en tenant le raisonnement suivant :

 

– Aux termes de l’article 1156 du Code Civil, “on doit, dans les conventions, rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes”.

 

– Aux termes de l’article 1870 alinéa 1er, du même Code, “la société n’est pas dissoute par le décès d’un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu’ils doivent être agréés par les associés”.

 

– Aux termes de l’article 10 des statuts du GFA relatif au décès ou à l’incapacité d’un associé, “le groupement n’est pas dissous par le décès… d’un associé et en cas de décès d’un associé, les héritiers en ligne directe de l’associé prédécédé, qui le désireraient, deviennent associés pour les parts de leur auteur, s’ils sont agréés par une décision unanime des associés survivants”.

 

Il ne saurait être déduit de cet article 10 des statuts du GFA, par une interprétation à contrario de ses dispositions, que les héritiers qui ne sont pas en ligne directe ne sont pas soumis à un agrément, dès lors qu’une telle déduction conduirait à soumettre au final à l’agrément les seuls héritiers en ligne directe et à dispenser d’agrément les autres héritiers, tel le conjoint survivant ou toute autre personne extérieure à la famille, alors que le GFA présente un caractère exclusivement familial.

 

– Il résulte implicitement mais nécessairement de l’article 10 des statuts du GFA que, outre les légataires, les héritiers autres que ceux en ligne directe tel le conjoint survivant, peuvent devenir associés pour les parts de leur auteur s’ils sont agréés par une décision anonyme des associés survivants.

 

– Dans ces conditions, l’épouse survivante qui n’avait pas été agréée par une décision des associés n’était pas devenue associée du GFA, la seule propriété des parts du GFA acquises dans le cadre de la dévolution successorale ne lui ayant pas conféré une telle qualité, et il en est de même pour ses enfants.

 

Suite à cette décision, un pourvoi en Cassation fut introduit par les deux enfants tant pour eux-mêmes qu’en leur qualité de représentants de leur mère entretemps décédée.

 

Mais la Cour de Cassation, dans l’Arrêt précité du 06 novembre 2012, rejette le pourvoi, considérant que c’est par une intervention souveraine, exclusive de dénaturation de la commune intention des parties lors de la signature des statuts du GFA, que l’Arrêt retient qu’il résulte implicitement, mais nécessairement, de l’article 10 de ces statuts que les héritiers autres que ceux en ligne directe, tel le conjoint survivant, ne peuvent devenir associés pour les parts de leur auteur que s’ils sont agréés par une décision unanime des associés survivants.

 

Ayant tout simplement constaté que l’épouse survivante n’avait pas obtenu cet agrément à deux reprises, la Cour de Cassation en a exactement déduit que l’épouse survivante n’était pas devenue associée du GFA.

 

La Cour relève également que la cession de parts qui avait été consentie par l’épouse décédée à ses deux enfants n’avait pas à être soumise à l’agrément des associés et avait donc régulièrement produit ses effets, mais que pour autant cette cession ne leur avait pas conféré la qualité d’associés, qui leur avait été refusée à deux reprises par l’Assemblée Générale Extraordinaire des associés, de sorte que les deux enfants n’avaient pas non plus acquis la qualité d’associés nonobstant la propriété des parts dont ils avaient hérité.

 

Décision intéressante de la Cour de Cassation qui rappelle bien la distinction qu’il y a à opérer entre la propriété des parts sociales acquises dans le cadre d’une dévolution successorale, sur laquelle le défaut d’agrément ne produit aucune conséquence, et la qualité d’associé qu’il est nécessaire d’obtenir pour exercer les droits de vote notamment attachés auxdites parts sociales, agrément souverainement donné par l’Assemblée Générale des associés.

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

Partager cet article