Les suites de l’absence de pouvoir juridictionnel du juge commissaire : le flou…est à peine moins flou

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

 

Source : Cass. Com. 09/04/2013 pourvoi n°12-15.414 F – P + B

  

La question des pouvoirs du juge commissaire en matière de vérification du passif fait l’objet d’une jurisprudence aussi abondante que nécessaire, eu égard à la rédaction pour le moins hasardeuse des textes qui la régissent.

 

En effet, l’article L624-2 du Code de Commerce dispose :

 

« Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate, soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence ».

 

Cet article est complété par l’article R624-4 :

 

« Lorsque la compétence du juge commissaire est contestée ou que ce juge soulève d’office son incompétence, le Greffier convoque par lettre recommandée avec demande d’avis de réception le débiteur, le mandataire judiciaire et l’administrateur, lorsqu’il en a été désigné ».

 

Ainsi que par l’article R624-5 :

 

« La décision d’incompétence ouvre au créancier, au débiteur et au mandataire judiciaire un délai d’un mois à compter de la notification ou de la réception de l’avis délivré pour saisir la juridiction compétente à peine de forclusion, à moins de contredit ».

 

La jurisprudence est donc venue préciser, en matière de vérification du passif, que le juge commissaire était le juge de l’évidence, et que toute contestation supposant une analyse plus approfondie ne relevait pas de sa compétence.

 

Plus exactement, la jurisprudence a distingué deux cas :

 

–       L’incompétence du juge commissaire, au sens strict, dans les cas où le litige porté devant le juge commissaire est indépendant de la question de la vérification des créances. Tel est par exemple le cas lorsque le débiteur oppose à une banque qui déclare sa créance la compensation avec une créance de dommages et intérêts pour soutien abusif. Plus généralement et sans que cette définition ne puisse synthétiser l’étude casuistique extrêmement complexe de la jurisprudence existante à laquelle se livre la doctrine, il peut être considéré que les procédures dans lesquelles sont présentées des demandes reconventionnelles comportent des éléments nouveaux dans des proportions telles que le juge commissaire, juge de l’évidence, est manifestement incompétent.

 

–       L’absence de pouvoir juridictionnel du juge commissaire. Il s’agit là selon nous de la même distinction qui existe entre le pouvoir juridictionnel du juge des référés et celui des juges du fond. En matière de vérification du passif, le juge commissaire est le juge de l’évidence, et dès lors que la créance soumise à sa vérification comporte une analyse d’une difficulté que l’on pourrait qualifier de contestation sérieuse, le juge commissaire doit constater que celle-ci dépasse son pouvoir juridictionnel. La jurisprudence est d’ailleurs relativement stricte sur le sujet, et les exemples sont multiples de cas où malgré la présentation d’argumentations complètes par les parties, le juge commissaire qui disposait pourtant de tous les éléments pour statuer, n’avait pour autant pas le pouvoir juridictionnel pour le faire et aurait dû le constater dans sa décision.

 

La distinction entre l’incompétence du juge commissaire, et l’absence de pouvoir juridictionnel est loin d’être anodine.

 

Abordons tout d’abord le régime de l’incompétence.

 

Il s’agit d’une exception devant, par conséquent, être soulevée in limine litis.

 

Elle n’a en revanche pas à être soulevée d’office par le juge sauf à ce que celle-ci soit d’ordre public.

 

La décision d’incompétence a pour effet de dessaisir le juge, qui a l’obligation, dans la décision qu’il rend, d’indiquer la juridiction compétente.

 

L’article R624-5 du Code de Commerce précité s’applique dans ce cas : les parties à qui l’ordonnance d’incompétence a été notifiée dans les 8 jours, disposent d’un délai d’un mois pour saisir la juridiction compétente, à peine de forclusion.

 

Le régime de l’absence de pouvoir juridictionnel du juge commissaire est très différent.

 

Il s’agit cette fois d’une fin de non recevoir, qui peut donc être invoquée en tout état de cause.

 

S’agissant en outre d’une fin de non recevoir, le juge doit la soulever d’office, après avoir invité les parties à se prononcer sur ce point.

 

Par ailleurs, et à la grande différence de la décision d’incompétence, le juge commissaire qui estime que le litige dépasse son pouvoir juridictionnel doit rendre une décision de sursis à statuer, qui ne le dessaisit pas.

 

La conséquence est essentielle : il appartient toujours aux parties de saisir la juridiction compétente (que le juge commissaire n’a d’ailleurs pas à désigner dans sa propre décision) mais il semblerait, selon la doctrine, et si l’on fait la lecture stricte qui semble s’imposer de l’article R624-5, que cette saisine de la juridiction compétente n’est enfermée dans aucun délai, et ne peut faire encourir aux parties la forclusion.

 

Les exceptions sont d’interprétation stricte, et il semble impossible d’appliquer le délai de l’article R624-5 à une « simple » fin de non recevoir, sauf à tordre la lettre du texte dans des proportions peu satisfaisantes.

 

La doctrine fait d’ailleurs observer que l’article R624-5, in fine évoque la possibilité d’un contredit, c’est-à-dire le recours spécifique en matière de compétence.

 

Ainsi, appliquer le délai de l’article R624-5 à la fin de non recevoir que constitue l’absence de pouvoir juridictionnel du juge commissaire, conduirait à faire dire au texte l’exact contraire de ce qu’il affirme[1].

 

 

C’est sur cette dernière question du délai en cas de décision du juge commissaire constatant son absence de pouvoir juridictionnel que porte l’Arrêt ici commenté.

 

En l’espèce, le juge commissaire avait constaté son absence de pouvoir juridictionnel, et invitait les parties à saisir leur juge naturel.

 

Ni le débiteur, ni le créancier contestés ne le font dans le délai du mois.

 

Le créancier saisit alors à nouveau le juge commissaire, et soutient qu’à défaut d’introduction de l’instance au fond par le débiteur, il appartient au juge commissaire de constater l’admission de sa créance.

 

Le juge commissaire, confirmé par la Cour d’Appel, statue dans le sens exactement inverse, considérant qu’à défaut de saisine du juge du fond par les parties, la forclusion a joué et que la créance est non pas admise sans contestation, mais rejetée comme forclose.

 

Un pourvoi est formé à l’encontre de cette décision, et la Cour de Cassation casse l’Arrêt.

 

La haute juridiction considère en effet que le juge commissaire, et consécutivement la Cour d’Appel saisie du recours, faisait le constat de son absence de pouvoir pour se prononcer sur la validité de la créance contestée, et par conséquent, sur son admission. Dès lors elle ne pouvait pas constater la forclusion, mais devait sursoir à statuer, et inviter, de nouveau, les parties à saisir les juridictions compétentes.

 

Cette décision permet d’affiner le tri dans les différentes jurisprudences en la matière, à synthétiser comme suit :

 

–       En cas de décision d’incompétence, les parties ont un mois pour saisir le juge du fond à peine de forclusion. Sur un plan pratique, il parait acquis que c’est bien au créancier déclarant, même si la contestation émane du débiteur, qu’il appartiendra de saisir le juge du fond. La décision d’incompétence ayant pour effet d’avoir dessaisi le juge commissaire, celui-ci n’est plus en mesure de statuer sur l’admission. Le défaut de saisine dans le délai du mois aura donc pour effet d’écarter définitivement la créance déclarée. Ainsi, et même si le texte vise une saisine possible par toutes les parties (créancier, débiteur, mandataire judiciaire), nous ne pouvons qu’appeler les créanciers à la plus grande vigilance sur ce point ;

 

–       En matière de décision d’absence de pouvoir juridictionnel, les choses sont moins claires :

 

  • ·         Le juge commissaire, en pareille matière, rend une décision de sursis à statuer, qui ne le dessaisit pas ;
  • ·         Le délai du mois de l’article R624-5 semble ne pas s’appliquer ;
  • ·         Si les parties ne saisissent pas la juridiction du fond…il ne se passe rien. Tout au plus, peut-on imaginer que seule la péremption d’instance viendra sanctionner l’inaction du créancier au bout de 2 ans.

 

La décision commentée confirme certains aspects de la distinction entre incompétence et absence de pouvoir juridictionnel, mais la confirmation de l’inapplicabilité du délai de l’article R624-5 à la décision de l’absence de pouvoir juridictionnel est loin d’être incontestable.

 

Il s’agit néanmoins d’un contentieux à suivre, puisqu’il recèle un piège extrêmement dangereux et compliqué à éviter pour les créanciers : en cas de décision d’incompétence, le délai de recours est extrêmement bref pour le créancier…qui peut en outre légitimement penser qu’il ne lui appartient pas d’agir en saisissant les juridictions du fond puisque dans la quasi-totalité des cas la contestation à l’origine de la décision d’incompétence émanera de son adversaire, le débiteur.

 

Le contentieux en matière de vérification du passif promet encore de beaux jours aux commentaires de jurisprudence.

    

 

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi Avocats 



[1] Voir notamment l’étude de Madame le professeur J. VALLANSAN : « exception d’incompétence aux fins de non recevoir pour absence de pouvoir ? du flou dans la procédure de vérification des créances » Revue des procédures collectives n°2, mars 2012, étude 9

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