Liquidation judiciaire du locataire-gérant, résiliation du contrat de location-gérance : transfert automatique des contrats de travail en cours au propriétaire du fonds de commerce, même sans jouissance effective du fonds.

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

La résiliation d’un contrat de location-gérance par le liquidateur judiciaire entraine automatiquement le retour du fonds dans le patrimoine de son propriétaire, lequel doit assumer toutes les obligations du contrat de travail. La circonstance que le propriétaire-bailleur du fonds n’était pas en capacité de jouir du fonds à la date de résiliation de la location-gérance est sans effet, seule la « ruine du fonds » étant de nature à faire échec à ce principe.

SOURCE : Cass. soc. 3 avril 2024, n°22-10261, FS – B

I – L’arrêt commenté

Chronologiquement repris, une société propriétaire d’un fonds de commerce (Ci-après : « le Propriétaire ») a donné en location-gérance celui-ci à un locataire-gérant (Ci-après : « le Locataire-gérant »), lequel a employé plusieurs salariés entre le 1er mai 2000 et le 8 juillet 2016.

Par jugement d’ouverture en date du 24 janvier 2017, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice du Locataire-gérant, procédure convertie en liquidation judiciaire.

Le liquidateur judiciaire désigné, a notifié au Propriétaire par correspondance datée du 6 février 2017, l’impossibilité de poursuivre la location-gérance, et son intention de restituer le fonds à compter du jour de la liquidation judiciaire, avec cette précision que la date d’entrée en jouissance du fonds serait différée, puisque conditionnée par les opérations d’inventaire.

Postérieurement au transfert des contrats de travail en cours au Propriétaire, et confrontés au refus de ce dernier de verser les salaires au titre de la période comprise entre le 6 février et le 31 mars 2017 (cf infra), les salariés ont saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes, salariales et indemnitaires.

Enfin, et par jugement en date du 15 octobre 2019, le Propriétaire a été placé en redressement judiciaire.

Pour débouter les salariés requérants de leurs demandes, la juridiction du second degré avait analysé la reprise du fonds et donc des contrats de travail y attachés, à la date à laquelle le Propriétaire a été effectivement placé dans la capacité d’exercer son activité, c’est-à-dire à la date à laquelle il avait reçu les clés du local le 31 mars 2017.

En statuant de la sorte, l’arrêt soumis à la censure de la Haute juridiction, avait fait droit à l’argumentation du Propriétaire, qui avait purement et simplement refusé de prendre en charge les salaires entre le 6 février le 31 mars 2017, faute pour le liquidateur de l’avoir mis en capacité de jouir du fonds de commerce, par la remise des clés.

A tort répond la Cour de cassation, à l’aide d’un raisonnement que l’on peut citer comme suit :

« Il résulte de l’article L. 1224-1 du code du travail que, sauf ruine du fonds, la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur judiciaire entraîne le retour du fonds dans le patrimoine de son propriétaire lequel doit assumer toutes les obligations du contrat de travail. Doit dès lors être cassé l’arrêt qui, pour fixer la date du transfert des contrats de travail, retient que la date effective de la reprise doit être recherchée dans la mise en œuvre des opérations de la liquidation judiciaire et que cette reprise n’a été effective qu’à la réception par le loueur des clefs permettant l’accès aux locaux et au matériel garnissant le fonds ».

Définition de la location gérance

La location-gérance est définie à l’article L.144-1 du Code de commerce, comme tout contrat par lequel le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce ou d’un établissement artisanal, en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l’exploite à ses risques et périls.

A la différence du bail commercial qui porte sur un immeuble ou des locaux, la location-gérance porte sur un bien meuble incorporel (le fonds de commerce).

II – Sur l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail et la notion de « ruine du fonds »

L’arrêt du 3 avril 2024 a été rendu au visa de l’article L.1224-1 du Code du travail, dont il est rappelé les dispositions :

« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

Cette règle du maintien des contrats de travail découlant de l’article L.1224-1 du Code de travail, trouvent application lorsque le fonds de commerce fait l’objet d’une mise en location-gérance ainsi qu’en fin de location-gérance, l’article L1224-1 du Code précité ne trouvant application que pour autant (i) que l’entreprise subsiste et (ii) que son exploitation soit susceptible d’être poursuivie, ce qui est exclu en cas de ruine du fonds[1].

Ce principe du transfert des contrats de travail au propriétaire du fonds s’applique à tous les contrats en cours. Il ne saurait donc se limiter aux salariés qui étaient engagés par le propriétaire du fonds avant la mise en location-gérance, mais concerne également ceux embauchés par le locataire-gérant[2].

III – Sur l’incidence d’une procédure collective

Par principe, l’existence d’une procédure collective affectant le propriétaire du fonds ou le locataire-gérant, est sans effet sur l’application des dispositions précitées, et le transfert des contrats en cours s’effectue normalement de plein droit vers le propriétaire du fonds à l’issue de la location-gérance, sauf ruine du fonds (cf supra).

Ainsi, lorsqu’à la fin de la location-gérance, le fonds est toujours exploitable et qu’une entité économique[3] conservant son identité est transférée au propriétaire-bailleur, lui permettant de poursuivre l’activité, les dispositions de l’article L.1224-1 du Code de travail (L122-12, alinéa 2 ancien) sont applicables quand bien même le locataire-gérant aurait été mis en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire[4].

La circonstance que le fonds soit toujours exploitable, suppose que ce dernier ne soit pas en ruine, celui-ci ne constituant plus une entité économique autonome permettant l’exercice d’une activité.

La problématique de savoir si le fonds est en ruine, s’il est encore en état de fonctionner, est considéré comme une question de fait, appréciée souverainement par les juges du fonds (par exemple, changement d’activité du fonds, de clientèle, d’enseigne, choix de gestion du locataire-gérant, évolution de la masse salariale en cours de location, etc..)[5], laquelle ruine s’apprécie au jour auquel le contrat de location gérance est résilié[6]

En matière de procédures collectives du locataire-gérant, la Haute Cour avait déjà précisé que le fonds de commerce faisait retour au propriétaire du fonds, dès le jugement de liquidation judiciaire lorsque le jugement avait prononcé la résiliation du contrat de location-gérance[7].

L’arrêt commenté est intéressant en ce qu’il se prononce sur le moyen soulevé par le Propriétaire, qui avait soutenu que la date à prendre en considération était la date à laquelle il avait été mis en capacité de jouir du fonds de commerce, par la remise des clés, et non la date à laquelle celui-ci a été informé par le liquidateur de l’impossibilité de poursuivre le contrat, et son intention de restituer le fonds à compter du jour de la liquidation judiciaire.

Le moyen soulevé est rejeté par la chambre sociale. Ainsi, en cas de résiliation du contrat de location-gérance par suite d’une liquidation judiciaire du locataire-gérant, il convient de se placer à la date de la résiliation du contrat (en l’espèce la date de notification du courrier du liquidateur judiciaire), peu importe que le propriétaire du fonds ait été ou non placé dans la capacité d’exploiter le fonds.


[1] En ce sens, Cass. soc. 15 janvier 1981,  n°79-15416, FS – PB

[2] En ce sens, Cass. soc. 29 octobre 1974, n°73-40638, FS – PB

[3] Laquelle se définit comme « un ensemble organisée de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’un activité économique qui poursuit un objectif propre » – Cass. soc. 7 juillet 1998, n°96-21451, FS – PB

[4] En ce sens, Cass. soc. 6 novembre 1991, n°90-41600, FS – PB ou à rapprocher de Cass. soc. 19 février 1197, n°95-42009 en cas de résiliation du contrat de location-gérance faisant suite à la mise en liquidation judiciaire du locataire-gérant

[5] En ce sens, Cass. soc. 15 mai 2002, n°99-45971, FS – PB

[6] En ce sens, Cass. soc. 19 février 1997, n°95-42009, FS – PB

[7] En ce sens, Cass. soc. 20 mars 2001, n°99-41392, FS – PB


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