Les salariés licenciés économiques ont un préjudice distinct des autres créanciers

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

Source : Cass. Com. 2 juin 2015, Pourvoi n°13-24.714 FS-P+B+R+I

 

Peu nombreux sont les arrêts qui bénéficient de la publication la plus large (P+B+R+I). C’est dire, du point de vue de la Cour, l’importance de cet arrêt.

 

En l’espèce, un mandataire judiciaire/commissaire à l’exécution du plan avait assigné en responsabilité une banque, postérieurement à l’adoption d’un plan de cession partielle, en raison de l’octroi de crédits supposément ruineux.

 

109 salariés, licenciés économiquement en cours de procédure collective, interviennent volontairement à l’instance, arguant de préjudices distincts de ceux de la société, en l’occurrence :

 

       Une perte pour l’avenir des rémunérations ;

 

       Une atteinte à leurs chances de retrouver un emploi

 

Les juges du fond déclarent irrecevable leur intervention, jugeant que le préjudice allégué par les salariés avait déjà été réparé par les indemnités de licenciement perçues, et que ce préjudice était de toute manière inhérent à la procédure collective et était subi « indistinctement et collectivement par tous les créanciers ». Dans ces conditions, les salariés ne justifiaient pas ni d’un droit à agir, ni d’un intérêt à agir.

 

La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel sur les deux moyens arguments, jugeant que :

 

       l’action en réparation de leur préjudice propre était « étrangère à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers, ne relevait pas du monopole du commissaire à l’exécution du plan », de sorte que les créanciers avaient bien qualité à agir ;

 

       et que « l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de l’action ». C’est-à-dire que l’argument selon lequel le préjudice des salariés avait déjà été indemnisé revenait à considérer que l’existence même du préjudice invoqué était une condition de recevabilité de l’action, alors qu’elle constitue simplement en réalité une condition de son succès. L’intérêt à agir est indépendant du bien fondé de l’action.

 

L’arrêt est important, car il consacre la faculté, pour les salariés, d’engager la responsabilité d’une banque, indépendamment de l’action des organes de la procédure. Leur action n’est pas menée dans l’intérêt collectif de l’ensemble des créanciers, qui relèverait alors du monopole des organes de la procédure collective.

 

Ce faisant, la Cour de Cassation pose, de fait, la définition de l’action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers, et par extension, le domaine du « monopole » des organes de la procédure collective : « l’action en réparation des préjudices invoqués par les salariés licenciés, étrangère à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers, ne relevait pas du monopole du commissaire à l’exécution du plan ».

 

Cette solution, rendue sous l’empire des dispositions antérieures à la loi de Sauvegarde, est parfaitement transposable aux textes actuellement en vigueur… sauf à rappeler que les textes permettant la mise en cause de la responsabilité des établissements bancaires ont changé, en réduisant le champ d’une telle responsabilité (art. L650-1 du Code de Commerce).

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocats

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