Compte courant d’associé

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Dossier expert à jour au 24 septembre 2012[1]

 

 

I – NATURE JURIDIQUE D’UN COMPTE COURANT D’ASSOCIE

 

 

La jurisprudence définit le compte courant d’associé comme une « avance consentie par l’associé à la société en sus de son apport. Il confère à l’associé une créance sociale distincte de celle de l’associé[2] » de sorte que les versements effectués en comptes courants d’associés sont juridiquement qualifiés de prêts et non d’apports par la Cour de cassation[3].

 

 

Sur un plan comptable, les sommes laissées temporairement à la disposition des entreprises par leurs associés, sont inscrites au compte 455. Le cas échéant, les intérêts doivent être inscrits au compte 6615.

 

 

Consécutivement, les sommes inscrites dans les comptes d’une société en tant que dettes à court terme sous le titre « compte courant d’associé » ne constituent pas un apport complémentaire impliquant une augmentation de capital et la création de parts nouvelles au profit de l’associé[4].

 

 

Un tempérament toutefois doit être posé en ce qui concerne les Sociétés Civiles de Construction Vente[5] pour lesquelles la Cour de Cassation a jugé que la valeur des parts sociales est indissociable des fonds versés en exécution des engagements d’associés pour la réalisation de l’objet social et figurant en compte courant[6].

 

 

La valeur de des droits sociaux de ce type de société comprend outre la valeur des parts sociales correspondant à l’apport initial, le montant des appels de fonds auxquels il a été procédé en cours de vie sociale[7].

 

 

II – LIMITES JURIDIQUES A L’APPORT EN COMPTE COURANT

 

II – 1. Au regard du Code Monétaire et Financier

 

 

L’apport en compte courant étant qualifié de prêt consenti par un associé à la société, la légalité de cette opération doit d’abord être examinée au regard des règles du monopole des opérations de crédit consenties aux établissements de crédit et posées à l’article L 511-5 du Code Monétaire et Financier qui interdit « à toute personne autre qu’un établissement de crédit, d’effectuer des opérations de banque à titre habituel ».

 

 

L’article L 312-2 du même Code pose toutefois un  tempérament, en son alinéa 2, en considérant que ne constituent pas des fonds reçus par le public :

 

« 1. Les fonds reçus ou laissés en compte par les associés en nom ou les commanditaires d’une société de personnes, les associés ou actionnaires détenant au moins 5 % du capital social, les administrateurs, les membres du directoire et du Conseil de surveillance ou les gérants, ainsi que les fonds provenant de prêts participatifs. »

 

 

Ainsi, pour pouvoir abonder un compte courant, encore faut-il disposer d’au moins 5 % du capital de la société, sauf à remplir les conditions de l’alinéa 2 de l’article L 511-5 précité : « Il est en outre interdit à toute entreprise autre qu’un établissement de crédit, de recevoir du public des fonds à vue ou à moins de 2 ans à terme ». En d’autres termes, l’associé disposant d’une participation inférieure à 5 % du capital doit consentir à la signature d’une convention de compte courant bloquée pendant une période qui ne saurait être inférieure à 2 ans.

 

 

Il faut toutefois reconnaître que d’un point de pratique, le seuil des 5 % est rarement respectée, peu contrôlée et encore moins sanctionné.

 

 

A cet égard, il semble d’ores et déjà acquis que si l’opération est unique, c’est-à-dire si un associé dispose dans une seule société d’un compte courant d’associé, il ne violerait certainement pas la loi sur le monopole des établissements de crédit, en raison de l’absence de caractère habituel de l’opération. En revanche, la société qui accepte de recevoir ces fonds est considérée comme avoir reçu des fonds du public, laquelle est qualifiée par l’article L 311-1 du Code Monétaire et Financier comme une opération de banque… Mais il reste encore à qualifier l’opération d’habituelle pour que cela tombe sous le coup de la loi.

 

 

Même en intégrant le caractère professionnel de la remise en compte, le raisonnement n’est pas satisfaisant, dans la mesure où le compte courant d’un associé peut être naturellement alimenté par la nécessité de procéder à l’inscription comptable de certaines opérations financières comme par exemple la comptabilisation de frais exposés par l’associé au nom de la société, la comptabilisation de dividendes distribués non encore prélevés, etc., de sorte que la nécessité comptable ne semble pas coïncider avec la rigueur du texte.

 

 

II – 2. Au regard du droit des sociétés

 

 

Si l’apport en compte courant n’a pas de limite en droit des sociétés, sa rémunération entre dans tous les cas où la loi ou les statuts le prévoient dans le cadre des conventions dites réglementées, sauf si cette pratique est prévue même implicitement par les statuts et qu’elle constitue une opération courante conclue à des conditions normales.

 

 

La frontière est parfois difficile à cerner, de sorte qu’il est recommandé de traiter sans recherche de distinction, les conventions de rémunération en compte courant comme des conventions réglementées.

 

 

II – 3. Limites fiscales

 

 

Pour éviter une rémunération excessive des comptes courants d’associés, le législateur n’admet leur déductibilité quelque que soit la forme de la société, que sous certaines limites pour la détermination du résultat fiscal[8] :

 

– Tout d’abord, cette déduction est subordonnée à la condition que le capital ait été entièrement libéré ;

 

– Ensuite, le taux d’intérêt maximum versé doit se situer dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour les prêts à taux variable aux entreprises d’une durée initiale supérieure à 2 ans[9]. Plus concrètement, la valeur trimestrielle de ces taux effectifs moyens sont établis par la Direction Générale du Trésor et publiés au Journal Officiel[10].

 

Pour autant, un intérêt convenu même à un taux inférieur au maxima des intérêts déductibles n’est pas forcément déductible du résultat de la société, si l’apport est fait par une société à sa fille, lorsque celle-ci est manifestement sous-capitalisée au sens de l’article 212 du CGI.

 

Cette limitation suppose donc l’identification d’un lien de dépendance entre 2 personnes morales, soit de détention directe ou indirecte du capital social, soit d’exercice dans les faits de pouvoir de décision, soit de société contrôlée par la même société.

 

Trois limites cumulatives vont alors été examinées :

 

– les avances consenties ne doivent jamais dépasser 1.5 x le montant des capitaux propres ;

 

– les intérêts versés aux sociétés du groupe ne doivent jamais dépasser 25 % du résultat courant avant impôt majoré de certains éléments (dont lesdits intérêts) ;

 

– les intérêts servis à une société du groupe ne doivent pas être inférieurs aux intérêts versés aux autres sociétés liées.

 

 

III – LEGALITE DU COMPTE COURANT DEBITEUR

 

Techniquement, un compte courant débiteur est un prêt consenti par la société à ses associés. Or :

 

=> Dans les Sociétés par Actions, il est interdit à peine de nullité, aux administrateurs, directeurs généraux ou représentants permanents des personnes morales, aux conjoints ascendants et descendants des dirigeants ci-avant visés, de se faire consentir par ces sociétés un découvert en compte courant[11]. A l’inverse, les associés non dirigeants et les associés personnes morales peuvent se faire consentir un découvert en compte courant.

La violation de cette interdiction constitue également sur un plan pénal un abus des biens et    des crédits de la société prévu et réprimé aux articles L 241-3 et suivants du Code de    Commerce[12].

 

 

=> Dans les SARL, l’interdiction s’étend aux dirigeants et associés personnes physiques, ainsi qu’à leurs conjoints ascendants-descendants et à toute personne interposée[13]. Il s’agit dans tous les cas d’une nullité d’ordre public qui peut être invoquée par les tiers et les créanciers sociaux lésés dès lors qu’ils sont en mesure de justifier un intérêt personnel, légitime et juridiquement établi[14].

 

Enfin, pour les « astucieux » de la comptabilité, il est rappelé qu’il est impossible de compenser le solde débiteur d’un compte courant d’associé qu’il présente à l’actif avec une provision pour prime exceptionnelle comptabilisée dans un compte 428 « personnel-charges impayés »[15]. En revanche, dans toutes les autres sociétés dans lesquelles les associés sont personnellement tenus des dettes sociales au-delà de leurs apports, l’existence d’un compte courant débiteur reste possible, mais fiscalement réglementée.

 

En effet, sauf preuve contraire, les sommes mises à la disposition des associés ou par personne interposée à titre d’avance de prêt ou d’acompte sont considérées comme des revenus distribués[16]. Echappent cependant à cette qualification, les comptes courants débiteurs :

 

– qui ont été remboursés à la société[17] à une date antérieure à celle de la réception par la société d’avis de vérification de l’exercice en cause ou en cas de contrôle inopiné antérieurement au passage du vérificateur[18] ;

 

– lorsque le débit peut être qualifié d’un prêt, qui pourrait être opposable à l’Administration fiscale, doit être formalisé par écrit, et comptabilisé comme tel dans les livres de la société, faire l’objet d’intérêts (lesquels auront été payés) et d’une date de remboursement).

 

Bien entendu, la qualification s’appliquera aux associés, mais à toutes les personnes physiques ou morales interposées.

 

Sur un plan pratique, il est recommandé de donner une date certaine à l’acte de prêt qui doit évidemment être conclu avant la mise en place des opérations de vérification en procédant à l’enregistrement de la convention.

 

 

IV – CONDITIONS DE REMBOURSEMENT DU COMPTE COURANT

 

IV – 1. Paiement par compensation

 

La première hypothèse qui vient à l’esprit est la compensation de la dette de libération du solde du capital et de la créance en compte courant d’associé qui peut être invoquée par un associé s’il établit que cette compensation est légalement intervenue avant l’ouverture de la procédure collective[19].

 

Cependant, pour éviter toute discussion sur la nullité d’une compensation intervenue pendant la période suspecte, il est préférable de procéder aux écritures comptables qui s’imposent, et mieux encore d’affecter les apports à la libération du capital, plutôt qu’à un prêt consenti à la société.

 

IV – 2. Incorporation des comptes courants d’associés au capital social

 

Dans les Sociétés Anonymes, l’augmentation de capital par incorporation du solde créditeur du compte courant d’actionnaire peut être réalisée dans les conditions prévues à l’article
L 225-127 du Code de Commerce. Dans les SARL, la jurisprudence admet que l’augmentation de capital libérée par compensation avec le solde de crédit de compte courant d’associé constitue une augmentation de capital en numéraire
[20]. L’incorporation des comptes courants d’associés au capital social entraîne le prélèvement d’un droit fixe d’enregistrement de 375 € porté à 500 € pour les sociétés ayant un capital d’au moins 225 000 €[21].

 

IV – 3. La cession du compte courant d’associé

 

Cette cession est souvent consentie concomitamment à une cession de droits sociaux. Elle est alors assimilable par la jurisprudence à une cession de créance qui échappe au droit des cessions de parts dès lors qu’il n’est pas incorporé au capital et qu’il n’ouvre à aucun droit[22]. En revanche, l’article 1690 est applicable à la cession du solde créditeur, de sorte qu’elle n’est opposable à la société que par sa signification par huissier ou acceptation par la société dans un acte authentique.

 

IV – 4. Remboursement à tout moment

 

Les comptes courants d’associés ont pour caractéristique essentiel, en l’absence de convention particulière ou statutaire, d’être remboursables à tout moment[23]. Ce droit a une limite : l’abus. Ainsi :

 

– le remboursement d’un compte courant d’associé effectué au cours de la période suspecte peut être annulé, ce dernier ayant été demandé par le dirigeant de la société qui ne pouvait ignorer les difficultés financières rencontrées par la société[24] ;

 

– de la même manière, le fait d’obtenir pour un associé ou plus encore par un dirigeant, le remboursement de son compte courant alors que la société est en difficulté financière, peut constituer une faute de gestion pour le dirigeant, sanctionnable selon les conditions de droit commun, si la société n’est pas encore en l’état de cessation des paiements, et selon les règles propres aux procédures collectives dans le cas contraire ;

 

– enfin, la société qui constate des difficultés financières peut-elle solliciter et obtenir du Juge ad hoc des délais de paiement sur 24 mois au visa de l’article 1244-1 du Code Civil.

 

 

IV – 5. Limites statutaires ou contractuelles au remboursement du compte courant

 

L’associé peut convenir dans une convention ad hoc les modalités de remboursement du compte courant d’associé (en général, en contrepartie d’une rémunération), lesquelles s’imposeront à lui jusqu’au terme de la convention. De la même manière, une résolution peut être votée en assemblée générale, qui prévoit qu’un remboursement de compte courant ne peut intervenir que si les capitaux propres sont au moins égaux au capital social[25]. La même observation peut être répétée en ce qui concerne l’introduction initiale dans les statuts des modalités de remboursement ou de blocage du compte courant.

 

Très concrètement, il ressort de ce qui précède qu’un groupe majoritaire peut s’opposer au remboursement d’un compte courant d’associé abondé par un minoritaire, soit en sollicitant et obtenant des délais de paiement, soit en prenant d’urgence une résolution conditionnant le remboursement du compte courant à un seuil de capitaux propres, de résultats, etc. Cette assemblée sera opposable à l’associé, sauf à ce que celui-ci invoque la jurisprudence sur l’abus de majorité.

 

 

IV – 6. Les autres associés peuvent-ils être tenus au remboursement du compte courant de l’un d’entre eux

 

Cette question évidemment ne se pose que pour les sociétés pour lesquelles les associés sont tenus du passif social au-delà de leur participation dans le capital.

 

Il faut ici examiner la situation où un ou plusieurs associés ont abondé leur compte courant, sans pouvoir compte tenu de la situation financière de l’entreprise, en obtenir le remboursement.

 

Une réponse négative s’impose. L’associé d’une société n’est pas un tiers, qui sont seuls habilités à poursuivre les associés de ce type de société après avoir vainement exercé des poursuites contre cette dernière[26].

 

De la même manière, un associé ne peut pas obliger un autre associé à abonder son compte courant à proportion de sa participation dans le capital de la société, sauf si bien entendu, par une convention ad hoc ou dans les statuts, il en a été stipulé autrement[27].

 

 

V – SORT DU COMPTE COURANT EN CAS DE TRANSFERT DES TITRES DE L’ASSOCIE

 

Lorsqu’un associé transfert ses parts ou actions, son compte courant ne suit pas le sort des titres à défaut de convention le stipulant. L’associé cédant reste donc fondé à exiger le remboursement de son compte courant par la société.

 

A l’inverse, si la convention entre le cédant et le cessionnaire des déclarations des engagements ou des actes de ce dernier a manifesté son intention de prendre en charge le passif de la société constituée par le compte courant du cédant, c’est bien vers son acheteur que celui-ci devra se retourner pour réclamer le remboursement. De plus, si l’acquéreur se porte fort du remboursement par la société du compte courant de l’associé qui lui a vendu ses actions, il contracte une obligation de résultat qui l’obligera à rembourser l’associé cédant en cas de défaillance de la société.

 

La solution vaut également si le compte courant est débiteur. L’associé d’une Société en Nom Collectif dont les pertes auraient été affectées au compte courant des associés reste débiteur de ses pertes dès lors que l’acte de cession de ses parts ne se référait pas à ses dettes vis-à-vis de la SNC ou à l’affectation des pertes de celles-ci au débit du compte de l’associé.

 

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats

 


[1] Les dossiers experts constituent la base de la documentation permanente et sera d’abord mise en ligne sur le site Vivaldi-Chronos, puis publiée sur le site Internet Vivaldi-Avocats

[2] Cass com 18/11/1988, n° 84-750, bull civ IV, n° 216

[3] Cass com 24/06/1997, n° 95-20056

[4] Voir par exemple : cass civ 3, 021999, n° 97-10399, bull 1999, III, n° 31, p 21

[5] Dont le statut est régi aux articles L 211-1 et suivants du CCH

[6] Cass civ 3ème 12/05/1993, n° 90-10578, bull 1993, III, n° 63, p 40

[7] Cass civ 1, 10/02/1987, n° 84-17107 Inédit

[8] Article 39-1-3 du CGI

[9] Article 39 du CGI précité et BOI n° 4, C-4-12

[10] Le taux effectif moyen de référence est désormais publié dans les « avis divers » au Journal Officiel de manière distincte au tableau fixant les taux de l’usure conformément aux articles L 313-3 du Code de la Consommation et L 313-5-1 du Code Monétaire et Financier concernant l’usure.

[11] Article L 225-43 et L 225-44 du Code de Commerce pour les SA, article L 227-12 du Code de Commerce pour les SAS

[12] La création de ce que l’on appelle plus généralement l’« abus de biens sociaux » résulte d’un décret loi du 08/08/1945 en réponse législative à l’affaire Stavisky fondateur du Crédit Communal qui par un système dit de chaîne de ponzi avait pu détourner plus de 200 000 Frs

[13] Article L 223-21 du Code de Commerce

[14] Chambre mixte 10/07/1981, n° 77-10794

[15] Bull. CNCC, n° 67 du 09/1987, p 364

[16] Article 111 du CGI

[17] CE 3/8 SSR 10-10-2003 n° 244445

[18] CE 3/8 SSR 10-10-2003 n° précité et Cour d’Appel 3/8 SSR 13-04-2005 n° 256847

[19] Cass com 08/01/2002, n° 9822976

[20] Voir notamment CA de VERSAILLES 3e Ch. 25/10/1990, n° 7890

[21] Article 810 du CGI

[22] Cass com 22/03/1988, n° 86-15264

[23] Par exemple, cass comme 24/06/1997, n° 95-20056, bull n° 197, IV, n° 207

[24] Cass com 29/05/20001, n° 98-1642

[25] CA de POITIERS 2e Ch civ, 30/10/2001, n° 99/0307

[26] cf Cass. com. 3 mai 2012 n° 11-14.844 et notre commentaire de cet arrêt

[27] cf Cass.com, 10 juillet 2012 n° 11-14267 et son commentaire

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