Renoncer n’est pas donner… ou quand les dividendes distribués échappent à l’Administration Fiscale.

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

 

SOURCE : Cass.com., 18 décembre 2012 n° 11-27.745, F-P+B, Arrêt n° 1275.

 

Dans cette espèce, une holding avait été constituée, sous forme de société civile, entre deux époux et leurs deux enfants, la répartition entre eux du capital, dont la majeure partie des parts sociales était démembrée, donnant aux parents usufruitiers, vocation à percevoir  95 % des dividendes.

 

Une Assemblée Générale Extraordinaire du 03 avril 2000 avait modifié, sur un vote à l’unanimité des associés, la clé de répartition des dividendes entre les associés, pour une durée de 5 années, de sorte qu’en définitive, les parents devaient percevoir chacun 17 % des dividendes pendant que leurs enfants percevaient chacun 33 % des dividendes.

 

La répartition des dividendes fut donc effectuée selon ces modalités pour les années 2001 à 2007.

 

L’Administration Fiscale considérant que la renonciation des parents à leurs dividendes par cette nouvelle répartition, mise en œuvre lors de chaque distribution de dividendes au cours des années 2001 à 2007, était en réalité une donation indirecte des parents à leurs enfants, pour la fraction supérieure au montant des sommes distribuées auxquelles les enfants auraient pu prétendre, sur la base de leur participation dans le capital social et avait, en conséquence, redressé l’un des enfants sur les droits de mutation à titre gratuit en application des articles 777 et suivants du Code Général des Impôts.

 

L’intéressé a présenté une réclamation à l’Administration Fiscale puis a fait assigner le Directeur des Services Fiscaux, tout d’abord devant le Tribunal de Grande Instance, puis devant la Cour d’Appel pour voir déclarer non fondée la décision de la Direction des Services Fiscaux, écarter la qualification de donation indirecte et, par suite, obtenir le dégrèvement de la part d’imposition laissée à sa charge.

 

Ayant été débouté par Jugement du Tribunal de Grande Instance d’ARRAS le 15 juillet 2010, puis par un Arrêt de la Cour d’Appel de DOUAI en date du 05 septembre 2011, l’intéressé se pourvut en Cassation.

 

A l’appui de son pourvoi, il invoque que la Cour d’Appel ne pouvait pas constater que la décision de modifier la répartition des dividendes a été prise par l’assemblée du 03 avril 2000 par la collectivité des associés de la société, et estimer dans le même temps qu’elle émanait nécessairement des époux donateurs, lesquels disposaient en tant qu’usufruitiers de l’essentiel des droits de vote dans les assemblées.

 

De même, il invoque que la Cour d’Appel ne pouvait pas, après avoir relevé que la donation en cause échappait à la prohibition des donations de biens à venir car son seul exercice se trouvait retardé jusqu’aux assemblées d’associés décidant de l’attribution des bénéfices sous forme de dividendes, retenir que le dépouillement des parents donateurs d’une partie de leurs droits était irrévocable dans la mesure où ils ne pouvaient pendant 5 années demander une répartition autre que celle qui avait été décidée lors de l’assemblée du 03 avril 2000.

 

La Cour de Cassation accueille favorablement les griefs du défendeur, puisque dans l’Arrêt précité du 18 décembre 2012, elle casse et annule purement et simplement l’Arrêt rendu par la Cour d’Appel.

 

Au visa des articles 894 et 1842 du Code Civil, elle rappelle que la modification de la répartition de la part de chaque associé dans les bénéfices de la société ne pouvait résulter que d’une décision collective des associés et qu’en participant à cette décision, émanant de l’Assemblée Générale des associés, organe social, les parents n’avaient pu consentir à une donation ayant pour objet un élément de leur patrimoine et rappelle, en outre, que les bénéfices réalisés n’acquièrent la nature de fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n’ont pas d’existence juridique avant la constatation de l’existence de sommes distribuables par l’organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé, de sorte que les parents n’ayant été titulaires d’aucun droit sur les dividendes attribués à leurs enfants, n’avaient pu en conséquence consentir aucune donation ayant pour objet ces dividendes.

 

La Cour de Cassation rappelle en définitive qu’une décision prise collectivement par l’Assemblée Générale des associés ne saurait être considérée comme ayant été prise individuellement par chacun de ceux-ci, le caractère collégial de la décision étant nécessaire à sa validité.

 

Enfin, cette décision est particulièrement intéressante pour les sociétés familiales dans lesquelles les parents souhaiteraient gratifier leurs enfants pour des raisons qui leur sont propres.

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

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