Un paiement pour dettes non échues est une nullité de droit de la période suspecte.

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

 

Source : Cass. Com. 19 mai 2015, Pourvoi n°14-11.215 n°475 P+B

 

L’article L.632-1 du Code de Commerce définit les nullités de plein droit de la période suspecte, c’est-à-dire les actes qui peuvent être annulés sur simple demande, dès lors qu’ils ont été réalisés postérieurement à la date de cessation des paiements, mais avant l’ouverture de la procédure collective, c’est-à-dire lors de la période suspecte.

 

La particularité de l’arrêt commenté est ici que l’acte annulé découlait d’un protocole d’accord bien antérieur à la date retenue par le Tribunal de cessation des paiements.

 

Plus précisément, il s’agissait, pour un exploitant d’un navire de pêche, de solliciter l’aide à l’arrêt définitif de l’activité de pêche, prévue à l’article 23 du règlement CE 1198/2006 du 27 juillet 2006 relatif au Fonds Européen pour la pêche, et impliquant la destruction du navire.

 

Corrélativement, cette destruction supposait la levée de toutes les sûretés grevant le matériel, et notamment l’hypothèque prise par la Banque, pour garantir le prêt ayant servi au financement du navire.

 

Pour résoudre la difficulté, exploitant et établissement bancaire avaient dès lors convenu d’un protocole d’accord, dès 2005, par lequel l’exploitant s’était engagé à céder à la banque son droit aux indemnités gouvernementales et européennes, dites « de sortie de flotte », sous la forme d’une cession de créance.

 

La cession est effective le 22 août 2008, et le prêt est soldé par anticipation.

 

Cependant, l’exploitant maritime est mis en liquidation judiciaire en avril 2009 et la date de cessation des paiements est reportée au 7 avril 2008, c’est-à-dire antérieurement à la cession de créance.

 

Le liquidateur attaque l’acte ainsi réalisé et obtient la nullité, sur le fondement des dispositions de l’article L.632-1 3èment du Code de Commerce, c’est-à-dire la nullité en période suspecte d’un règlement de dette non encore échue.

 

Le pourvoi de la banque est rejeté par la Cour de Cassation, qui valide ainsi la nullité de plein droit retenue en l’espèce.

 

La solution est sévère. En effet, la Banque soutenait que loin d’être un paiement préférentiel réalisé en connaissance de la période suspecte, il s’agissait simplement de l’exécution d’un protocole bien plus ancien, et bien antérieur à l’état de cessation des paiements.

 

De même, elle soutenait que la levée d’hypothèque qui était le corollaire du remboursement anticipé du prêt, était une condition d’octroi de l’aide à la sortie de flotte.

 

Dit autrement, la banque rappelait avoir accompagné le débiteur pour l’obtention d’une subvention très importante, sur une période de 4 années, et admettait mal être taxé de mauvaise foi sur le sujet.

 

La Cour de Cassation balaie l’ensemble des arguments d’un revers de manche, retenant exclusivement l’existence d’un paiement de dettes non échues, nonobstant les circonstances ayant abouti à celui-ci.

 

Sans doute, en aurait-il été autrement, comme le suggère la Cour de Cassation, si le prêt avait fait l’objet d’un défaut de paiement, et corrélativement d’une déchéance du terme.

 

A ce moment là, l’ensemble du prêt aurait été échu, et le paiement par anticipation d’une dette non échue n’aurait pu être retenu. Tel n’était malheureusement pas le cas en l’espèce et malgré l’aide au montage apporté par la Banque, celle-ci est sanctionnée par un mécanisme de la nullité de la période suspecte.

 

Dura lex sed lex.

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocat

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