La commission des impôts peut trancher une question de droit dont dépend la détermination des amortissements

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

 

Source :

Conseil d’État, 3ème, 8ème, 9ème et 10ème chambres réunies, 09/05/2018, 389563, Publié au recueil Lebon

 

Lorsque l’administration n’accepte pas les observations du contribuable et que la rectification porte sur une question relevant de la compétence de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, le désaccord peut être soumis à cette commission pour avis.

 

Aux termes de l’article L59 A du LPF, la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires est compétente dans les domaines suivants :

 

– montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d’affaires, déterminé selon un mode réel d’imposition ;

 

– conditions d’application des régimes d’exonération ou d’allégements fiscaux en faveur des entreprises nouvelles, à l’exception de la qualification des dépenses de recherche ;

 

– rémunérations excessives ;

 

– valeur vénale servant de base à la TVA immobilière.

 

Dans ces domaines, la commission est compétente dans la mesure où le désaccord porte sur des questions de fait (exemples : appréciation du caractère normal d’une rémunération, caractère probant ou non d’une comptabilité).

 

En revanche, elle ne peut normalement pas se prononcer sur les questions de droit elles-mêmes (exemples : catégorie d’imposition à l’impôt sur le revenu, existence d’une société de fait), à l’exception des questions suivantes : caractère anormal d’un acte de gestion, principe et montant des amortissements et des provisions, caractère de charges déductibles des travaux immobiliers.

 

Le Conseil d’Etat s’est penché pour la première fois sur la portée du 2e alinéa du II de l’article L59 A du LPF autorisant la commission à se prononcer « sur le principe et le montant des amortissements et des provisions ».

 

Les faits

 

Monsieur G exerce une activité de location en meublé de salles de réception. En application de l’article 39 1 2° du CGI, il a déduit de son bénéfice industriel et commercial des amortissements qu’il avait inscrit en comptabilité.

 

A la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a remis en cause cette déduction sur la base de l’article 39 C II 2 du CGI énonçant « en cas de location […] de biens consentie directement ou indirectement par une personne physique, le montant de l’amortissement de ces biens […] est admis en déduction du résultat imposable, au titre d’un même exercice, dans la limite du montant du loyer acquis […], diminué du montant des autres charges afférentes à ces biens […] ». 

 

Or, le montant des loyers perçus étant inférieur aux charges exposées pour l’entretien des salles, l’administration a considéré que Monsieur G n’était en droit de pratiquer aucune déduction au titre des amortissements qu’il avait comptabilisés.

 

En suite de cette rectification, des suppléments d’impôt sur le revenu ont été notifiés au contribuable qui les a contestés en soutenant qu’il organisait des événements festifs et des réceptions et de fait n’entrait pas dans le champ des dispositions du texte précité.

 

Au terme de la procédure contradictoire, le contribuable a demandé la saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires. L’administration a refusé au motif que le différend portait « sur la qualification de son activité, à savoir louage de services ou louage de choses avec services annexes » et qu’« une contestation portant sur la qualification juridique des activités d’une société n’entre pas dans le champ de la compétence de la commission départementale des impôts ».

 

Le Tribunal administratif de Lyon l’a débouté de sa demande mais il a obtenu gain de cause devant la Cour administrative d’appel de Lyon qui a considéré que le refus de l’administration à la demande de saisine de la commission des impôts avait entaché la procédure d’une irrégularité.

 

La jurisprudence du Conseil d’Etat sur les commissions

 

Dès 1932, le Conseil d’Etat a jugé que les commissions consultatives départementales des impôts directs de l’époque n’étaient pas habilitées à statuer sur des questions de droit. Cette ligne a ensuite été constamment réaffirmée.

 

S’est donc développée une jurisprudence portant sur la distinction entre les questions de fait et les questions de droit.

 

En matière d’amortissement, le Conseil d’Etat a admis la compétence de la commission départementale des impôts pour apprécier si les amortissements pratiqués par le contribuable ont été calculés à un taux excessif[1], ainsi que pour se prononcer sur l’existence de circonstances particulières justifiant de déroger aux usages de la profession déterminant le taux d’amortissement[2].

 

En revanche, le Conseil d’Etat a exclu la compétence de la commission départementale des impôts pour connaître d’un désaccord portant sur « le principe et le mode de calcul des amortissements (…) comptabilisés » à la clôture d’un exercice[3] mais aussi pour ce qui concerne le point de savoir si des biens doivent être qualifiés d’actifs et donc être inscrits au bilan en vue de donner lieu, le cas échéant, à des amortissements, ou si les dépenses exposées en vue de leur acquisition constituent au contraire des charges immédiatement déductibles[4].

 

La décision de la Cour administrative d’appel[5]

 

La Cour a jugé que l’administration était tenue de faire droit à la demande de saisine de la commission des impôts présentée par le contribuable.

 

Elle s’est pour cela fondée sur les dispositions de l’article L59 A II alinéa 2 qui donnent compétence à la commission pour « se prononcer sur le principe et le montant des amortissements et des provisions ».

 

La Cour a considéré que la question portait sur le point de savoir si les dispositions de l’article 39 II 2 du CGI étaient applicables à la situation de Monsieur G. Elle a estimé que si un tel différend soulevait une question de droit, il entrait néanmoins dans le champ de compétence de la commission « dès lors qu’il concernait le principe ou le montant des amortissements ».

 

Les dispositions législatives

 

La loi du 30 décembre 2004 reprend le principe posé par la jurisprudence du Conseil d’Etat selon lequel la commission des impôts est compétente pour l’examen des seules questions de fait, à l’exclusion des questions de droit, en apportant toutefois une précision et 3 dérogations :

 

« Dans les domaines mentionnés au I, la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d’être pris en compte pour l’examen de cette question de droit. 

 

Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la commission peut se prononcer sur le caractère anormal d’un acte de gestion, sur le principe et le montant des amortissements et des provisions ainsi que sur le caractère de charges déductibles des travaux immobiliers. »

 

La décision du Conseil d’Etat

 

Le rapporteur public, Madame Emmanuelle Cortot-Boucher, proposait au Conseil d’Etat d’interpréter la loi comme étendant la compétence de la commission des impôts aux questions de droits dont dépend, de manière directe et spécifique, le droit de déduire fiscalement des amortissements et des provisions, ou l’étendue d’un tel droit.

 

Le Conseil d’Etat a suivi son rapporteur et a jugé

 

« Il résulte des termes du II de l’article L 59 A du LPF que le législateur a entendu rendre la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires compétente pour connaître de tout désaccord persistant entre un contribuable et l’administration portant, en matière de bénéfices industriels et commerciaux, non seulement, en vertu du premier alinéa, sur les faits susceptibles d’être pris en compte pour l’examen d’une question de droit mais aussi, en vertu du second alinéa, « par dérogation aux dispositions du premier alinéa », sur le principe et le montant des amortissements et des provisions. En conséquence, saisie d’une demande en ce sens par le contribuable, l’administration doit soumettre le litige à la commission départementale lorsque le désaccord porte sur toute question relative à l’application des règles qui régissent les amortissements et les provisions à la situation particulière du contribuable. L’administration reste libre de ne pas suivre l’avis émis par la commission. »

 

Le Conseil d’Etat reconnaît donc à la commission des impôts directs une compétence plus large. Elle peut se prononcer sur toute question de droit dès lors que celle-ci commande le droit du contribuable à déduire tel montant d’amortissement ou de provision.

 

La compétence de la commission est complète, elle peut traiter globalement le désaccord en tranchant la question de droit en amont impactant la détermination, au cas d’espèce, du montant des amortissements.

 

Il en résulte que la compétence de la commission est liée aux spécificités du litige qui lui est soumis.

 

Clara DUBRULLE

Vivaldi-Avocats


[1] CE 5-6-1961 no 48550 : Dupont p. 394

[2] CE 10-4-1991 no 75553, SA Bastide et Cie : RJF 6/91 no 738 ; CE 18-3-1992 no 80772, Etablissements Garcia : RJF 5/92 no 712

[3] CE 10-7-1974 no 79461, Sté X : Lebon p. 411

[4] CE 16-3-1977 no 89010 : RJF 5/77 no 273, concl. D. Fabre Dr. fisc. 6/78 c. 228 ; CE 26-2-2001 no 213883 : RJF 5/01 no 654

[5] CAA Lyon 5-3-2015 no 14LY00241

 

 

 

 

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