La TVA n’est pas exigible sur les abandons de créances

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

 

SOURCE : Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 2 mai 2018, n° 404161

 

L’article 269 du CGI distingue le fait générateur de la TVA et de son exigibilité. Pour les prestations de services, le fait générateur intervient lorsque la prestation est effectuée alors que la TVA n’est exigible que lors de l’encaissement du prix ou de la rémunération (sauf option du redevable pour le paiement d’après les débits).

 

Le paiement du prix peut prendre diverses formes : virement ou chèque, compensation, indemnité transactionnelle, inscription sur un compte courant…

 

Une jurisprudence des cours administratives d’appel[1], en voie d’enracinement, considérait l’abandon de créance comme un encaissement suivi d’une libéralité (par analogie à la jurisprudence applicable aux BIC en matière d’abandon de créance injustifié lequel est assimilé à un acte anormal de gestion). En conséquence, par application des règles de l’article 269 du CGI, la TVA devenait exigible sur les sommes abandonnées.

 

Cette jurisprudence, contraire à la logique de la TVA et à la lettre de l’article 269 du CGI, était supportée par une partie de la doctrine[2].

 

Il était donc fondamental que le Conseil d’Etat se penche sur cette question de savoir si la TVA est exigible ou non sur des sommes ayant fait l’objet d’un abandon de créances.

 

Les faits

 

Monsieur A est propriétaire depuis 1982 d’un fonds de commerce de fabrication de constructions métalliques, métallerie et serrurerie qu’il a exploité à titre individuel jusqu’en 1995 avant de le donner en location gérance à la SARL AFabrication puis à la société ADonge Fabrications en 2010, sans jamais ni déclarer cette activité de loueur de fonds auprès d’un centre de formalités des entreprises, ni souscrire de déclaration fiscale.

 

Il a renoncé à percevoir les redevances dues par les sociétés AFabrications et ADonge, en mettant gratuitement son fonds de commerce à leur disposition.

 

A l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration a estimé que M. A. avait exercé une activité occulte de loueur de fonds de commerce et l’a imposé à la TVA au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 juillet 2011.

 

Ces rappels ont été contestés, sans succès, devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne puis devant la Cour administrative d’appel de Nancy.

 

Le contribuable soutenait que s’il avait effectivement donné dès 1995 son fonds de commerce en location-gérance à une société, il avait renoncé depuis 2001 à percevoir les redevances prévues par le contrat de location.

 

La Cour, après avoir repris les dispositions de l’article 269 du CGI, selon lesquelles la TVA est exigible pour les prestations de services « lors de l’encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération », a jugé que la renonciation par M. A à la perception des redevances dues par son locataire devait être regardée « comme un abandon de créances procédant d’un acte de disposition qui s’analyse comme un encaissement suivi d’une libéralité envers le débiteur ».

 

L’administration avait donc à bon droit regardé les sommes ainsi abandonnées comme constituant un encaissement au sens des dispositions de l’article 269 du CGI, rendant exigible la TVA.

 

Les conclusions du rapporteur public Vincent Daumas

 

Le rapporteur public a proposé au Conseil d’Etat, qui l’a suivi, de remettre en cause la jurisprudence instaurée par les cours administratives d’appel.

 

Le rapporteur public rappelle dans ses conclusions que pour déterminer si une opération entre dans le champ d’application de la TVA, la jurisprudence de la CJUE impose de rechercher l’existence d’un lien direct entre la marchandise livrée / le service rendu et la contre-valeur reçue, autrement dit l’existence d’une contrepartie (arrêt Apple and Pear).

 

Toujours selon la jurisprudence de la CJUE, le paiement peut revêtir différentes formes, il n’est pas nécessairement monétaire mais peut être en nature. Le Conseil d’Etat, dans la lignée de la CJUE, a ainsi jugé que constituent un encaissement : l’inscription d’une somme sur un compte courant du créancier, une indemnité transactionnelle, une compensation.

 

Le rapport public relève que dans ces hypothèses, la perception effective d’une contrepartie ne fait aucun doute. En revanche, dans le cas d’un abandon de créance par l’auteur de la prestation, il n’existe aucune contrepartie « et le raisonnement développé par les cours administratives d’appel, consistant à voir dans l’abandon de créances « un encaissement suivi d’une libéralité envers le débiteur », nous paraît, pour tout dire, très artificiel ».

 

Il ajoute que cette jurisprudence consistant à taxer un abandon de créance en prétendant y voir l’équivalent d’un paiement n’est pas compatible avec la jurisprudence du Conseil d’Etat ne reconnaissant pas l’acte anormal de gestion en matière de TVA.

 

La décision du Conseil d’Etat

 

Le Conseil reprend l’article 269 du CGI et rappelle que doit être regardée comme encaissée toute somme perçue en rémunération d’une opération soumise à la TVA.

 

Le Conseil adopte ensuite le raisonnement du rapporteur public et énonce que :

 

« La remise volontaire par le créancier d’une dette, qui constitue un mode d’extinction de l’obligation de payer mais n’entraîne la perception d’aucune somme par le créancier, n’équivaut pas pour ce dernier à un encaissement au sens de l’article précité. »

 

Dès lors, les sommes ayant fait l’objet d’un abandon de créances ne rendent pas exigible la TVA.

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nancy est annulé et l’affaire est renvoyée.

 

Clara DUBRULLE

Vivaldi-Avocats



[1] CAA Bordeaux 7-5-2008 n° 06BX01398, CAA Versailles 27-3-2012 n° 10VE01514, CAA Nancy 2-2-2017 n° 15NC01640

[2] Notamment Y. Sérandour, JCl. Fiscal chiffre d’affaires, Fasc. 2025-21 : Déductions. – Conditions d’exercice du droit à déduction. – Conditions de fond et de temps, § 59

 

 

 

 

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