Responsabilité bancaire : contrôle de l’utilisation du crédit

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

 

Source :Cass. com. 1er octobre 2013 n° 12-25.741 F-D

 

L’arrêt n’est pas publié, mais il mérite commentaire dans la mesure où rares sont les décisions publiées pour ce type de contentieux qui porte ici sur l’interprétation de stipulations que l’on retrouve usuellement dans certaines conventions

 

I-

 

A la base une société emprunte pour acquérir un bien immobilier. Le prêt est alors garanti par les associés non gérants.

 

La société étant défaillante dans le remboursement du prêt, la banque appelle en paiement les cautions solidaires en même temps que le mandataire judiciaire de la société.

 

Débiteur principal et garant vont alors faire cause commune et grief à la banque de ne pas avoir surveillé l’affectation des fonds qui selon eux auraient été détournés par la gérante de la société.

 

Ils soutenaient en substance à l’appui de leur pourvoi :

 

« que l’article 2.3 des conditions générales des convention d’ouverture de crédit prévoit que « le règlement des dépenses sera assuré par la caisse (par virement, ou à titre exceptionnel par chèque, voire lettre de change) au vu de tous justificatifs et notamment, pour ce qui concerne les travaux, sur présentation de situations acceptées par le client ou son mandataire, et visées par le maître d’œuvre du programme » ; qu’en estimant que cette clause ne s’analysait pas « en une obligation de contrôle des opérations qui étaient demandées (par la banque) par son client lui-même ou par le mandataire dûment habilité de celui-ci » contre les termes de la clause précitée qui prévoit expressément que la caisse ne peut autoriser un virement qu’après contrôle des pièces justificatives produites, qui doivent être visées par le maître d’œuvre du programme, la cour d’appel a dénaturé l’article 2.3 des conditions générales d’ouverture de crédit et violé l’article 1134 du code civil »

 

II-

 

Pour confirmer l’arrêt et ainsi rejeter le pourvoi la chambre commerciale juge que :

 

“Mais attendu, en premier lieu, que c’est par une interprétation souveraine de l’article 2.3 de la convention de compte courant, rendue nécessaire par l’ambiguïté résultant du rapprochement de ses termes avec ceux des articles 1, 2 et 12 des conditions générales de la convention d’ouverture de crédit en compte courant, 2.1 et 2.2 des conditions générales de la convention de compte courant et des conditions particulières de cette dernière et, partant, exclusive de dénaturation, que la cour d’appel a retenu que la caisse n’avait pas contracté l’engagement de surveiller l’affectation des fonds prêtés, que le droit qui lui avait été reconnu d’exercer à cet égard tous contrôles qu’elle jugerait utiles ne constituait pour elle qu’une simple faculté, stipulée dans son seul intérêt et, qu’en particulier, les stipulations de l’article 2.3 précité, en ce qu’elles définissaient les justificatifs au vu desquels la caisse assurait le règlement des dépenses, définissaient les conditions qui devaient être réunies pour qu’elle soit tenue d’assurer le règlement de ces dépenses mais ne s’analysaient pas en une obligation de contrôle des opérations qui lui étaient demandées par son client lui-même ou par le mandataire dûment habilité de celui-ci, qui conservait la maîtrise de la réalisation de son programme commercial immobilier dans lequel la banque n’avait pas à s’immiscer ; que la cour d’appel a pu en déduire que la caisse n’avait pas agi imprudemment en exécutant comme elle a fait les ordres de paiement émanant d’une personne bénéficiaire d’une procuration générale sur le compte litigieux »

 

Deux enseignement peuvent être tirées d’un tel attendu :

Les juridictions interprètent librement la convention de prêt ;

 

Les conditions de déblocages du prêt ne doivent pas êtres confondues avec un contrôle de l’affectation des dépenses.

 

III-

Ne nous y trompons pas, ce type d’attaque peut s’avérer périlleux pour les banques qui ont un temps été confrontées aux hésitations de la jurisprudence.

 

En effet, après avoir reconnu aux banques le droit de surveiller l’affectation des fonds [1] certaines décisions ont franchi la frontière qui séparait le droit de surveiller l’affectation et l’obligation de contrôler l’affectation.[2]

 

En 2006[3] / 2007[4] la cour de cassation revenait à plus d’orthodoxie et jugeait :

 

« Mais attendu, en premier lieu, qu’en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles imposant à l’établissement de crédit de surveiller l’affectation des fonds prêtés, il ne peut être reproché à la banque, qui débloque les fonds dans les conditions prévues par l’acte de prêt, le changement d’affectation des fonds prêtés effectué par les emprunteurs »

 

 

Soit, mais l’arrêt n’était pas publié.

Mais une série de décisions sont venues conforter cette analyse en jugeant que le contrôle de l’affectation des fonds est une simple faculté stipulée au seul bénéfice du prêteur dont ne peut se prévaloir l’acquéreur[5] :

 

« Mais attendu, en premier lieu, qu’en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles imposant à l’établissement de crédit de surveiller l’affectation des fonds prêtés, il ne peut être reproché à la banque, qui débloque les fonds dans les conditions prévues par l’acte de prêt, le changement d’affectation des fonds prêtés effectué par les emprunteurs »[6]

 

Soit … mais aucune de ces décisions, comme celle commentée d’ailleurs n’est publiée.

 

Le débat n’est donc vraisemblablement pas clos notamment au regard des cautions qui auraient pu se méprendre sur la portée de telles stipulations.

 

Eric DELFLY

Vivaldi-Avocats



[1] Par exemple : Cass com 13/02/2001 n° 97-21.460 inédit

[2] Et notamment Cass com 18/05/1993 n° 91-16.700 bull civ IV n° 190 : Une banque ne peut favoriser, consciemment ou imprudemment, au mépris des termes des contrats de mandat et de prêt, l’utilisation du montant de ce prêt pour d’autres fins que le financement des travaux auquel il était destiné

[3] Cass com 20/07/2006 n° 05-11.059 inédit

[4] Cass com 23/01/2007 n° 05-18.368 inédit

[5] Cass Civ :25 février 2010 N° 08-19.848 inédit

[6] Cass com : 15 février 2011 N° 10-14912 inédit

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