Sources : Article 55 Ter du projet de loi pour la croissance et l’activité
I – Petite histoire de la déclaration d’insaisissabilité
Issue de la loi du 1er août 2003[1] sur l’initiative économique la déclaration d’insaisissabilité a permis à l’entrepreneur individuel de rendre insaisissables les droits qu’il détient sur l’immeuble formant sa résidence principale par la création des articles L. 526-1 à L. 526-3 du code de commerce.
La loi du 4 août 2008[2], dite « loi de modernisation de l’économie (LME) » a étendu le bénéfice de l’insaisissabilité aux droits détenus par l’entrepreneur individuel sur tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à un usage professionnel.
La loi du 6 décembre 2013[3] relative à la lutte contre la fraude fiscale a limité les effets de la déclaration d’insaisissabilité en instituant son inopposabilité à l’administration fiscale lorsqu’elle relève, à l’encontre du déclarant, « soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, au sens de l’article 1729 du code général des impôts »
Dans le cadre des débats sur le projet de Loi Macron, les députés ont adopté un nouvel article 55 ter à l’initiative de la Commission spéciale, après avis favorable du Gouvernement, visant à protéger d’office la résidence principale affectée à un usage non professionnel par la suppression de la déclaration obligatoire devant notaire.
Selon monsieur Laurent Grandguillaume, le rapporteur thématique auteur de l’amendement « la déclaration d’insaisissabilité prévue par l’article L526‑1 du code de commerce permettant de déclarer insaisissable la résidence principale devant notaire est peu mise en œuvre en raison des formalités substantielles qu’elle implique et de son caractère onéreux. En effet, lors de leur installation, les entrepreneurs individuels consacrent leur trésorerie au lancement de leur activité et remettent souvent à plus tard ces formalités ».
II – Ce qui pourrait changer avec la promulgation de la loi
Si le texte est adopté en dernière lecture par l’assemblée nationale, ce qui semble très probable compte tenu du consensus au parlement tous les entrepreneurs individuels bénéficieront sans formalité préalable, d’une protection de leur résidence principale.
L’article. 526-1.nouveau du code de commerce serait ainsi rédigé :
« Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne. Lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, à condition d’être désignée dans un état descriptif de division. La domiciliation de la personne dans son local d’habitation en application de l’article L. 123-10 du présent code ne fait pas obstacle à ce que ce local soit de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire »
Le projet instaure tout de même un garde fou à cette irresponsabilité financière en modifiant l’article L 526-3 in fine comme suit :
« Le premier alinéa des articles L. 526-1 et L. 526-3 du code de commerce, dans leur rédaction résultant du présent article, n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle postérieurement à la publication de la présente loi »
Il faut comprendre de ce qui précède que :
1- L’insaisissabilité sur la résidence principale sera de droit
2- Pour les autres biens non affectés à l’activité professionnelle la déclaration notariée préalable subsiste
3- L’insaisissabilité de droit ne sera opposable qu’aux créanciers professionnels et celle sur déclaration à tous les créanciers.
III – Un dispositif complexe à gérer source d’inégalité entre l’entrepreneur individuel et la petite société
On relèvera tout d’abord que l’obstacle des frais nécessaires à la publication d’insaisissabilité ne résiste pas à l’examen des chiffres :
frais d’établissement de l’acte notarié | 139,93 € |
frais d’accomplissement de formalités préalables ou postérieures à l’acte (demande de cadastres, extraits d’acte, copie de publicité foncière…) | 419,80 € |
frais de publication de la déclaration au bureau des hypothèques | 25 € |
salaire du conservateur des hypothèques | 15 € |
Total | 599.73 € |
Très clairement le législateur a-t-il voulu répondre à la négligence ou à l’ignorance du jeune entrepreneur en instaurant une protection automatique mais limité à ses dettes professionnelles
Est-ce une bonne idée ? La réforme règle certains problèmes mais crée de nouvelles inégalités.
En faveur de la réforme, nous constatons que le caractère automatique de l’insaisissabilité de la résidence principale règle en partie le problème posé par la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait pour conséquence de laisser « sur le bas coté » des créanciers chirographaires dont la créance était bien née antérieurement à la déclaration d’insaisissabilité mais qui de fait ne parvenaient pas à un règlement de leur créance sur le produit de la vente de l’immeuble puisque le liquidateur ne pouvait, dans le cadre de la procédure collective de l’entrepreneur individuel, appréhender l’immeuble pour le vendre aux enchères publiques[4] .
Avec une insaisissabilité concomitante au début d’activité, il n’y aura plus que des créanciers postérieurs à titre professionnel. En revanche, le problème reste entier pour les créanciers chirographaires antérieurs à la déclaration d’insaisissabilité effectuée sur des biens autres que la résidence principale du dirigeant.
En défaveur de la réforme, nous constatons que le texte parvient par l’instauration de ce mécanisme à moins bien protéger le dirigeant d’une petite EURL ou SARL ( donc d’une société à responsabilité limitée ) qui devra se porter caution pour obtenir des concours bancaires avec le risque de perdre sa résidence principale.
Enfin le projet ne précise pas si les anciennes déclarations d’insaisissabilité sur la résidence principale continueronst à être opposables à tous les créancier et non pas seulement aux créanciers professionnels. Il est probable que les anciennes publications conserveront leur large champ de protection. Mais dans ce cas l’entrepreneur individuel qui s’installe après la promulgation de la loi peut il étendre la protection de sa résidence principale contre tous les créanciers en procédant comme par le passé à une déclaration d’insaisissabilité ?
Face à de telles difficultés on peut se demander si le banquier qui n’aura identifié dans le patrimoine du jeune entrepreneur qu’un seul actif de surcroit insaisissable aura véritablement envie de prendre le risque de financer les investissements de départ.
Eric DELFLY
Vivaldi –avocats
[1] Loi n° 2003-7 du 3 janvier 2003 modifiant le livre VIII du code de commerce
[2] LOI n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie
[3] LOI n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
[4] Voir en ce sens notre article : “Le banquier, son client en procédure collective, son immeuble frappé d’insaisissabilité : la « valse à deux temps »”