Le créancier dont la créance est insuffisamment justifiée doit spontanément apporter les pièces justificatives.

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

 

Source : Cass. Com. 2 juin 2015, Pourvoi n°14-10.391 F-P+B

 

L’un des motifs classiques de contestation par le débiteur ou son mandataire judiciaire, d’une créance déclarée au passif, est le « défaut de justification de la réalité de la créance ».

 

Il s’agit alors pour le créancier de compléter sa production initiale, dans le délai de 30 jours, des éléments permettant à la juridiction (le juge-commissaire) de vérifier la validité et la réalité de la créance.

 

En matière jurisprudentielle, la doctrine cherche systématiquement à apprécier le mouvement du balancier : la dernière jurisprudence en date est-elle favorable au créancier ou au débiteur ? Et-il plus ou moins difficile pour le créancier de faire valoir ses droits ? Le débiteur peut-il, à plus ou moins bon compte échapper à ses obligations ?

 

La jurisprudence ici commentée fait clairement écho à une jurisprudence du 5 juin 2012[1], qui avait posé une solution analysée à l’époque comme favorable aux créanciers : le Juge Commissaire ne pouvait rejeter la créance déclarée pour justificatifs insuffisants sans inviter au préalable le créancier déclarant à produire les documents justificatifs faisant défaut.

 

Dans ce nouveau cas, la créance d’une banque était contestée pour défaut de justificatif de la créance. La Cour d’Appel a ainsi rejeté la créance de solde de compte courant débiteur, qui n’était justifiée que par un extrait de compte comportant la seule ligne de débit, ce que la Cour jugeait insuffisant.

 

Sur le même fondement que l’arrêt de 2012, la banque forme un pourvoi, reprenant la formulation de l’arrêt précédent, rappelant que la Cour d’Appel ne l’avait pas invitée à produire les documents relatifs au compte courant débiteur.

 

Le pourvoi est néanmoins rejeté par la Cour de Cassation, qui pose la solution selon laquelle : « lorsque le débiteur ou le liquidateur conteste la déclaration de créance en invoquant l’absence ou l’insuffisance des justifications produites à l’appui de celle-ci, il appartient au créancier de verser aux débats, le cas échéant, des pièces complémentaires sans que la cour d’appel soit tenue de l’y inviter. »

 

S’agit-il alors d’un revirement de jurisprudence ? Il semblerait bien, compte tenu de l’inversion de la formule employée initialement dans l’arrêt de 2012.

 

Pour autant, un lecteur attentif ne pourra s’empêcher d’observer les cas d’espèce :

 

  En 2012, la créance d’une caisse de retraite avait été contestée, puis rejetée, alors que la caisse avait produit les décomptes synthétiques du calcul des cotisations, un justificatif des inscriptions de privilèges pour chacune des périodes de cotisations réclamées, l’état des salaires pour les périodes concernées salarié par salarié. Les juges du fonds avaient alors jugé qu’en l’absence d’un décompte de cotisations salarié par salarié, la créance était insuffisamment justifiée.

 

La Cour de Cassation avait cassé l’arrêt d’appel, posant la solution selon laquelle il appartenait alors au juge-commissaire de préciser la pièce nécessaire à la bonne justification de la créance.

 

Dans cet arrêt de 2015, la créance de compte courant de la banque est rejetée, car celle-ci ne produit qu’un extrait de compte présentant uniquement le solde débiteur.

 

La Cour de Cassation rejette le pourvoi contre l’arrêt d’appel ayant rejeté la créance, estimant que le créancier doit spontanément produire les éléments justificatifs.

 

Très clairement, cette mise en perspective est accablante pour la banque. Là où en 2012, les justificatifs étaient nombreux, la banque, dans l’arrêt ici commenté semble avoir été particulièrement négligente dans l’administration de la preuve.

 

De sorte qu’en l’état de notre (maigre) connaissance des faits d’espèce des deux arrêts, les deux décisions de 2012 et 2015 semblent, sur le plan de l’équité, justifiées.

 

On ne peut donc malgré la publication au bulletin, que penser qu’il s’agit bien là d’arrêts d’espèce.

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocats

 


[1] Cass. Com. 05/06/2012 pourvoi n°11-17.603, n°635 F-P+B

 

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