Infraction / manquement boursier : non bis in idem est de retour

Laurent Turon
Laurent Turon

 

SOURCE : LOI n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché, article 2

 

I –

 

Les abus de marché sont interdits et susceptibles d’être réprimés :

 

– Par l’AMF, autorité administrative indépendante, au visa de l’article L621-15 du Code monétaire et financier dont l’application doit être combinée avec le règlement européen n°596-2014 du 16 avril 2014 uniformisant les sanctions administratives des abus de marché. La sanction prononcée est administrative et peut consister en une peine d’amende et/ou une interdiction/restriction temporaire ou définitive d’exercer une activité réglementée par le CMF ;

 

– Par les juridictions correctionnelles, au visa du Livre IV Titre VI du CMF sur les infractions boursières, et plus particulièrement l’article L465-4. La sanction peut porter sur une peine d’emprisonnement, une peine d’amende, des interdictions à titre accessoire auxquels s’ajoutent des condamnations à des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par les parties civiles.

 

Toute la difficulté est que tout fait susceptible de constituer un abus de marché est tout autant susceptible de répondre de la qualification de manquement ou de délit, chacune des juridictions s’emparant sans précaution de son mouvement d’affaire, il arrivait fréquemment que l’auteur soit également poursuivi pour un même fait devant la juridiction administrative et répressive[1] ce qui, à notre avis et quelles que soient les subtilités de langage qui ont pu être utilisées tant devant la Cour de cassation que le Conseil constitutionnel, constituait une violation de la règle non bis in idem (nul ne peut être jugé ou poursuivi deux fois pour un même fait) laquelle, bien que n’ayant pas une valeur constitutionnelle[2], constituait une violation des droits conventionnels[3][4].

 

II –

 

La loi réformant le système de répression des abus de marché règle le problème par l’introduction d’un article L465-3-6 (nouveau) du CMF qui interdit le cumul des poursuites pénales et administratives.

 

Désormais, le Procureur de la République Financier ne pourra engager des poursuites à l’encontre d’une personne pour des faits consécutifs d’un abus de marché si l’AMF a déjà notifié des griefs pour les mêmes faits et à l’égard des mêmes personnes.

 

Inversement, l’AMF devra, avant de procéder à une notification de griefs, saisir le Procureur de la République Financier.

 

L’autorité interrogée disposera d’un délai de deux mois pour répondre. A défaut, l’autorité demanderesse pourra poursuivre son action, étant ajouté que la renonciation (expresse ou implicite) à engager des poursuites est définitive et non susceptible de recours (L465-3-6 V)

 

Ce nouveau dispositif intègre la spécificité des plaintes avec partie civile, ayant trait à des abus de marché, qui ne sera recevable que pour autant :

 

– Que le Procureur financier soit en mesure d’engager des poursuites à l’issue de la procédure de concertation avec l’AMF ;

 

– Et que cette condition remplie, il se soit écoulé un délai de 3 mois depuis le dépôt de la plainte, sans saisine de l’instruction ou de la juridiction correctionnelle (Art L465-3-6 VII).

 

Fin du débat ? En tout cas pour les abus de marché. Reste à savoir qui, du parquet financier ou de l’AMF tirera la couverture à lui.

 

Eric DELFLY

Vivaldi-Avocats



[1] Cf Articles chronos des 1er juin 2015 « Non bis in idem, délits et manquements financiers : le revirement en clair obscur de la Cour de cassation »  et 5 janvier 2015  « Infractions boursières et conflit entre autorités administratives et juridictions pénales »

[2] Cons Const, 18 mars 2015, n°2014-453 et 2015-452, QPC

[3] article 4 du protocole n°7 de la CESDH

[4] CEDH, 4 mars 2014, n°18640/18 Grande Stevens et a. c/ Italie

 

 

 

 

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