Inconstitutionnalité de la saisine d’office du Tribunal de Commerce en vue de l’ouverture d’un redressement judiciaire

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

Source : Cons. Const. 07/12/2012 n°2012-286 QPC publiée au journal officiel du 08/12/2012

 

Dans un précédent article, VIVALDI CHRONOS évoquait la transmission au Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la faculté, pour un Tribunal de Commerce, de se saisir d’office d’un dossier aux fins de statuer sur l’ouverture éventuelle d’une procédure de redressement judiciaire, conformément aux dispositions de l’article L631-5[1].

 

Le Conseil Constitutionnel a rendu le 08 décembre 2012 sa décision, et prononcé l’anti-constitutionnalité de ses dispositions.

 

La décision relève la volonté louable du législateur, qui a poursuivi un motif d’intérêt général, puisque les dispositions contestées permettent au Tribunal, pour autant qu’aucune procédure de conciliation, entre le débiteur et ses créanciers, ne soit en cours, de se saisir d’office et ainsi d’éviter que l’ouverture du redressement judiciaire ne soit retardée.

 

Cette ouverture de la procédure collective, provoquée, évite une aggravation qui pourrait être irrémédiable, de la situation de l’entreprise.

 

La disposition contestée présente donc bien un motif d’intérêt général.

 

Pour autant, la saisine d’office du Tribunal procède nécessairement d’une étude préalable du dossier par la juridiction, le plus souvent en pratique sous forme d’enquête pré-faillite ordonnée et confiée à un mandataire de justice.

 

C’est sur la base de ce rapport que le Tribunal décide de sa saisine.

 

Le Conseil Constitutionnel a dès lors jugé qu’aucune disposition légale, dans l’article L631-5 ou ailleurs, ne permettait de garantir au justiciable le principe d’impartialité de la juridiction. En effet, rien ne permet de garantir que le Tribunal, dès sa saisine, ne préjuge pas de l’opportunité de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du débiteur dont la situation est ainsi examinée.

 

Ainsi, les mots « se saisir d’office » figurant dans l’article L631-5 du Code de Commerce sont contraires aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fonde le principe d’impartialité.

 

Quelles conséquences faut-il tirer de cette inconstitutionnalité ?

 

Tout d’abord, il paraît évident que si la présente décision ne vise que la saisine d’office en matière d’ouverture de redressement judiciaire, la disposition similaire existant en matière de liquidation encourt tout autant la censure du Conseil Constitutionnel.

 

D’autres cas de saisine d’office de la juridiction existent encore en matière de procédure collective.

 

De même que pour les cas ci-dessus, il faut imaginer que dans les cas de saisine d’office aux fins de convertir la sauvegarde en redressement judiciaire, ou encore en matière de résolution d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire, l’impartialité de la juridiction n’est pas garantie.

 

Cela est d’autant plus patent que, pour chacun de ces cas, il est renvoyé, dans le Code de Commerce, à l’article R631-3 qui dispose que doit être jointe à la convocation du débiteur, une note du Président du Tribunal de Commerce exposant les faits de nature à motiver la saisine d’office.

 

Ainsi, et dès avant l’audience au cours de laquelle la juridiction devra se prononcer sur l’évolution de la procédure, est communiquée au débiteur une argumentation qui préjuge de la situation de celle-ci, tout en justifiant la saisine.

 

A n’en pas douter, ces dispositions encourent tout autant l’inconstitutionnalité dans les termes de la décision commentée.

 

Reste à s’interroger sur les nouvelles pratiques que devront adopter les juridictions suite à cette décision, applicable dès le 08 décembre 2012 sur les procédures non encore ouvertes.

 

Selon toute vraisemblance, la saisine, lorsqu’elle n’émane pas du débiteur lui-même, devra être réservée au Ministère Public.

 

Se pose dès à présent la question des moyens matériels et humains du Parquet d’assurer une sorte de veille économique des entreprises du ressort, alors que la jurisprudence ne manque pas au sujet d’avis obligatoires à transmettre par le Parquet qui, en pratique, n’ont pas lieu, à défaut pour le Procureur de la République d’avoir pu assister à l’audience.

 

Sans doute faut-il imaginer que les procédures de conciliation, à l’initiative de la juridiction, se poursuivront en l’état, et pour les cas nécessitant l’ouverture d’une procédure collective, qu’un rapport « interne » sera transmis au Parquet à charge pour lui d’assurer la saisine du Tribunal.

 

Il ne s’agirait cependant là que d’un « bricolage », nécessitant la correction du législateur.

 

La réforme annoncée courant 2013 du droit des procédures collectives devrait apporter une réponse à ces problématiques.

 

Gageons que le sujet sera à nouveau à l’ordre du jour dans les prochains mois.

 

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocats

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