Action en paiement contre une caution et réforme de la prescription civile : des précisions utiles

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cass. com. 4 juill. 2018, n°16-20.205, FS-P+B+I

 

Cet arrêt promis à une large diffusion précise la ligne de partage entre la prescription d’une action en paiement et la prescription de l’exécution des titres exécutoires, dans un contexte alliant l’entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, ainsi que l’application du droit des entreprises en difficulté. Explications.

 

I – Les faits

 

Entre février 1999 et mai 2001, une banque consent trois prêts à deux époux. L’un des prêts est, en outre, garanti par le cautionnement d’une troisième personne. L’un des époux est placé en liquidation judiciaire le 16 septembre 2003. Les créances de la banque sont admises par ordonnance du juge-commissaire le 7 septembre 2004 et la liquidation judiciaire est clôturée pour insuffisance d’actif le 18 janvier 2005. Le créancier assigne l’épouse codébitrice et la caution par actes des 20 août 2013 et 6 septembre 2013. Les défendeurs lui opposent la prescription de son action. La cour d’appel ne les suit pas dans leur argumentation et déclare l’action du créancier recevable.

 

II – Le pourvoi

 

Saisie des pourvois de la caution et de la codébitrice solidaire, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse sans renvoi l’arrêt attaqué pour fausse application de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution précité et pour refus d’application de l’article L. 110-4 du Code de commerce.

 

La difficulté portait sur la recevabilité de ces actions en paiement et, notamment, sur la question de savoir si ces actions étaient prescrites. Pour les dires recevables, les juges du fond ont pris appui sur les dispositions de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution selon lesquelles l’exécution des titres exécutoires visés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 de ce même code – en l’espèce, l’ordonnance délivrée par le juge-commissaire – ne peut en principe être poursuivie que pendant dix ans. Dispositions, qu’ils combinent avec celles de l’article 2222, alinéa 2, du Code civil, pour en déduire que le délai des actions engagées par la société créancière s’est prolongé pour une durée de dix ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, pour s’achever le 19 juin 2018, soit postérieurement à la délivrance des assignations en paiement.

 

La Cour régulatrice rappelle d’abord une règle bien établie, à savoir que la décision d’admission de la créance au passif du débiteur soumis à procédure collective est opposable à la caution, comme au codébiteur solidaire.

 

A ce titre, la substitution de la prescription résultant de la décision d’admission est elle-même opposable au garant[1], au codébiteur[2], voire au tiers ayant constitué une sûreté réelle[3], ou encore à l’associé en nom tenu au paiement de la dette sociale[4].

 

Deux questions demeuraient :

 

– La portée de cette opposabilité de l’interversion de la prescription du fait de l’admission de la créance, à l’égard, notamment, du garant ;

 

– L’application de ces règles aux particularités de l’espèce à savoir l’effet interruptif de la déclaration de créance et, l’intervention de la loi nouvelle du 17 juin 2008.

 

L’arrêt précise que « cette opposabilité ne peut avoir pour effet de soumettre l’action en paiement du créancier contre le codébiteur et la caution solidaires au délai d’exécution des titres exécutoires ». La solution n’est pas nouvelle, un arrêt non publié l’ayant déjà retenue[5].

 

Si à l’égard du débiteur principal l’admission de créance emporte substitution de la prescription trentenaire à la prescription décennale, cet effet ne se prolonge pas sur l’action du créancier contre la caution. Du fait de l’opposabilité de cette interversion à son égard, la caution ne peut plus, dès la décision d’admission devenue définitive, arguer de l’expiration du délai de prescription initial pour plaider l’extinction de la dette garantie.

 

Cependant, la caution à qui l’interversion n’est qu’opposable, conserve la possibilité d’exciper, dans les rapports entre créancier et caution, de la disparition du droit d’action du premier contre elle, par le jeu d’une prescription affectant ce droit d’agir de manière autonome, par rapport à celui que le créancier détient contre le débiteur principal.

 

Il s’ensuit que l’action du créancier contre la caution, qui se prescrivait en l’espèce et à l’origine par 10 ans en application de l’article L. 110-4 du Code de commerce, devait, sur le principe, rester soumise à ce délai de prescription, nonobstant l’admission de la créance au passif du débiteur principal.

 

Concernant l’effet interruptif, on sait la déclaration de créance étant, avant l’ordonnance du 12 mars 2014, assimilée à une demande en justice, elle interrompt la prescription, y compris à l’égard de la caution, notamment solidaire[6], et ce jusqu’à clôture de la procédure collective. Depuis 2014 le principe est légal.

 

S’agissant de la réforme du 17 juin 2008, qui réduit l’ancienne prescription décennale de l’article L. 110-4 du Code de commerce à cinq ans, on sait qu’elle s’applique dès son entrée en vigueur aux prescriptions en cours, soit à compter du 19 juin 2008, et sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

 

En l’espèce, la banque ayant déclaré sa créance, la prescription décennale à laquelle était initialement soumise l’action du créancier contre la caution et le codébiteur a été interrompue, pour recommencer à courir après clôture. A compter du 19 juin 2008, cette prescription est passée de 10 ans à 5 ans. Dans la mesure où les assignations ont été délivrées en août 2013, l’action de la banque était donc prescrite depuis… le 19 juin 2013.

 

III – A retenir

 

L’opposabilité au codébiteur et à la caution solidaires de la substitution de la prescription, ayant pu se produire, en l’état du droit antérieur à la loi du 17 juin 2008, à la suite d’une décision d’admission des créances au passif du débiteur principal, ne peut avoir eu pour effet de soumettre l’action en paiement du créancier contre le codébiteur et la caution solidaires au délai d’exécution des titres exécutoires.

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats



[1] Cass. com., 5 déc. 2006, no 05-11.761

[2] Cass. com., 30 oct. 2007, no 04-16.655

[3] Cass. com., 17 nov. 2009, no 08-16.605

[4] Cass. com., 29 sept. 2009, no 08-19.777

[5] Cass. com., 12 janv. 2016, n° 14-21.295

[6] Cass. com., 26 sept. 2006, n° 04-19.751

 

 

 

 

 

 

 

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