Source : Cass., 1ère civ., 10 octobre 2018, n° 17-20441
I – A première vue, un pouvoir discrétionnaire de la banque dans la rédaction de ses contrats
A la base, l’histoire simple d’une offre de prêt immobilier consenti par une banque à un consommateur qui souhaite financer la construction d’une maison d’habitation à usage de résidence principale.
Le contrat de prêt stipule que l’emprunt est remboursable en deux-cent-quarante mensualités et est garanti par le cautionnement d’une société tierce.
En outre, et c’est là l’enjeu de l’arrêt commenté, l’article 9 des conditions générales prévoit qu’en cas de déclaration inexacte de la part de l’emprunteur, la banque notifiera à ce dernier l’exigibilité anticipée de toutes les sommes dues au titre du prêt.
Or, constant les éléments suivants, la banque exige, de manière justifiée selon elle, le remboursement anticipé des sommes prêtées :
1) conformément au contrat de prêt, les fonds devaient être débloqués en plusieurs fois sur présentation de factures validées par l’emprunteur, indiquant la ou les prestations faites, au fur et à mesure de l’état d’avancement des travaux ; et
2) il existait une insincérité des factures présentées par l’emprunteur de sorte que cela constitue une déclaration inexacte.
La caution, subrogée dans les droits de la banque, a alors assigné l’emprunteur en paiement.
En défense, l’emprunteur soutient que la juridiction est tenue d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Il s’agit là de position de la CJUE[1].
Rejet de cet argument procédural par les juges du second degré qui tranchent en faveur d’une application d’office de la loi des parties.
II – Rappels : recours à justice ouvert à l’emprunteur pour contester le bien-fondé d’une clause et devoir du juge d’écarter d’office une clause abusive
Définition des clauses abusives
L’article L. 212-1 du Code de la consommation qualifie d’abusives « les clauses qui ont pour objet ou effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ».
Et de préciser que « le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution. L’appréciation du caractère abusif des clauses (…) ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ».
Devoir du juge de relever d’office ces clauses
Afin d’harmoniser la législation européenne avec le droit internet, la loi Hamon du 17 mars 2014 remplace la faculté du juge à soulever d’office le caractère abusif d’une clause) en lui imposant désormais ce devoir.
Ainsi, l’article R. 632-1 du Code de la consommation prévoit que « Le juge (…) écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ».
En l’espèce, à l’aune de ces éléments, la Cour de cassation « sanctionne » ainsi les juges du fond en leur rappelant qu’il leur « incombait de rechercher d’office le caractère abusif de la clause qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l’emprunteur, en ce qu’elle est de nature à laisser croire que l’établissement de crédit dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’importance de l’inexactitude de cette déclaration et que l’emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme ».
Sanctions infligées
Dès lors que la clause est déclarée abusive, le juge procède à son éradication (elle est alors réputée non écrite) et le contrat dans toutes ses autres dispositions survit s’il peut se maintenir sans la clause litigieuse (article L. 241-1 du Code de la consommation). Si le consommateur plaignant parvient à prouver un préjudice, le professionnel pourra être en outre condamné au paiement de dommages et intérêts.
Indépendamment d’un contentieux judiciaire, la sanction peut également être de nature administrative. En effet, les documents contractuels liant un professionnel à un non-professionnel peuvent faire l’objet d’un contrôle de la Direction départementale de la protection de la population (DDPP) qui, à l’issue d’une procédure, peut infliger des amendes administratives allant jusqu’à 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale.
Il convient ainsi de redoubler de vigilance lors de la rédaction de contrats, conventions ou encore CGV notamment en prenant soin d’exclure les clauses « de manière irréfragable présumées abusives », dite « noires » (article R. 212-1 du Code de la consommation) et les clauses « présumées abusives », dites « grises » (article R. 212-2 du même code) dont il est d’ailleurs donné des exemples réels sur le site de la Commission des clauses abusives instituée par l’article L. 822-4 du Code de la consommation et placée sous l’égide du ministre chargé de la consommation.
Victoria GODEFROOD-BERRA
Vivaldi-Avocats
[1] CJCE, 4 juin 2009, cité note 10 sous l’article L. 212-1