Distribution sélective et e-commerce : une première application de l’arrêt Coty au matériel de motoculture nuancée par une amende de 7 millions d’euros pour entente illicite

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

 

Source : ADLC, décision n° 18-D-23 du 24 octobre 2018 relative à des pratiques de mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture

 

            I – Pratiques reprochées par l’ADLC

 

Les services d’instruction de l’Autorité de la concurrence (ADLC) se sont penchés sur la mise en œuvre du système de distribution sélective par STIHL, société spécialisée dans la vente de matériel de motoculture (tronçonneuses, débroussailleuses, élagueuses et sécateurs à batterie).

 

L’instruction s’est soldée par la notification de griefs adressée par le gendarme de la concurrence à la société mise en cause fondée sur les dispositions de l’article L. 420-1 du Code de commerce pour les deux pratiques suivantes entre 2006 et 2014 :

 

– Grief n° 1 : restriction de la vente des produits STIHL sur les sites internet des distributeurs agréés ;

– Grief n° 2 : interdiction de la revente sur les plateformes internet tierces.

 

Pour l’ADLC, « en interdisant de facto à ses distributeurs de vendre les produits Stihl et Viking à partir de leurs propres sites, d’une part, et à partir des sites des plateformes tierces telles qu’Amazon ou eBay, Stihl aurait participé à deux ententes verticales anticoncurrentielles par objet ».

 

Argument avancé par STIHL dans ses observations à la notification de griefs et son mémoire : le degré de dangerosité et de technicité des produits précités requiert la mise en place de services d’assistance et de conseil et exige « la mise en main complète de la machine » par les distributeurs agréés.

 

Si pour l’ADLC cet argument justifie la licéité du recours à un réseau de distribution sélective, l’analyse qu’elle en fait pour donner suite aux deux griefs est plus nuancée.

 

            II – Une extension de la jurisprudence Coty aux produits techniques

 

L’étude de l’ADLC repose sur l’examen des produits concernés dont un bon nombre « sont des outils motorisés portables utilisés pour les travaux forestiers ou l’entretien d’espaces verts dont le montage et le maniement peuvent s’avérer délicats », voire dangereux. Il ressort de cette analyse deux catégories de produits : les produits dangereux et les produits non-dangereux.

 

Le Collège de l’ADLC a estimé que l’interdiction de revente par les distributeurs agréés sur les plateformes tierces est proportionnée et appropriée dès lors que cela permet à STIHL de s’assurer que ses produits sont vendus dans des conditions qui préservent son image de marque (produits techniques et de qualité) et garantissent la sécurité du consommateur (produits pouvant présenter un degré de dangerosité)[1].

 

A l’instar de la Cour d’appel de Paris avec l’arrêt Caudalie[2], l’ADLC fait ici une application de l’arrêt Coty[3] (cf. article Vivaldi-Chronos du 8 février 2018) pour des produits non plus de luxe, mais présentant une haute technicité ce qu’elle reconnaît de manière explicite au point 278 de sa décision :

 

« l’analyse opérée par la Cour de justice dans l’arrêt Coty susvisé pour la commercialisation en ligne de produits de luxe paraît susceptible d’être étendue à d’autres types de produits. En effet, si la Cour a pris soin de rappeler que son raisonnement s’inscrivait dans le prolongement des principes dégagés par sa jurisprudence antérieure, et notamment l’arrêt Pierre Fabre précité, qui renvoie lui-même à l’arrêt Metro précité, aux termes de laquelle un système de distribution sélective ou une clause particulière d’un tel système peuvent être licites dès lors qu’ils sont nécessaires à la préservation de la qualité et au bon usage des produits concernés, elle n’a pas apporté davantage de précisions sur la nature desdits produits et n’en a donc pas circonscrit le champ d’application, renvoyant cette appréciation au cas par cas ».

 

            III – Une limitation de l’interdiction de revente sur internet

 

L’interdiction faite aux distributeurs agréés de revendre sur leur site internet les produits concernés s’avère clairement moins justifiée d’un point de vue de la concurrence.

 

Pour mémoire, l’article L. 420-1 du code de commerce prohibant notamment les conventions entre entreprises lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu’elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

 

En l’espèce, selon l’ADLC, en interdisant l’e-commerce de ses produits, STIHL a retiré tout intérêt à la vente en ligne pour les distributeurs et même a réduit la possibilité pour les distributeurs agréés de vendre les produits en dehors de leur zone de chalandise physique.

 

Du point de vue des consommateurs, cette interdiction a limité leur choix d’acheter sans se déplacer de sorte que ces derniers n’ont ainsi pas pu pleinement faire jouer la concurrence entre les tous distributeurs et in fine bénéficier de prix plus intéressants.

 

Le Collège de l’ADLC a donc conclu que s’il n’y avait pas lieu de poursuivre STIHL au titre du grief n° 2, le premier grief revêtait néanmoins un degré particulier de nocivité pour la concurrence au point de constituer une restriction anticoncurrentielle par objet prohibée par l’article L. 420-1 du Code de commerce.

 

Verdict : l’ADC a condamné STIHL au paiement d’une amende de 7 millions d’euros et lui a enjoint de procéder, dans les trois mois de la notification de la décision, à la modification de ses contrats de distribution sélective existants afin de stipuler, en termes clairs, que les distributeurs agréés membres de son réseau de distribution sélective ont la possibilité de procéder à la vente en ligne de tous ses produits sans exiger de ceux-ci une « mise en main » auprès de l’acheteur.

 

Victoria GODEFROOD-BERRA

Vivaldi-Avocats



[1] Points 278 à 289

[2] Voir article Vivaldi Chronos du 9 août 2018

[3] CJUE, C‑230/16, 6 décembre 2017

 

 

 

 

 

 

 

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