Source : Cass. Com 11 juin 2014, n°13-13.643, FS-P+B
La Cour de Cassation vient de rendre un arrêt extrêmement intéressant qui viendra probablement bouleverser le comportement des créanciers lorsque ceux-ci font face à un débiteur, qui a pris la précaution de procéder à une déclaration d’insaisissabilité de son immeuble d’habitation.
Jusqu’à présent, les litiges relatifs à la déclaration d’insaisissabilité ont essentiellement porté sur la question de savoir si le liquidateur, représentant de tous les créanciers, avait qualité à agir au nom de seulement certains d’entre eux (ceux dont la créance était antérieure à la déclaration d’insaisissabilité, à qui elle n’ était donc pas opposable). En l’état de la jurisprudence, seuls les créanciers auxquels la déclaration était inopposable ont qualité à agir, et vraisemblablement également en dehors de la procédure collective, puisque la déclaration place l’immeuble hors procédure.
L’arrêt commenté apporte un élément nouveau : en l’espèce, un créancier, malgré l’existence d’une déclaration d’insaisissabilité qui lui était opposable, avait pris l’initiative de prendre sur l’immeuble une hypothèque judiciaire conservatoire.
Le débiteur fait opposition, au motif que le droit de suite attaché à l’hypothèque judiciaire conservatoire rendait impossible l’application de l’article L.526-3 du Code de Commerce qui prévoit qu’en cas de cession de l’immeuble, le prix demeure insaisissable, puis se reporte sur le nouvel immeuble acquis grâce au remploi de ces sommes.
La Cour de Cassation, dans son arrêt publié, confirme la position des Juges du fond, en rejetant le pourvoi, confirmant que l’article L.526-1 du Code de Commerce est d’interprétation stricte : seule la saisie est interdite et non la mesure conservatoire que constitue l’inscription provisoire d’une hypothèque.
Il faut en tirer la conséquence que, tant que le débiteur n’aura pas renoncé à sa déclaration d’insaisissabilité, le créancier bénéficiaire de l’inscription d’hypothèque judiciaire conservatoire ne pourra procéder à la réalisation du bien (c’est-à-dire à sa saisie). L’articulation avec l’article L.526-3 du Code de Commerce permet, quant à elle, d’imaginer que le débiteur pourra vendre son immeuble … mais ne pourra purger l’hypothèque.
En d’autres termes, sauf à trouver un acquéreur disposé à acquérir un bien grevé d’une hypothèque, l’immeuble sera invendable.
Il s’agit là assurément d’une limitation extrêmement importante de l’intérêt du mécanisme de la déclaration d’insaisissabilité, puisqu’il est désormais acquis que les créanciers auxquels elle est inopposable, pourront prendre une inscription sur le bien, empêchant dès lors sa revente.
L’arrêt commenté n’est d’ailleurs pas la seule limitation apportée au mécanisme de la déclaration d’insaisissabilité, puisque l’ordonnance réformant le droit des procédures collectives, en date du 12 mars 2014, a elle aussi fortement limité sa portée en introduisant un nouveau cas de nullité de plein droit de la période suspecte, et un nouveau cas de nullité facultative.
Ces deux nouveaux cas figurent respectivement aux alinéas 1 et 2 du nouvel article L.632-1 du Code de Commerce. La déclaration d’insaisissabilité est désormais nulle, de plein droit, lorsque celle-ci a été faite au cours de la période suspecte. Elle peut être annulée (facultativement, à l’appréciation des Juges saisis) lorsqu’elle a été faite dans les 6 mois qui précèdent la date de cessation des paiements.
En d’autres termes, le législateur permet désormais au liquidateur de solliciter, de plein droit, la nullité de la déclaration d’insaisissabilité dans un délai maximum de 18 mois en arrière, et de manière facultative, dans un délai de 24 mois antérieurement au jugement d’ouverture. Seules conserveront donc toute leur force, les déclarations d’insaisissabilité effectuées de bonne foi, très antérieurement à la survenance d’un état de cessation des paiements.
Reste à aborder l’aspect pratique de la solution posée par la Cour de Cassation :
– Un créancier à qui une déclaration d’insaisissabilité est opposable a-t-il tout de même intérêt à prendre une hypothèque judiciaire conservatoire ? La réponse est assurément oui, puisque la déclaration empêchera certes la saisie immobilière du bien mais rendra impossible, en pratique, toute revente de celui-ci et déclenchera nécessairement à un moment ou un autre, la négociation entre le débiteur et son créancier bénéficiaire de la sûreté.
– La prise d’une hypothèque judiciaire conservatoire est-elle possible postérieurement à la liquidation judiciaire du débiteur ? Là encore, la réponse est oui, puisque, si la déclaration d’insaisissabilité est régulière, l’immeuble est bien hors procédure.
Par ailleurs, et à l’inverse, si le liquidateur obtient l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité, dans le cadre d’une action en nullité de la période suspecte, cela sera sans effet pour le créancier bénéficiaire de la sûreté judiciaire sauf à le faire rentrer en concurrence avec les autres créanciers privilégiés de la procédure. Sa situation sera néanmoins toujours plus enviable qu’un créancier non titulaire de la sûreté judiciaire.
– Quid de la concurrence avec les créanciers auxquels la déclaration n’est pas opposable ? Si, par hypothèse, le créancier bénéficiaire de l’hypothèque judiciaire conservatoire est un créancier postérieur à la déclaration, il sera dans l’incapacité de procéder à la saisie et donc à la vente du bien. Seuls pourront le faire, les créanciers antérieurs à ladite déclaration. Si le créancier titulaire de la sûreté ne peut poursuivre, cette dernière conserve toute sa force en cas d’exercice de la saisie par un autre créancier qui, lui, serait en droit de le faire. Dès lors, soit les créanciers saisissant obtiendront la mainlevée de l’hypothèque avant la vente, dans le cadre d’une purge amiable, soit à défaut, le créancier titulaire de l’hypothèque sera payé prioritairement sur le prix de vente.
Quel que soit l’angle sous lequel la question est abordée, les créanciers, en situation de le faire, ont tout intérêt à prendre une telle inscription d’hypothèque judiciaire conservatoire … dans les tous meilleurs délais pour disposer d’un rang avantageux.
Etienne CHARBONNEL
Vivaldi-Avocats