Vérification du passif : Comment piéger votre créancier en trois étapes ?

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

Source : Cass. Com., 13 mai 2014, pourvoi n°13-13.284 FS-P+B+R+I

 

Par deux fois déjà[1], VIVALDI AVOCATS a abordé la question des suites de la procédure pour le cas où le Juge-Commissaire, dans le cadre de la vérification du passif, se déclarait incompétent, ou faisait le constat de son absence de pouvoir juridictionnel (ou du dépassement de son office juridictionnel).

 

Synthétiquement, nous avions exposé que l’article L.624-2 du Code de Commerce prévoit les décisions que le Juge-Commissaire peut rendre en matière de vérification du passif.

 

Il peut :

 

       Admettre une créance ;

 

       Rejeter une créance ;

 

       Constater qu’une instance est en cours (c’est-à-dire constater qu’un autre juge est saisi du litige au fond) ;

 

       Constater que la contestation ne relève pas de sa compétence.

 

A ces décisions possibles, posées par le texte, s’est ajoutée une création purement prétorienne, tirée du constat de l’absence de pouvoir juridictionnel du Juge-Commissaire.

 

Toujours synthétiquement et prenant en considération le fait que l’étude de la Jurisprudence est extrêmement complexe en la matière, la différence entre l’incompétence du Juge-Commissaire et l’absence de pouvoir juridictionnel, pourrait se distinguer comme suit :

 

       La compétence concerne les cas où le litige porté devant le Juge-Commissaire est indépendant de la question de la vérification des créances.

 

       L’absence de pouvoir juridictionnel, quant à lui, concernerait les cas où le Juge-Commissaire dont il est aujourd’hui admis, qu’il est un Juge de l’évidence au même titre qu’un Juge des Référés, fait le constat que le litige recouvre un ensemble de faits complexe, assimilable à ce que l’on pourrait qualifier de contestations sérieuses s’il s’agissait d’une procédure en référé, et qui dépasserait dès lors, son office.

 

La distinction, loin d’être évidente, avait pourtant, à interpréter la Jurisprudence existante, des conséquences extrêmement importantes, puisque le régime est totalement différent selon que l’on se trouve dans un cas d’incompétence ou dans un cas de dépassement de l’office juridictionnel.

 

Dans son arrêt du 13 mai 2014, la Cour de Cassation aligne les deux régimes sur un point, qui est l’application de l’article R.624-5 du Code de Commerce qui dispose :

 

« La décision d’incompétence ouvre au créancier, au débiteur et au mandataire judiciaire, un délai d’un mois à compter de la notification de la réception de l’avis délivré pour saisir la juridiction compétente à peine de forclusion, à moins de contredit. »

 

La lecture stricte de ce texte semblait réserver le respect du délai du mois aux seules décisions du Juge-Commissaire par lesquelles celui-ci constatait son incompétence.

 

Cette solution était en outre logique, puisque, s’agissant d’une décision d’incompétence, le Juge-Commissaire est dessaisi et doit donc, selon le droit commun, indiquer dans la décision qu’il rend, la juridiction compétente. Il était donc logique d’enfermer les parties, à qui il était précisé que le Juge-Commissaire, saisi dans un premier temps, était incompétent, dans un délai court pour que ces derniers introduisent de nouveau leur instance, cette fois devant la bonne juridiction.

 

En revanche, dans la mesure où une décision par laquelle le Juge constate son absence de pouvoir juridictionnel n’a pas pour effet de le dessaisir, en présence d’une simple décision de sursis à statuer, il reste dans l’attente de la décision du Juge naturel du litige.

 

Pour autant, s’agissant d’une création prétorienne, c’est-à-dire dont les suites procédurales n’étaient pas textuellement prévues, les parties n’étaient enfermées dans aucun délai particulier pour saisir ce Juge naturel du litige.

 

Ce sont sans doute ces difficultés, que nous avions souligné dans nos différents articles, qui ont poussé la Cour de Cassation à rendre la décision commentée.

 

Il s’est vraisemblablement agi d’assurer le respect de délais courts pour les procédures de vérification du passif, et pour ce faire de réduire le délai ouvert aux parties pour saisir la bonne juridiction une fois que le Juge-Commissaire avait rendu sa décision, qu’il s’agisse donc d’une décision d’incompétence ou de constat de son absence de pouvoir juridictionnel.

 

Telle est donc la décision de la Cour de la Cassation en l’espèce : si le Juge-Commissaire rend une décision par laquelle il constate le dépassement de son office juridictionnel, les parties sont tenues de saisir la nouvelle juridiction dans le délai du mois, prévu par l’article R.624-5 du Code de Commerce.

 

Cette décision est surprenante dans la mesure où la Cour de Cassation ne semblait pas s’orienter vers un tel alignement dans ses décisions les plus récentes.

 

Elle est d’autant plus surprenante qu’elle applique à une décision de « simple » sursis à statuer un texte qui vise très précisément une décision d’incompétence.

 

Elle fait donc dire à un texte quelque chose qui n’y figure pas.

 

Elle simplifie, en revanche, la tâche des parties, qui, dès lors que le Juge énonce ne pas être en mesure de trancher leur litige, se voient appliquer un délai identique, qu’il s’agisse d’une décision d’incompétence ou de sursis à statuer.

 

Cette décision a également le mérite de raccourcir le processus de vérification du passif, en imposant un délai court aux parties pour saisir une nouvelle juridiction alors que précédemment, les parties étaient libres dans leur calendrier, ne risquant au final que la péremption de leur instance au bout de deux ans d’inaction.

 

Pour autant, cette jurisprudence entérine néanmoins un risque que nous avions déjà identifié dans nos précédents articles et qui est désormais d’autant plus prégnant.

 

En effet, la sanction du défaut de saisine dans le délai du mois de l’article R.624-5 du Juge compétent, ou naturel dans le cadre du litige que le Juge-Commissaire a indiqué dépasser son office juridictionnel, est la forclusion de la créance du créancier déclarant.

 

C’est-à-dire que, faute pour les parties (c’est-à-dire débiteur et créancier) de saisir la nouvelle juridiction, seul le créancier est sanctionné par la forclusion de sa déclaration qui devient donc inopposable à la procédure, et l’empêche de bénéficier des dividendes du plan.

 

Dit autrement, la sanction est particulièrement sévère pour le créancier alors qu’elle est à l’inverse particulièrement profitable au débiteur … qui n’aurait pas respecté lui-même le délai.

 

Le piège est alors tout trouvé et semble tout particulièrement aisé à mettre en œuvre à l’encontre des établissements bancaires, dans le cadre des contestations des créances correspondant à des emprunts.

 

Un tel piège pourrait s’articuler comme suit :

 

Etape n°1 : Le débiteur conteste la créance résultant du contrat pour un motif plus au moins fallacieux (exemple : défaut de validité du contrat, mention manuscrite du contrat incorrect, contrat non signé, comportant deux dates différentes, soupçon de présence d’une clause abusive, …) ;

 

Etape n° 2 : Le débiteur, dans le cadre de la vérification du passif, indique au Juge-Commissaire que celui-ci est incompétent à trancher le litige. Le Juge-Commissaire rend donc une décision d’incompétence, ou de sursis à statuer en constatant son absence de pouvoir juridictionnel ;

 

Etape n°3 : Le débiteur se contente alors … de ne rien faire. Si le créancier ne saisit pas la bonne juridiction dans le délai de 30 jours, délai particulièrement court, d’autant plus que le créancier n’est pas à l’origine de la contestation et n’était finalement pas demandeur dans le cadre de la procédure ayant abouti à la décision d’incompétence, ledit créancier se voit opposer la forclusion de sa créance !

 

Si le piège n’a pas fonctionné, et qu’une instance est bien introduite au fond, il suffit, pour le débiteur, et si la contestation était effectivement sans fondement, de purement et simplement se désister de son instance et/ou de son action sur le sujet, pour revenir devant le Juge-Commissaire et voir la créance admise, comme elle aurait dû l’être depuis le début.

 

Dans le meilleur des cas (pour le débiteur !), le créancier a perdu totalement sa créance, dans le pire des cas, il a gagné du temps avant que la créance contestée ne soit finalement admise au passif, et n’a engagé que des frais minimes dans une procédure dont il s’est désisté.

 

Il est absolument certain que de nombreux créanciers, au tout premier rang desquels, de nombreux établissements bancaires, tomberont dans le piège tendu par des débiteurs « bien » conseillés …

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocats

 


[1] Voir les commentaires des arrêts rendus le 9 avril 2013 et du 28 janvier 2014

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