Produits défectueux : insuffisance de la simple implication du produit dans la réalisation du dommage pour engager la responsabilité du producteur

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

 

 

Source : Cass. 1ère civ., 27 juin 2018, n° 17-17.469, FS-PB

 

            I – Responsabilité du fait des produits défectueux : rappel des règles de droit

 

Issue de la transposition de la Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, la loi du 19 mai 1998 insère les articles relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux au Code civil et pose ainsi un régime spécial de responsabilité.

 

Concernant le champ d’application, celui-ci est large puisqu’il faut entendre par « produit » « tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l’élevage, de la chasse et de la pêche » (article Art. 1245-2 du Code civil).

 

L’article 1245-3 du Code civil pose qu’un produit est défectueux dès lors qu’il ne présente pas la sécurité à laquelle l’utilisateur peut légitimement s’attendre notamment au regard de sa présentation, de l’usage que l’on peut raisonnablement en attendre, du moment de sa mise en circulation.

 

Ainsi, l’article 1245 du même Code prévoit que lorsqu’un produit cause un dommage, le producteur engage sa responsabilité.

 

La victime peut alors engager la responsabilité du producteur du produit défectueux sur le fondement des dispositions précitées. Pour ce faire, elle doit démontrer cumulativement :

 

1. le dommage ;

2. le fait générateur (en l’espèce, le défaut du produit) ; et

3. le lien de causalité entre les deux.

 

La jurisprudence sur le sujet est importante : condamnation d’un fabricant d’interphones pour défaut de sécurité[1], d’un fabricant de vaccins suite au décès d’un patient après administration[2], ou encore d’un fabricant d’alternateurs dont l’échauffement a provoqué l’incendie d’un groupe électrogène[3].

 

Mais sur le troisième élément de la démonstration, quid d’une simple possibilité d’imputabilité du dommage au produit incriminé ?

 

            II – Insuffisance de la simple implication du produit dans la réalisation du dommage pour engager la responsabilité du producteur

 

                        II – 1. Principe posé par la jurisprudence française

 

Dans le cas d’espèce de la décision commentée, le litige porte sur l’incendie d’un local commercial affecté à l’exploitation d’une activité de boucherie dont le départ a été situé, selon l’expert désigné, dans le coffret de commande et de régulation de chambres froides.

 

Plus précisément, selon l’expert « l’origine de l’incendie peut se trouver soit sur une borne intrinsèque au câblage intérieur du coffret réalisé par [le fabricant], soit sur une borne de raccordement de service ou d’alimentation mise en œuvre par [le vendeur et installateur de ce coffret] ».

 

Et pour le sachant de conclure « que le coffret est à l’origine de l’incendie, même s’il n’est pas possible de dire si c’est en lien avec un défaut d’origine de l’appareil ou avec l’intervention de l’installateur ».

 

Le preneur du local et victime du dommage a alors engagé la responsabilité entre autres du producteur du coffret sur le fondement de l’article 1245 du Code civil.

 

Si les juges du second degré ont accédé aux prétentions du demandeur à l’action, la Cour de cassation a censuré cette décision estimant que « la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à « établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage ».

 

L’arrêt commenté s’inscrit donc dans la droite ligne de la jurisprudence interne établie.

 

                        II – 2. Exception émise par le droit prétorien européen

 

En matière médicale, la Cour de cassation avait estimé, dans un arrêt du 22 mai 2008[4], que le fait que la demanderesse n’avait pas rapporté pas la preuve d’un lien causal entre l’injection qu’elle avait reçue et l’apparition de la sclérose en plaques, excluait l’imputabilité de la maladie à la vaccination. Ainsi, « l’absence de certitude scientifique sur l’innocuité du vaccin n’emport[ait] pas de présomption de défaut ».

 

La responsabilité du fabricant du vaccin incriminé ne pouvait alors légitimement être engagée dès lors que la preuve certaine du lien de causalité entre le fait générateur (défaut du vaccin) et le dommage (maladie) n’était pas apportée par la victime.

 

Toutefois, il convient de relever que quelques jours avant le délibéré de l’arrêt commenté[5], les juges européens sont venus assouplir le régime de la preuve en matière de vaccin notamment au regard du caractère certain du lien de causalité entre son défaut et la maladie de la victime

 

La CJUE énonce qu’en « l’absence de consensus scientifique, le défaut d’un vaccin et le lien de causalité entre celui-ci et une maladie peuvent être prouvés par un faisceau d’indices graves, précis et concordants »[6].

 

Victoria GODEFROOD-BERRA

Vivaldi-Avocats


[1] Cass. 1ère civ., 10 décembre 2014, n° 13-14.314

[2] Cass. 1ère civ., 26 septembre 2012, n° 11-17.738

[3] Cass. com., 26 mai 2010, n° 07-11.744

[4] Cass., 1ère civ., 22 mai 2008, n° 06-18.848

[5] CJUE, 21 juin 2017, C-621/15, N. W e.a./Sanofi Pasteur MSD e.a.

[6] Communiqué de presse n° 66/17 de la CJUE, 21 juin 2017

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