SOURCE : 3ème civ, 15 février 2018, n°17-11329, FS – P+B+I
Lorsqu’un litige relève de l’exécution d’un bail commercial, l’article R211-4 du COJ dispose que « le tribunal de grande instance a compétence exclusive » pour statuer sur le différend. Quand il porte sur la mise en cause de la responsabilité de l’auteur d’une pratique anticoncurrentielle prohibée, l’article L442-6 III du Code de commerce oblige le demandeur à saisir une des juridictions spécialisées de l’article D 442-3 du Code de commerce, et à cet égard, la Cour de cassation considère que les demandes, même formulées à titre subsidiaire, afférentes aux dispositions de l’article L442-6, sont portées devant l’une des juridictions spécialisées[1].
La question a donc pu se poser de savoir si l’une des parties liée par un bail commercial pouvait reprocher à son cocontractant la commission d’une pratique anticoncurrentielle, et dans l’affirmative, ce qui serait toutefois discutable[2], quelle juridiction saisir. En effet, si la problématique était définitivement tranchée dans le secteur coopératif[3], tel n’était pas le cas des baux commerciaux, domaine dans lequel la Cour de cassation ne s’était jusqu’au présent arrêt commenté, pas encore positionnée fermement, ne laissant que quelques pistes au lecteur attentif. Plus précisément,
par un arrêt du 18 octobre 2016 (RG n°14-27212), la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait dit, dans une affaire dans laquelle le preneur reprochait à son cocontractant une rupture fautive des négociations dans le cadre de l’exercice, par le bailleur, de son droit d’option, que « la solution du litige nécessitait l’examen préalable des conditions dans lesquelles avait été exercé le droit d’option », renvoyant le preneur a saisir, avant tout, la juridiction compétente de l’article R211-4 du COJ;
par un arrêt du 21 janvier 2014, la Cour de cassation rejetait le cinquième moyen d’un pourvoi formé par le preneur, selon lequel : « l’existence d’un bail commercial n’est pas exclusive d’un partenariat commercial entre les parties ; qu’en l’espèce, la cour, qui a refusé à la société X toute indemnisation du déséquilibre significatif ayant existé entre les sociétés A et B au motif qu’elles étaient seulement liées par un bail commercial (…) »
L’arrêt du 15 février 2018 commenté vient confirmer que les deux matières sont clairement inconciliables.
En l’espèce, un preneur reprochait à son bailleur un manquement à son obligation de délivrance, d’une part, et un déséquilibre significatif au titre des clauses et conditions du bail, d’autre part. Il ne saisit pas le tribunal de grande instance du lieu de situation de l’immeuble, Bobigny, mais le TGI de Paris en application de l’article D442-4 du Code de commerce.
La deuxième demande ne ressortant pas de la première, contrairement à l’arrêt du 18 octobre 2016 précité, le Juge de la mise en état parisien a déclaré le tribunal de Grande Instance de Paris seul compétent pour connaître de l’ensemble du litige.
La Cour d’appel de Paris ne partage pas cette position et considère que les dispositions du statut des baux commerciaux sont exclusives de toute application, qu’elle soit conjointe ou alternative, des dispositions de l’article L442-6 du Code de commerce.
La Troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme l’arrêt, approuvant la Cour d’appel d’avoir « retenu, a bon droit, que seules les activités de production, de distribution ou de services entrent dans le champ d’application de l’article L442-6 I 2° du Code de commerce (…)», ce que n’est donc pas le bail commercial.
La Haute juridiction confirme donc que la Cour d’appel de PARIS en a « exactement déduit que le litige, qui portait sur l’exécution d’un bail commercial, ne relevait pas des juridictions spécialement désignées pour statuer en application de ce texte ».
Cette position logique de la Haute juridiction conduira ainsi les parties à un bail commercial à formuler leur grief à leur juge naturel, sans pouvoir invoquer les dispositions de l’article L442-6 du Code de commerce, qui devront être remplacées par celles de droit commun, à savoir l’article 1240 du Code civil (ancien 1382).
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Cass Com., 26 mars 2013, n°12-12685, Publié au bulletin, et notre article chronos du 17 avril 2013 : « compétence exclusive des juridictions spécialisées pour connaître des pratiques restrictives de concurrence »
[2] Sébastien Regnault, commentaire de l’arrêt rendu le 18 octobre 2016, AJ Contrat 2016 p538
[3] Cass com., 8 février 2017, n°15-23050 et 18 octobre 2017, n°16-18864