Source : CE, 27 mai 2015, Syndicat de la Magistrature N° 388705
Le Syndicat de la magistrature demandait au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir les articles 1er, 2 et 3 du décret n° 2015-26 du 14 janvier 2015 relatif à l’interdiction de sortie du territoire des ressortissants français projetant de participer à des activités terroristes à l’étranger, ainsi que l’instruction du 18 février 2015 relative à la mesure administrative d’interdiction de sortie du territoire des Français prononcée en application de l’article L. 224‑1 du code de la sécurité intérieure.
Son recours a été rejeté, aux termes d’un arrêt du 27 mai 2015, non pour des motifs tenant au fond du droit, mais en considération de l’absence d’intérêt à agir de Syndicat de la magistrature.
Le Syndicat de la Magistrature étant déclaré irrecevable, la QPC qu’il avait soumise n’est donc pas transmise au Conseil constitutionnel.
Le Syndicat de la Magistrature a pu être regardé comme porteur de messages essentiellement politiques, voire idéologiques.
Ancré à gauche, le « SM » est décrié par certains en ce qu’il véhiculerait une idéologie « seventies »[1].
On se rappelle du texte fondateur de ce syndicat, la fameuse Harangue d’Oswald BAUDOT de 1974, où l’on pouvait notamment lire :
« Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d’un côté. C’est la tradition capétienne. Examinez toujours où sont le fort et le faible, qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurances de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice. »
Les ennemis du SM (ils sont nombreux, cf. l’affaire du « mur des cons »), seraient tentés d’ajouter, qu’il s’agissait en l’espèce, dans la procédure ayant conduit à l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 mai 2015, d’être pour le terrorisme et contre la sécurité publique…
Un tel propos serait probablement simplificateur et appartient en tout état de cause au registre de la polémique.
Tel n’est évidemment pas le registre emprunté au Palais Royal.
Le Conseil d’Etat a fait choix, dans son arrêt du 27, de s’en tenir à de strictes considérations juridiques et de procédure :
« Considérant toutefois, d’une part, que le syndicat requérant, dont l’objet est régi par les dispositions de l’article L. 2131-1 du code du travail applicables aux syndicats professionnels, ne saurait utilement se prévaloir des termes généraux de ses statuts relatifs à la « défense des libertés et des principes démocratiques » pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation des dispositions attaquées ;
3. Considérant, d’autre part, que l’intérêt pour agir d’un requérant s’apprécie au regard des conclusions qu’il présente et non des moyens invoqués à leur soutien ; que les dispositions dont il demande l’annulation sont relatives, ainsi qu’il a été dit, à la mise en œuvre, par les autorités administratives, de la mesure d’interdiction de sortie du territoire prévue à l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure ; que ces dispositions, qui ne sont pas de nature à affecter les conditions d’emploi et de travail des magistrats judiciaires dont il défend les intérêts collectifs, ne portent par elles-mêmes, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, aucune atteinte à leurs droits et prérogatives ; qu’est sans incidence à cet égard la circonstance qu’il entend se prévaloir, à l’encontre des dispositions attaquées, par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité, de ce que les dispositions législatives qui sont la base légale des dispositions litigieuses méconnaîtraient, selon lui, le rôle dévolu à l’autorité judiciaire par la Constitution ;
4. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requête du Syndicat de la magistrature est irrecevable ; qu’elle doit, par suite, être rejetée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur sa demande tendant à ce que le Conseil d’Etat renvoie au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure ; »
On connaît l’adage suivant lequel « Pas d’intérêt pas d’action » auquel il faut rapprocher celui en vertu duquel « Nul ne plaide par Procureur ».
Ces règles relèvent de la théorie générale du Procès ; elle est commune à toutes les procédures.
Le Plaideur doit justifier d’un intérêt direct personnel et légitime pour que son action soit recevable.
Si dans le domaine de la procédure civile – où la règle figure expressément à l’article 31 du CPC – et dans le domaine du plein contentieux, la règle se comprend aisément, elle est en revanche plus difficile à apprécier s’agissant de l’excès de pouvoir.
Ne devrait on pas considérer, dès lors qu’il s’agit de rétablir l’ordre légal, que tout citoyen français a nécessairement intérêt à agir ?
Ce n’est pas la position de la Jurisprudence.
Pour obtenir le précieux « sésame », le Syndicat de la magistrature se prévalait, pour demander la nullité du décret du 14 janvier 2015 relatif à l’interdiction de sortie du territoire des ressortissants français projetant de se rendre à l’étranger pour y participer à des activités terroristes, de ses statuts suivant lesquels il a, notamment, pour objet la « défense des libertés et des principes démocratiques ».
Le Conseil d’Etat n’a pas considéré qu’il existait de lien suffisant entre le requérant – le SM – et l’objet des demandes qu’il formait.
Cette décision est assez classique et s’inscrit, notamment, dans la droite ligne des trois arrêts Syndicats SUD de 2003.
On rappellera à cet égard les conclusions du Commissaire du Gouvernement STAHL : « les fonctionnaires, et partant les associations ou syndicats qui défendent leurs intérêts collectifs, ne sont pas recevables à contester les mesures d’organisation du service public qui ne portent pas atteinte aux droits qu’ils tiennent de leur statut ou aux prérogatives qui sont attachées à leurs fonctions (…) » (concl. sur CE 23 juill. 2003, Synd. Sud-Travail, RFDA 2004. 139).
Aussi, en l’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que, s’agissant de mesures relevant du code de la sécurité intérieure, le décret ne portait «aucune atteinte (aux) droits et prérogatives» des magistrats.
Une telle appréciation révèle en creux, la dimension indéniablement objective de l’intérêt à agir devant le juge administratif, fut-ce sur le terrain de l’excès de pouvoir.
Telle n’est toutefois pas la position de la Présidente du SM.
En effet, selon Françoise Martres « la question de la constitutionnalité reste entière» et les magistrats sont « directement concernés en tant que gardiens des libertés individuelles de la façon dont ces droits sont respectés ou limités ».
Si la démarche processuelle du SM a échoué, la controverse demeure donc, et pourra conduire à la polémique, à l’heure où apprend, qu’Emmanuelle Perreux, ancienne Présidente du SM, a vocation à intégrer la Direction de l’Ecole Nationale de la Magistrature.
Stéphanie TRAN
Vivaldi-Avocats
[1]Stéphane Durand-Souffland, « L’idéologie «seventies» du Syndicat de la magistrature », Le Figaro, 25 avr. 2013