Source : Cour de cassation, 17 janvier 2018, n° 17-10360, FS-P+B+I
I- L’AVANT ET L’APRES
Depuis plusieurs années, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s’était instaurée gardienne du temple de la Cour d’appel de Paris, seule investie du pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce.
La sanction était sévère puisque toute décision de cour d’appel en dehors de Paris qui osait statuer sur l’article L. 442-6 du Code de commerce était immédiatement censurée, la Cour de cassation allant jusqu’à systématiquement s’emparer d’office du moyen. L’affaire était alors renvoyée devant la Cour d’appel de Paris qui faisait son œuvre de juridiction du second degré[1].
C’était toutefois avant les arrêts du 29 mars 2017[2] qui amendent cette jurisprudence tout en préservant l’objectif du législateur, à savoir confier l’examen des litiges relatifs à l’article L. 442-6 du Code de commerce à des juridictions spécialisées.
Désormais, seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées sont portés devant la Cour d’appel de Paris. Ainsi, il appartient aux autres cours d’appel, conformément à l’article R. 311-3 du Code de l’organisation judiciaire de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans les ressorts qui ne sont pas désignés par ce dernier texte.
L’arrêt commenté, également publié au bulletin, précise les contours de cette nouvelle doctrine prétorienne.
II- JURIDICTIONS SPECIALISEES, JURIDICTIONS DE DROIT COMMUN
II-1.
Dans le cadre de l’affaire examinée par la Cour de cassation, un franchisé avait saisi une juridiction consulaire non spécialisée d’une requête et d’une ordonnance tendant, au visa du 145 du Code de procédure civile (CPC), à obtenir contre le franchiseur des mesures de constat.
Les échanges entre les parties ont très rapidement démontrés que le litige portait sur l’existence d’un déséquilibre significatif défini à l’article L. 442-6 I, 2° du Code de commerce. Par conséquent, le litige relevait de la compétence des juridictions spécialisées du premier degré puis de la Cour d’appel de Paris.
Saisie d’une demande de rétractation par le franchiseur, le Tribunal de Commerce de Grenoble avait refusé de retirer son autorisation. Le franchiseur saisit alors la Cour d’appel de Grenoble d’une demande d’infirmation du refus de rétractation qu’il va finalement obtenir provoquant ainsi un pourvoi du franchisé.
II-2.
Pour obtenir la cassation, le franchisé développe deux arguments :
le premier rappelle que seule la Cour d’appel de Paris pouvait apprécier le débat tiré de l’article L. 442-6 du Code de commerce ;
le second tente de placer l’article 145 du CPC comme un texte qui transcenderait d’autres dispositions et notamment celles de l’article L. 442-6 du Code de commerce ; et de poursuivre que par conséquent, toute juridiction territorialement compétente même non spécialisées pourrait au visa de ce texte ordonnaient des mesures d’instruction in futurum sans avoir à rechercher si ces mesures s’inscrivent dans un débat futur concernant les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce.
Le pourvoi est rejeté à l’aide de deux principes qui désormais seront la règle pour les praticiens :
d’une part, les dispositions du Code de commerce s’imposent sur les autres dispositions et notamment sur celle de l’article 145 du CPC de sorte que les mesures in futurum sollicitées au droit de ce texte dans le cadre d’un litige futur relevant de la compétence des juridictions spécialisées doivent être présentées devant ces juridictions ;
d’autre part, l’appel contre une décision rendue par une juridiction non spécialisée relève de la cour d’appel territorialement compétente qui doit venir sanctionner par l’infirmation de cette décision rendue en excès de pouvoir par la juridiction consulaire non spécialisée.
Pour ceux qui n’étaient pas encore convaincus, l’article L. 442-6 du Code de commerce est une affaire de spécialistes…
Eric DELFLY et Victoria GODEFROOD-BERRA
[1] Voir par exemple : Cass., com., 24 septembre 2013, n° 12-21089 et Cass., com., 31 mars 2015, n° 14-10016.
[2] Cass., com., 29 mars 2017, n° 15-17659, FS-P+B+R+I et Cass., com., 29 mars 2017, n° 15-24241.