Source : Cass. Com. 8 avril 2015, Pourvoi n°13-22.969 F-P+B
L’action en paiement d’un établissement bancaire à l’encontre d’une caution, en cas de procédure collective ouverte au bénéfice du débiteur principal est une hypothèse pour le moins courante.
L’un des moyens « classiques » de la défense de la caution est d’invoquer le défaut de déclaration de sa créance, par la banque, au passif de la procédure collective du débiteur.
Très logiquement, la jurisprudence sur le sujet est abondante, et relativement établie.
La Cour de Cassation vient ici confirmer une position déjà antérieurement affirmée, mais en lui accordant cette fois les honneurs de la publication au Bulletin.
La loi de Sauvegarde, en modifiant le sort d’une créance non déclarée est contraint la Cour de Cassation à faire évoluer sa jurisprudence. En effet, antérieurement à 2005, une créance non déclarée était éteinte, de sorte qu’en raison du caractère seulement accessoire du cautionnement, la dette de la caution s’en trouvait également éteinte.
Depuis la Loi de Sauvegarde, une créance non déclarée n’est plus éteinte, mais simplement inopposable à la procédure collective. Le créancier a donc désormais toute latitude pour aller rechercher en paiement la caution, qui ne peut se prévaloir du défaut de déclaration que dans une certaine mesure.
A ce titre, par une jurisprudence aujourd’hui bien établie, fondée sur l’article 2314 du Code Civil[1], « lorsque le créancier a omis de déclarer sa créance, peu important la nature de celle-ci, la caution est déchargée de son obligation si cette dernière avait pu tirer un avantage effectif du droit d’être admise dans les répartitions et dividendes, susceptible de lui être transmis par subrogation »[2].
L’arrêt ici commenté est intéressant en ce qu’il s’intéresse à la question de la charge de la preuve du préjudice subi par la caution.
En droit « classique » du préjudice, la caution qui excipe, par voie d’exception, d’une faute de la banque entraînant sa responsabilité, doit démontrer la faute, le préjudice, ainsi que le droit de la responsabilité.
En l’espèce, telle n’est pas la solution dégagée par la Cour de Cassation, ce qui ne manque pas de surprendre.
La formulation de l’attendu de principe est en effet la suivante : « en statuant ainsi (débouté de la caution pour défaut de démonstration de son préjudice ou de sa perte de chance), alors que c’est au créancier de prouver que la perte du droit préférentiel dont se plaint la caution n’a causé aucun préjudice à celle-ci, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés ».
Cet arrêt est lourd de conséquences pour les établissements bancaires, car la démonstration de l’absence de préjudice pour la caution est loin d’être aisée.
En effet, si, par hypothèse, la banque n’a pas déclaré sa créance, elle ne pourra que compter sur la bonne coopération du liquidateur pour que ce dernier confirme qu’en cas de déclaration en bonne et due forme, la créance n’aurait pu être réglée.
De même, en cas de défaut de déclaration au passif d’une procédure ayant abouti à un plan de redressement, la banque ne pourra apporter la démonstration d’une absence de préjudice, puisque tant que le plan ne sera pas résolu, il faut considérer que le plan sera mené à terme.
Pour reprendre les termes d’Emmanuelle LE CORRE-BROLY, il s’agit là d’un « véritable cadeau jurisprudentiel » fait à la caution, sans que cette exception dans le paysage du droit de la responsabilité bancaire, puisse réellement s’expliquer.
Etienne CHARBONNEL
Vivaldi-Avocats
[1] « la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s’opérer en faveur de la caution »
[2] Voir par exemple récemment : Cass. com., 19 février 2013, n° 11-28.423, F-P+B