Une société ne peut faire obstacle à l’identification de son organe ou représentant, pour tenter d’échapper à la mise en cause de sa responsabilité pénale.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

La Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue rechercher la responsabilité pénale d’une société, laquelle faisait obstacle à l’identification de l’organe ou du représentant ayant commis une infraction pour son compte.

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 17 octobre 2023, 22-84.021, Publié au bulletin

I –

L’article 121-2 du Code pénal prévoit :

«  Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7 et dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public.

La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ».

La jurisprudence est d’ores et déjà intervenue pour préciser les termes « organes ou représentants », et notamment peuvent être visés les directeurs généraux ou salariés dès lors qu’il bénéficient d’une délégation de pouvoir, et ce, même si cette délégation « de fait » (Cf. C.Cass, Crim, 1er juin 2023, N°21.87.225 – commenté dans la newsletter Vivaldi Chronos : https://vivaldi-chronos.com/la-responsabilite-penale-de-la-societe-peut-elle-etre-engagee-en-cas-de-delegation-de-pouvoir-de-fait/ )

Dans cette nouvelle affaire, le dirigeant de droit a été identifié comme étant l’organe ou le représentant de la société, ayant commis pour le compte de celle-ci les infractions pénales.

La société conteste cette condamnation en faisant valoir que la qualité de représentant du dirigeant ne peut résulter que d’un acte attribuant à celui-ci, à la fois la compétence, l’autorité, et les moyens nécessaires à l’accomplissement des actes incriminés.

II –

L’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) a adressé au procureur de la république un procès-verbal qui indiquait que :

  • La société aurait installé un établissement dans les locaux d’un aéroport où étaient basés plusieurs de ses avions.
  • Mais que la société n’aurait pas :
    • Immatriculé cet établissement auprès du RCS (registre du commerce et des sociétés)
    • Déclaré auprès de l’URSSAF les salariés qu’elle avait employés.

Deux syndicats ont déposé plainte.

Ils affirmaient en réalité que la société avait exercé son activité, avec le concours de plusieurs dizaines de salariés, sur le territoire français, sans respecter la législation sociale du pays.

La Caisse de Retraite du Personnel de l’Aéronautique Civile (CRPAC) a déposé plainte également, considérant que les salariés de la compagnie étaient affiliés à la caisse d’assurance Irlandaise alors qu’ils auraient dû l’être auprès d’elle.

L’enquête préliminaire à permis l’ouverture d’une information, pour des chefs de :

  • Travail dissimulé par dissimulation d’activité, et dissimulation d’emploi salarié
  • Entrave à la constitution ou à la libre désignation des membres du comité d’entreprise, des délégués du personnel, à l’exercice du droit syndical, au fonctionnement du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail
  • Prêt illicite de main d’œuvre,
  • Emploi illicite de personnel navigant de l’aéronautique civile.

Les juges du fond ont déclaré la compagnie coupable de l’ensemble des faits reprochés. La société se pourvoit en cassation.

III –

Elle explique aux juges de la Haute Cour, que la responsabilité pénale d’une société ne peut être recherchée que si les infractions ont été commises pour son compte par ses organes ou ses représentants.

Partant de là, le dirigeant de droit ne peut pas être considéré comme ledit organe ou représentant dans la mesure où celui-ci n’a pas bénéficié d’un acte lui attribuant la compétence, l’autorité, et les moyens nécessaires à l’accomplissement des infractions visées ci-dessus.

La Haute Cour fait front commun avec ses collègues de la Cour d’Appel qui avaient notamment affirmé que :

« pour décider que la Société [5] était valablement représentée en France, de sorte que les poursuites pénales avaient été régulièrement engagées à son encontre, qu’elle s’était livrée à des « manœuvres précitées de soustraction », de sorte qu’elle ne pouvait « invoquer sa propre turpitude pour échapper aux poursuites »

Les juges du Quai de l’Horloge déboutent la société, en considérant elle aussi que le dirigeant de droit de la société avait justement la qualité d’organe ou de représentant, permettant d’engager la responsabilité pénale de la société, même en l’absence de délégation de pouvoirs, dans la mesure ou il avait été identifié comme tel par une précédente décision de la Chambre des appels correctionnels de la Cour d’Appel de PARIS.

En effet, dans une procédure antérieure, le dirigeant de droit avait d’ores et déjà été identifié comme organe ou représentant agissant pour le compte de la société ayant permis de condamner la société pour pratique commerciale trompeuse.

Ce d’autant plus que les faits étaient commis à la même époque que ceux objet du présent litige.

Dans cette procédure ci, le dirigeant de droit s’était abstenu de comparaitre, n’avait pas répondu aux convocations, avait refusé d’être entendu. L’attitude adoptée avait convaincu ses juges d’une volonté délibérée d’empêcher l’identification du véritable décideur. Or, la société ne peut se prévaloir de ces manœuvres pour tenter d’échapper aux poursuites.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation affirme donc :

« 12. Pour identifier l’organe ou le représentant ayant agi pour le compte de la société prévenue dont les actes sont de nature à engager la responsabilité pénale de celle-ci, l’arrêt attaqué énonce notamment que, dans l’arrêt rendu le 22 mai 2017 par la cour d’appel de Paris, statuant dans une autre formation, à l’égard de la même société prévenue, il est mentionné que M. [E] [M] représentait en 2009 l’entreprise qu’il dirige sans avoir consenti de délégation de pouvoir.

13. Les juges relèvent que l’intéressé a refusé d’être entendu, n’a pas répondu aux convocations d’enquête et s’est abstenu de comparaître devant la cour.

14. Ils observent que cette attitude est une constante de la société qui se soustrait à l’identification de son représentant légal.

15. Ils en déduisent la volonté délibérée de la société [5] d’empêcher l’identification de son représentant en rendant occulte le véritable décideur, ce qui caractérise la fraude.

16. Ils concluent que la responsabilité pénale de la personne morale est suffisamment recherchée, malgré les manœuvres précitées de soustraction, qui font obstacle à ce que la société [5] invoque sa propre turpitude pour échapper aux poursuites ».

Une société ne peut donc pas faire obstacle à l’identification de l’organe ou du représentant pour échapper à la mise en cause de sa responsabilité pénale conformément à l’article L121-2 du Code pénal, auquel cas, la société sera considérée comme étant représentée par son dirigeant de droit dès lors qu’il n’a pas délégué ses pouvoirs.

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