Recours à un expert pour l’évaluation des titres de sociétés en cas de litige entre le cédant et l’acquéreur : et le juge dans tout ça ? l’avis de l’expert doit-il forcément prévaloir ?

Caroline DEVE
Caroline DEVE - Avocat

Si l’expert fait une réponse de normand, c’est au juge de trancher

Source :CCass, com, 17/01/2024, n°22-15.897, publié au Bulletin

Les parties à la cession de titres de société peuvent prévoir le recours à un expert pour trancher l’éventuelle contestation qui pourrait naître entre eux à l’occasion de la détermination d’un complément de prix.

En l’espèce, les parties ont expressément stipulé qu’en cas de désaccord sur le prix, un expert serait désigné, à défaut d’accord, par le président du tribunal de commerce, conformément à l’article 1843-4 du code civil.

Cet article dispose « L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties ».

Un expert est désigné et il est confronté à une divergence entre les parties sur « les méthodes comptables en vigueur » à utiliser pour déterminer le prix en cause. Les cédants estimaient que les méthodes visées par la convention étaient celles utilisées au sein de la société tandis que les acquéreurs soutenaient que ces méthodes n’étaient pas conformes aux exigences du code général des impôts de sorte qu’elles ne pouvaient pas être utilisées.

L’expert a alors établi une évaluation en fonction de chacune des thèses estimant qu’il incombait au juge de déterminer celle que les parties avaient entendu choisir.

La Cour d’Appel saisie de la difficulté estime que la thèse soutenue par les cédants révélait la commune intention des parties.

Les acquéreurs forment un pourvoi estimant que la juridiction aurait dû suivre la méthode préconisée par l’expert.

La Cour de Cassation rejette le pourvoi estimant que, si la valorisation déterminée par l’expert s’impose aux parties comme au juge, il incombe à ce dernier de se prononcer sur la méthode à appliquer en cas de divergence entre les parties.

Elle juge : « Il résulte de l’article 1843-4, II, du code civil que si l’expert est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur des droits sociaux prévues par toute convention liant les parties, il incombe au juge d’interpréter, s’il y a lieu, la commune intention des parties à la convention.

En application de ces principes, l’expert peut, afin de ne pas retarder le cours de ses opérations, retenir différentes évaluations correspondant aux interprétations de la convention respectivement revendiquées par les parties, à charge pour le juge, après avoir procédé à la recherche nécessaire de la commune intention des parties, d’appliquer l’évaluation correspondante, laquelle s’impose alors à lui ».

En d’autres termes, l’avis de l’expert ne peut prévaloir que sur un plan technique, il n’a pas la compétence pour trancher un litige entre les parties dont la résolution aura un impact sur sa mission d’évaluation.

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