Société civile immobilière et qualité de créancier professionnel : les deux ne font pas toujours la paire !

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Le bénéfice des règles protectrices du Code de la consommation par la caution personne physique au titre d’un bail commercial, reste soumise à la démonstration par cette dernière de la qualité de créancier professionnel du bailleur, laquelle à l’égard d’une Société Civile Immobilière ne se présume pas.

SOURCE : CA VERSAILLES, Chambre commerciale, 18 janvier 2024, n°21/04746

I – L’arrêt commenté

Aux termes d’un arrêt rendu le 18 janvier 2024, la Cour d’appel de VERSAILLES avait à trancher le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de caution d’un dirigeant personne physique, par rapport à ses biens et ses revenus (ancien article L332-1 du Code de la consommation), qui s’était porté caution des engagements pris par sa société dans le cadre d’un bail commercial conclu avec une SCI.

En application des règles consuméristes protectrices des cautions personnes physiques, applicables aux faits de l’espèce (contrats de cautionnements signés avant le 1er janvier 2022) un créancier professionnel ne pouvait se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permettait de faire face à son obligation.

A compter du 1er janvier 2022, il convient de faire application de l’article 2300 du Code civil, lequel dispose : 

« Si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date ».

Question posée à la Cour : une SCI doit-elle être qualifiée de créancier professionnel du seul fait de sa forme juridique ?

Non répond la Cour d’appel de VERSAILLES.

Après avoir relevé, dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation :

  • Que le créancier professionnel s’entend dont celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si elle n’est pas principale[1] ;
  • Qu’il appartient à la caution qui invoque la disproportion de son engagement, et donc sa soumission aux règles consuméristes protectrices, de démontrer la qualité de créancier professionnel[2] ;
  • Que la qualité de créancier professionnel à l’égard d’une SCI ne se présume pas[3]

La Cour d’appel de VERSAILLES juge qu’il ressort des éléments versés au débat que la caution se contentait de relever que la créance de loyer était née de la réalisation de l’objet social de la SCI, à savoir l’exploitation du bail, cette seule exploitation étant pour la Cour insuffisante pour qualifier la SCI de créancier professionnel.

D’autre part, il n’était pas contesté par le requérant, que le bailleur était une SCI familiale soumise à l’impôt sur le revenu et non assujetti à la TVA.

La qualité de créancier professionnel de la SCI n’étant pas démontrée, les dispositions du Code de la consommation relatives à la disproportion de l’engagement de caution ne lui étaient donc pas applicables.

Enfin, la Cour rappelle qu’il appartient à la caution qui se prévaut de la disproportion de son engagement, d’en rapporter la preuve

II – Comment apprécier la qualité de créancier professionnel d’une SCI ?

II – 1.

Tout d’abord, il convient de noter que le dispositif de protection de la caution personne physique, ne se limite pas au cautionnement des prêts accordés aux personnes physiques par les établissements de crédit, et s’applique également au cautionnement garantissant les sommes dues en exécution d’un bail commercial[4].

Dans la plupart des cas, les cautionnements associés au baux commerciaux seront considérés comme des actes civils, essentiellement lorsque la caution est une personne physique qui n’a pas la qualité de commerçant. Il se pose alors la question de l’application des règles du Code de la consommation qui sont très protectrices de la caution.

Antérieurement à la réforme du droit de la consommation issue de l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, entrée en vigueur le 1er juillet 2016, la question était délicate car la notion de créancier « professionnel » était avant tout prétorienne (cf supra), à défaut de définition légale.

Le Code de la consommation définit désormais le « professionnel » comme :

« 3° Professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ».

II – 2.

II – 21.

L’appréciation jurisprudentielle de la qualité de créancier professionnel d’une SCI est avant tout factuelle, et les décisions rendues par les juridictions du fond en matière de baux commerciaux consentis par une SCI bailleresse, sont contrastées.

Sous l’empire de l’ancien droit de la consommation, plusieurs décisions peuvent être citées :

Exemple de décision ayant retenu la qualité de créancier professionnel d’une SCI :

CA DOUAI, 29 novembre 2012, n°12/01706 (Dauville / SCI de l’Aiguille d’Or) :

Une SCI dont l’objet est de valoriser le patrimoine immobilier qu’elle détient en propriété, ce qui suggère la perception d’une rémunération en exécution des diverses actes juridiques qu’elle conclut, et ce de manière habituelle. La SCI qui détenait une créance à l’encontre de son débiteur, créance née à l’occasion de la mise en location de son bien, c’est-à-dire dans la gestion de son patrimoine immobilier, devait être qualifiée de créancier professionnel.

Exemple de décision n’ayant pas retenu la qualité de créancier professionnel d’une SCI :

CA LYON, 12 mars 2013, n°12/02162 (Grenier c/ SCI le Grimaud) :

La qualité de créancier professionnel de la bailleresse ne peut se déduire du seul constat que son objet social est de louer le bien et que la créance invoquée est bien née de cette activité.

II – 22.

A cet égard, il était procédé à une analyse au cas par cas de la qualité du bailleur, notamment par l’analyse de son objet social. La prise en considération de l’objet social de la SCI bailleresse, n’était pas systématique.

A titre illustratif, peuvent être citées :

Exemples de décisions ayant retenu l’objet social de la SCI :

CA VERSAILLES, 15 janvier 2013, n°11/04447, IUSO c/ SARL Hôtellerie Drouche :

Une SCI dont l’objet social statutaire comprenait, outre une activité de création, achat, vente, et exploitation de tout établissement ou fonds de commerce d’hôtel-meublé, maison-meublée, pension de famille, résidence hôtelière, salon de thé, bar, restaurant, brasserie, licence de débit de boissons, celle de toutes opérations financières, commerciales, industrielles, civiles, immobilières ou mobilières, pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’un des objets spécifiés ou à tout patrimoine social.

La société bailleresse indiquait avoir réalisé une opération d’acquisition de locaux par un contrat de leasing, ayant pour but un investissement locatif, le leasing l’autorisant à sous-louer et à percevoir des loyers, afin de devenir propriétaire de l’immeuble à l’issue et de continuer à percevoir les loyers de son locataire.

En ayant réalisé un investissement rattaché à son patrimoine social, et donné les locaux en sous-location dans le cadre d’une opération commerciale de gestion de ce patrimoine, elle avait ainsi la qualité de créancier professionnel.

CA PARIS, 15 janvier 2014, n°12/01489

Une SCI dont l’objet était notamment l’exploitation à bail et la location de tous immeubles. Le cautionnement donné pour garantir le bail se rattachait directement à cet objet social, et la créance de loyers était bien née de la réalisation de cet objet. Il importait peu à cet égard, que la SCI ne soit pas marchand de biens, qu’elle ne soit propriétaire que d’un seul immeuble, qu’elle ne soit pas assujettie à l’impôt sur les sociétés et qu’elle soit constituée essentiellement de membres d’une seule famille.

Exemples de décision n’ayant pas retenu l’objet social de la SCI :

CA PARIS, 13 juin 2014, n°13/10165

La qualité de créancier professionnel a été écartée pour une SCI familiale en vue d’exploiter un seul bien immobilier, soumise à l’impôt sur le revenu pour une activité de nature civile, dès lors que le créance de loyers garantie n’était pas née de l’exercice d’une profession ni en rapport direct avec une activité professionnelle

CA LYON, 12 mars 2013, n°12/02162 (Grenier c/ SCI le Grimaud) :

La qualité de créancier professionnel de la bailleresse ne peut se déduire du seul constat que son objet social est de louer le bien et que la créance invoquée est bien née de cette activité.

*******

Notons enfin, qu’il a été jugé qu’une SCI ayant consenti un bail commercial est susceptible d’être qualifiée de créancier professionnel, même si elle n’exerce pas d’activité commerciale[5].


[1] En ce sens, Cass. civ 1ère, 9 juillet 2009, n°08-15910, FS – P+B+I, ou encore Cass. com 10 janvier 2012, n°10-26630, FS – P+B

[2] En ce sens, Cass. com 15 novembre 2017, n°16-13532, Inédit

[3] En ce sens, Cass. com 15 novembre 2017, n°16-13532, Inédit

[4] En ce sens, Cass. civ 3ème, 10 février 2015, n°13-21605, Inédit

[5] En ce sens, Cass. 3e civ. 9-3-2011 n° 10-11.011, Inédit

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