L’envoi de mails racistes et xénophobes via la messagerie professionnelle caractérise-t-il un comportement fautif justifiant un licenciement ?

Eloïse LIENART
Eloïse LIENART

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation rappelle qu’un employeur ne peut pas sanctionner un salarié sur le contenu de messages litigieux qui relèvent de sa vie personnelle, même s’ils avaient été envoyés au moyen de la messagerie professionnelle.

Source : Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 6 mars 2024, n°22-11.016

En l’espèce, une salariée de la CPAM du Tarn-et-Garonne a été licenciée pour faute grave au motif qu’elle avait envoyé, avec son courriel professionnel, des messages au “caractère manifestement raciste et xénophobe” adressés à d’autres salariés de la CPAM.

Contestant son licenciement, prononcé pour faute grave, la salariée a saisi la juridiction prud’homale.

La Cour d’appel de Toulouse a jugé que le licenciement n’était justifié ni par une faute grave ni par une faute simple constitutive d’une cause réelle et sérieuse et a condamné la CPAM à payer à la salariée diverses sommes à titre de salaire pendant la mise à pied conservatoire, d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à hauteur de 3 mois.

La CPAM du Tarn-et-Garonne a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.

Elle soutenait notamment que le règlement intérieur de la CPAM et la charte d’utilisation de la messagerie électronique interdisaient expressément tout propos raciste ou discriminatoire comme la provocation à la discrimination, à la haine notamment raciale, ou à la violence.

La Cour de cassation n’adhère pas à l’argument et confirme la position de la Cour d’appel.

En premier lieu, elle rappelle que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée et qu’il résulte de ce principe qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330, publié).

En second lieu, la Cour de cassation approuve le raisonnement de la Cour d’appel en relevant que :

  • La cour d’appel a d’abord constaté que les messages litigieux s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes, qui n’avaient pas vocation à devenir publics et n’avaient été connus par l’employeur que suite à une erreur d’envoi de l’un des destinataires.
  • Elle a ensuite relevé que la lettre de licenciement ne mentionnait pas que les opinions exprimées par la salariée dans ces courriels auraient eu une incidence sur son emploi ou dans ses relations avec les usagers ou les collègues et que l’employeur ne versait aucun élément tendant à prouver que les écrits de l’intéressée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l’extérieur de la CPAM du Tarn-et-Garonne et de la CPAM de la Haute-Garonne et que son image aurait été atteinte, de sorte que le moyen tiré du principe de neutralité découlant du principe de laïcité applicable aux agents qui participent à une mission de service public, invoqué par la première branche, est inopérant.
  • Elle a enfin retenu que, si l’article 26 du règlement intérieur interdisait aux salariés d’utiliser pour leur propre compte et sans autorisation préalable les équipements appartenant à la caisse, y compris dans le domaine de l’informatique, un salarié pouvait toutefois utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu’il n’en abusait pas et, qu’en l’espèce, l’envoi de neuf messages privés en l’espace de onze mois ne saurait être jugé comme excessif, indépendamment de leur contenu.

En conclusion, la Haute juridiction estime que la Cour en a exactement déduit que l’employeur ne pouvait, pour procéder au licenciement de la salariée, se fonder sur le contenu des messages litigieux, qui relevaient de sa vie personnelle.

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