La responsabilité pénale de la société peut-elle être engagée en cas de délégation de pouvoir… « de fait »?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Un cadre dirigeant de société, qui la représente au terme d’une procédure prud’homale de licenciement commet une infraction en produisant des documents falsifiés. Toutefois, celui-ci n’était pas officiellement titulaire d’une délégation de pouvoir…. Peut-il tout de même permettre d’engager la responsabilité de la société ?

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 1 juin 2023, 21-87.225, Inédit

Dans ce nouvel arrêt, quoi qu’inédit, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation s’interroge sur l’éventuelle responsabilité pénale d’une société, qui pourrait être engagée par une délégation de pouvoir… non écrite, plus précisément, une délégation de pouvoir « de fait ».

I –

Le premier alinéa de l’article 121-2 du Code pénal prévoit :

« Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

La jurisprudence est pléthore en la matière, puisque moulte arrêt sont déjà intervenus en la matière. L’expression « organe ou représentant » peut donc s’appliquer aux directeurs généraux ou aux salariés dès lors qu’ils bénéficiaient d’une délégation de pouvoir.

Et même en l’absence de représentation « officielle », les juges ont d’ores et déjà reconnu comme organe de la société, un gérant de fait , engageant ainsi sa responsabilité. Pire, dans un arrêt plus récent , une société holding a engagé sa responsabilité à cause d’infraction commise par trois salariés de ses filiales, reconnus comme représentants de fait de la société mère en raison de l’existence d’une organisation spécifique propre au goupe, et des missions qui leur étaient confiées, et ce, peu importe (i) l’absence de lien juridique, (ii) de délégation de pouvoirs et (iii) de l’existence d’un organe de direction.

II –

A l’origine de cette prise de position, la Cour de Cassation est saisie pour le cas d’une société, elle-même poursuivie pour tentative d’escroquerie, faux et usage. Elle a été condamnée par les premiers juges , à des peines d’amendes, de confiscation, et de réparation du préjudice moral des parties civiles.

A l’origine de ce pourvoi en cassation, l’affirmation susmentionnée, selon laquelle les personnes morales ne sont pénalement responsables QUE pour les infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants. Il est alors fait grief à l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de ne pas préciser en quoi l’intéressé, « par la nature de ses fonctions ou à défaut, en vertu d’une éventuelle délégation de pouvoir à son profit, disposait du pouvoir d’agir « au nom » de la société, soit en tant qu’organe, soit en tant que représentant ».

Le directeur général de la société avait commis une infraction puisqu’il avait produit « sciemment » des documents falsifiés au cours d’une procédure prud’homale visant à licencier un salarié. Les notes de service produites au bordereau de communication de pièces de la société avaient été annotées de mentions manuscrites, avec la signature du salarié attestation faussement de la connaissance de ces documents.

La Cour de cassation répond en ces termes :

«  Réponse de la Cour

6. Pour déclarer la société [1] coupable d’usage de faux et de tentative d’escroquerie, l’arrêt attaqué relève, notamment, que M. [C], directeur général de cette dernière, a reconnu avoir établi ou fait établir les notes de service litigieuses, avoir établi la deuxième note de service après un entretien houleux avec M. [S], avoir signé les deux notes, ne pas les avoir remises en mains propres à M. [S], et avoir enfin mené la procédure de licenciement.

7. En l’état de ces énonciations, dont il se déduit que M. [C], cadre dirigeant de la société [1], qui représentait celle-ci lors de l’instance prud’homale à l’occasion de laquelle les faits ont été commis, était nécessairement investi à cette fin, quel que soit son titre, d’une délégation de pouvoir de la société, fût-elle de fait, la cour d’appel a justifié sa décision. »

La Cour de cassation affirme donc que le représentant de la société peut être un délégataire de pouvoir « de fait ». Le cadre dirigeant de la société qui représentait la société lors de l’instance prud’homale était nécessairement investi à cette fin, et ainsi, quel que soit son titre, d’une délégation de pouvoir implicite de la société.

Il est toutefois possible de s’interroger sur l’intérêt même de cet arrêt, en effet, dès lors qu’une société nomme un directeur général, cela n’implique-t-il pas, par essence, que celui-ci soit investi du pouvoir de représentation de la société ?  Sauf à ce que cette mission soit exclue des fonctions attribués par les statuts de la société, mais dans ce cas, quel intérêt de le nommer ?

III –

Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement des précédents arrêts rendus en la matière, et notamment celui rendu par la Chambre criminelle :

– Le 7 Février 2006 , lequel avait, pour déclarer la société coupable (d’abus de faiblesse) énoncé que l’infraction avait été commise par un salarié, lequel a été considéré comme pourvu de la compétence, de l’autorité, et des moyens nécessaires, donc avait reçu une délégation de la part des organe de la personne morale poursuivie.

– Le 3 Septembre 2019 , lequel, pour reconnaitre le responsable d’une unité de production comme représentant de la société, avait retenu que celui-ci avait déclaré lors de son interrogatoire devant le juge d’instruction être « évidemment responsable pénal, en relations humaines, commercial, sur tous les plans ».

En conclusion, même en l’absence de délégation de pouvoir écrite et « officielle », la société peut voir engager sa responsabilité pénale par un mandataire ou salarié.


[1] C.Cass, Crim, 15 juin 2016, N°17-87.715.

[2] C.Cass, Crim, 16 juin 2021, N°20.83.098

[3] C.Cass, Crim, 7 fevrier 2006, N°05.80.083

[4] C.Cass, Crim, 3 février 2019, N°18.82.199

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[1] C.Cass, Crim, 15 juin 2016, N°17-87.715.

[2] C.Cass, Crim, 16 juin 2021, N°20.83.098

[3] C.Cass, Crim, 7 fevrier 2006, N°05.80.083

[4] C.Cass, Crim, 3 février 2019, N°18.82.199

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