Décès d’un associé au cours de la vie sociale : La qualité d’héritier confère-t-elle automatiquement celle d’associé ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Dans un nouvel arrêt quoiqu’inédit, la Chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur la poursuite d’activité, par les héritiers d’un associé de société de personne.

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 30 août 2023, 22-10.018, Inédit

I –

Le décès d’un associé de société civile ou commerciale pose toujours de nombreuses difficultés.

En matière de société civile, s’est récemment posée la question de savoir si les héritiers étaient considérés comme des tiers à la société, ou d’office, des associés.

Par un arrêt du 9 Mars 2023 publié au bulletin, la Chambre civile de la Cour de cassation avait posé justement une présomption au terme de laquelle les héritiers sont considérés comme associés automatiquement, sauf à ce que celui qui prétend le contraire, le conteste en rapportant la preuve de l’existence d’une clause statutaire d’agrément restreignant leurs droits.

La Haute Cour inversait la charge de la preuve : Ce n’est pas à l’héritier de prouver sa qualité d’associé mais bien à celui qui lui dénie cette qualité de justifier d’une clause contraire.

Les lecteurs de Chronos pourront retrouver le commentaire de cet arrêt sur le lien suivant :

II –

Dans ce nouvel arrêt, les juges sont confrontés à un GFA (Groupement Foncier Agricole), qui est plus simplement défini comme une société civile spécifique à l’agriculture.

Il est plus précisément défini au sein de l’article L322-6 du Code rural et de la pêche maritime :

« Le groupement foncier agricole a pour objet soit la création ou la conservation d’une ou plusieurs exploitations agricoles, soit l’une et l’autre de ces opérations. Il assure ou facilite la gestion des exploitations dont il est propriétaire, notamment en les donnant en location dans les conditions prévues au titre Ier du livre IV du présent code portant statut du fermage et du métayage ».

Là encore, se pose la question de l’entrée dans la société des héritiers d’un associé décédé.

III –

Dans un nouvel arrêt quoiqu’inédit, la Chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur la poursuite d’activité, par les héritiers d’un associé de société de personne.

Un GFA est constitué entre trois associés. Le premier décède, en laissant pour lui succéder ses trois fils. Le second décède aussi quelques années plus tard, en laissant pour lui succéder son fils.

A l’origine de ce contentieux, une assemblée générale extraordinaire, au cours de laquelle deux héritiers du premier associé refusent d’agréer un tiers proposé pour l’acquisition des parts de plusieurs associés, et d’un héritier indivis.

Ce dernier assigne donc la société, en demandant l’annulation de l’AG précédemment tenue, faute d’avoir été convoqué (puisque jusqu’alors non considéré comme un associé), et la convocation d’une nouvelle avec le même ordre du jour.

En effet, conformément  à l’article 1844 du Code civil :

« Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ».

Se posait alors manifestement la question de savoir si les héritiers de la société devaient être considérés comme des associés ?

La société et son gérant s’y opposent en faisant valoir que la qualité d’héritier d’un associé décédé ne confère pas de plein droit celle d’associé, il n’avait donc pas qualité à agir, ce d’autant plus que les statuts imposaient aux propriétaires indivis d’être représentés et que les opérations de partage étaient en cours.

Les juges du fond ont relevé d’une part que les statuts indiquaient que la transmission par décès, au profit des descendants légitimes avait lieu librement et que la société continuait entre les associés survivants, et les ayants droits héritiers de l’associé décédé, de sorte que, en l’absence de clause d’agrément, les héritiers étaient associés.

Mais les statuts portaient à confusion, puisqu’ils indiquaient également, conformément a deuxième alinéa de l’article 1844 du Code civil, que les copropriétaires indivis étaient tenus de se faire représenter auprès de la société par un seul d’entre eux ou par un mandataire commun pris parmi les associés, ce qui justifiaient selon la société, que les héritiers n’avaient pas d’office la qualité d’associé.

Déboutée par les juges du fond, la société se pourvoit en cassation en revendiquant cette clause qui écartait la qualité d’associé pour les héritiers pour lesquels le partage successorale n’avait pas encore abouti.

La Haute Cour devait donc intervenir pour trancher la situation :

« Les héritiers d’un associé d’une société de personne ont, lorsqu’il a été stipulé que la société continuerait avec eux, la qualité d’associé. »

Les juges du Quai de l’Horloge ont aussi précisé que, même si le partage amiable provenant de la succession n’avait pas encore abouti, les héritiers étaient, en leur qualité de propriétaire indivis des parts du GFA, associés à parts entières, c’est-à-dire qu’ils devaient tous être convoqués aux assemblées générales, et à fortiori l’assemblée générale extraordinaire objet du litige.

« 12. L’arrêt relève que les articles 9.b et 10 des statuts stipulent, d’une part, que la transmission par décès au profit des descendants légitimes aura lieu librement et ne sera pas soumise à un agrément, d’autre part, qu’en cas de décès d’un des associés, la société continuera entre les associés survivants et les ayants droits et héritiers de l’associé décédé.

13. Il en résulte que, quand bien même MM. [Y], [D] et [O] [E], fils et héritiers de [S] [E], n’auraient pas procédé à un partage amiable des parts provenant de sa succession, ils disposaient, en leur qualité de propriétaire indivis des parts du GFA, de la qualité d’associé, emportant le droit individuel de participer aux décisions collectives de ce groupement, sans toutefois pouvoir prendre part au vote sinon en étant représentés par un mandataire désigné à cet effet ».

En conclusion, en l’absence de clause d’agrément, les héritiers d’un associé de société civile décédé sont d’office considérés comme associés, avec les droits politiques y attachés, c’est-à-dire notamment celui d’être convoqué en assemblée générale, si les statuts stipulaient bien que la société continuait avec les héritiers des associés décédés.

Mais attention, la clause relative aux héritiers, copropriétaires indivis des parts jusqu’au terme du partage successorale demeure appliquée. Les héritiers, quoi que considérés comme associés, ne peuvent prendre part au vote sans être représentés par un mandataire commun.

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