Décès d’un associé de société civile : les héritiers sont-ils considérés comme des tiers à la société ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation intervient pour trancher la qualité des héritiers d’un associé de société civile décédé et pose une présomption au terme de laquelle ils deviennent automatiquement associés, à charge pour celui qui le conteste d’en rapporter la preuve par justification d’une clause statutaires d’agrément restreignant leurs droits.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 9 mars 2023, 21-21.698, Publié au bulletin

Dans un arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au bulletin, la Cour de cassation s’interroge sur la qualité d’associé des héritiers en cas de décès de l’associé de société civile, et intervient pour poser une présomption (simple), laquelle pourra être contredite par les autres associés.

I – Au cas d’espèce, l’arrêt intervient dans un contexte de litige polynésien relatif au domaine des baux commerciaux lequel peut être brièvement résumé comme suit : une SCI (Ci-après « La Bailleresse »), donne à bail commercial son immeuble et un parking à une seconde société (ci-après « La Locataire »).

Les prémices du contentieux s’illustrent lorsque la Locataire décide d’assigner en référé sa Bailleresse, afin d’obtenir la cessation d’un trouble manifestement illicite. La bailleresse, considérant que ce trouble était causé par les héritiers de l’un de ses associés décédé, les appelle à la cause, afin que leur soit faite personnellement, injonction de libérer les lieux.

Les héritiers contestaient en effet le droit de la bailleresse de louer le parking avec l’immeuble, raison pour laquelle ils avaient bloqué l’accès par un cadenas.

Le juge de l’urgence ordonne aux héritiers de rétablir l’accès au parking, mais également, une expertise comptable afin de chiffrer le préjudice du preneur à bail. Rapport d’expertise en main, la preneur à bail assigne la bailleresse au fond, afin d’obtenir indemnisation de son préjudice. Evidemment, la Bailleresse appelle les héritiers de son associé en garanti.

Faisant litière des débats juridiques relatifs aux domaines des baux commerciaux inhérents à l’arrêt étudié, le présent article s’oriente exclusivement vers le second moyen :

Si certes le bailleur n’est pas tenu de garantir le preneur des troubles de fait causés à ce dernier par des tiers (Article 1725 du Code Civil), il est en revanche tenu par les troubles de jouissance causés par des personnes dont il doit répondre.

En l’occurrence, un conflit opposait les associés en interne.

Depuis le décès de l’un d’eux, la question demeurait en suspens s’agissant de la place de ses héritiers.

II – Conformément à l’article 1870 du Code Civil :

«La société n’est pas dissoute par le décès d’un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu’ils doivent être agréés par les associés.

Il peut toutefois, être convenu que ce décès entraînera la dissolution de la société ou que celle-ci continuera avec les seuls associés survivants.

Il peut également être convenu que la société continuera soit avec le conjoint survivant, soit avec un ou plusieurs des héritiers, soit avec toute autre personne désignée par les statuts ou, si ceux-ci l’autorisent, par disposition testamentaire.

Sauf clause contraire des statuts, lorsque la succession est dévolue à une personne morale, celle-ci ne peut devenir associée qu’avec l’agrément des autres associés, donné selon les conditions statutaires ou, à défaut, par l’accord unanime des associés ».

Malgré le décès de l’un de ses associés, le premier alinéa du texte est clair : la SCI n’est pas dissoute, et continue avec les héritiers sauf à ce que les statuts exigent expressément un agrément.

Pour trancher, la Cour devait donc déterminer si les héritiers de l’associé décédé étaient considérés directement comme associés. La Cour de Cassation relève :

«  24. Pour rejeter la demande en condamnation de la société bailleresse, l’arrêt constate que l’accès au parking de l’immeuble loué a été bloqué par les agissements d’ayants droit d'[O] [F], associé décédé de la société bailleresse.

25. Puis, il énonce que l’analyse selon laquelle les ayants droit d’un associé ne sont pas des tiers se heurte, d’une part, à l’absence de justification de ce qu’ils seraient automatiquement devenus associés de la société bailleresse à son décès, sans démontrer que les statuts le prévoyaient ou que leur application avait conduit à une telle décision, d’autre part, à l’autonomie de la personnalité juridique de celle-ci, propriétaire et bailleresse, à laquelle ni le gérant ni les associés ne peuvent être assimilés.

26. Il en déduit que les responsables du trouble de jouissance sont des tiers au contrat de bail entre la société bailleresse et la locataire au sens de l’article 1725 du code civil ».

La Haute Cour poursuit en ces termes :


« 27. En statuant ainsi, alors qu’une société civile est présumée continuer avec les héritiers d’un associé décédé, et que la société bailleresse, qui n’établissait pas l’existence d’une stipulation contraire des statuts, devait garantir la locataire du trouble causé à sa jouissance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

La Cour de Cassation pose alors une présomption simple pour les héritiers d’un associé de société civile décédé au cours de la vie sociale, lesquels deviendraient automatiquement associés. Ainsi, il incomberait à celui qui prétend le contraire de le justifier par une clause des statuts.

En résumé, le bailleur est bien tenu de garantir les troubles que ses associés auraient apporté par voie de fait, à la jouissance du locataire puisqu’ils ne sont évidemment pas des tiers à la société bailleresse, pas plus que les héritiers d’associés décédés, au profit desquels est posée une présomption : La Société civile est présumée continuer avec les héritiers de l’associé décédé, considérés comme associés, sauf à ce que tout intéressé qui entend contester cette qualité, justifie du contraire par clause statutaire d’agrément restreignant leurs droits.

Inversement de la charge de la preuve, ce n’est pas à l’héritier de prouver sa qualité d’associé mais bien à celui qui lui dénie cette qualité de justifier d’une clause contraire.

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