Source : Cass. Com., 10 janvier 2018, pourvoi n° 16-10.824 FS-D.
La Doctrine l’avait identifié dès l’apparition du texte, l’action en soutien abusif d’un débiteur en procédure collective n’est pas limitée à ses établissements bancaires.
L’article L. 650-1 du Code de Commerce prévoit en effet qu’un créancier peut être condamné pour soutien abusif du débiteur, à raison des concours consentis à ce dernier.
Très clairement, avec une telle rédaction, un « simple » fournisseur peut très bien être recherché sur ce fondement.
L’arrêt ici commenté en est, à notre connaissance, la première illustration jurisprudentielle.
Il s’agit cependant d’un arrêt inédit dont l’intérêt réside précisément dans la qualité du créancier visé par l’action, mais qui pour le reste n’est qu’un rappel de la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation en la matière.
En effet, la Cour rappelle qu’un créancier, pour être recherché sur le fondement du soutien abusif, doit répondre d’une double série de conditions :
– Il doit avoir consenti un crédit fautif (soit un crédit ruineux, soit un crédit consenti à une société dont la situation était irrémédiablement compromise et dont il avait connaissance) ;
– Il doit se trouver dans l’un des trois cas qui constituent les exceptions au principe posé par l’article L. 650-1 que la plupart des auteurs n’hésitent pas à qualifier de principe « d’irresponsabilité du créancier » : une immixtion caractérisée dans la gestion, un crédit frauduleux, ou une prise de garanties disproportionnées.
En l’espèce, la Cour de cassation valide l’analyse de la Cour d’Appel qui avait retenu l’immixtion caractérisée du créancier.
En effet, le débiteur était une exploitation agricole qui avait recherché la responsabilité de son principal fournisseur d’aliments pour le bétail. Ce créancier avait en effet transformé des encours de créances successivement en 4 prêts pour des montants significatifs et des taux d’intérêts importants, tout en se garantissant par des prises de sûreté.
La Cour d’Appel retient que, pour chacun des crédits, la charge de remboursement annuel en capital et intérêts excédait les facultés de paiement du débiteur au regard de ses résultats d’exploitation, que le fournisseur connaissait d’ailleurs pour avoir disposé des résultats comptables de l’entreprise.
Ainsi, la Cour caractérisait à la fois l’immixtion dans la gestion et le crédit ruineux, validant les deux séries de conditions et retenant donc la responsabilité du fournisseur au titre d’un soutien abusif.
Toutefois, l’arrêt est cassé sur un autre motif, celui du montant auquel est condamné le fournisseur : en effet, la Cour de cassation rappelle que la responsabilité du créancier, au titre des concours consentis, est limitée à l’aggravation de l’insuffisance d’actif causée par le soutien abusif. En condamnant le fournisseur d’aliments de bétail à hauteur du montant de sa créance déclarée au passif, la Cour d’Appel n’avait pas étudié la question de l’aggravation d’insuffisance d’actif et se trouve donc censurée par la Cour de cassation.
L’arrêt est donc un rappel utile des différents mécanismes de l’action en soutien abusif, qui trouve donc à s’appliquer, en plus des investissements bancaires, à tout créancier/fournisseur qui consentirait des concours au débiteur en procédure collective.
Etienne CHARBONNEL
Associé
Vivaldi-Avocats