Source : Cass. Com., 13 septembre 2016, pourvoi n° 15-11.174 FS-P+B+I.
L’article L. 621-9 du Code de Commerce dispose que le Juge Commissaire peut procéder à la désignation d’un technicien, lorsque cela s’avère nécessaire, dans le cadre d’une mission qu’il détermine.
Le plus souvent, les techniciens ainsi désignés sont des Experts comptables, chargés de « mettre le nez » dans les comptes de la société débitrice et d’y faire la lumière.
La particularité du cas d’espèce est que le dirigeant de droit de la société placée en liquidation judiciaire était poursuivi en sanction, et plus exactement en comblement d’une insuffisance d’actif. La désignation de l’Expert comptable par le Juge Commissaire, sur le fondement de l’article L. 621-9, intervient, à la demande du Liquidateur judiciaire, alors même que l’action en sanction est déjà engagée.
Le dirigeant fait opposition à l’Ordonnance désignant le technicien, laquelle est rétractée par la Cour d’Appel, qui utilise à cette occasion des mots très durs à l’encontre des organes de la procédure collective :
« Si le Juge Commissaire peut, en application de l’article L. 621-9 al. 2° du Code de Commerce nommer un technicien en vue de rechercher des faits susceptibles de révéler des fautes de gestion, ce pouvoir cesse lorsque l’action a été engagée devant le Tribunal, le rapport du technicien n’étant plus destinée à l’information du destinataire et tendant à « sauver » une procédure manifestement vouée à l’échec en obtenant à bon compte les éléments de preuve qui font défaut ; qu’il en déduit qu’une telle pratique n’est pas loyale et détourne les dispositions du texte précité de leur objectif d’information. »
Très clairement, la Cour estimait que le Liquidateur ne disposait pas des preuves suffisantes pour aller rechercher la responsabilité du dirigeant et qu’il avait utilisé le texte permettant la désignation d’un technicien pour que l’Expert comptable procède en ses lieu et place à l’analyse comptable et corrélativement à la recherche de preuves qui manquaient au moment de l’acte introductif d’instance en sanction.
Le liquidateur se pourvoit en cassation à l’encontre de l’arrêt d’appel, critiquant l’arrêt à deux titres :
– Tout d’abord, d’avoir jugé recevable le recours du dirigeant à l’encontre de l’Ordonnance ;
– Ensuite, d’avoir rejeté la demande de résiliation du technicien.
Sur la recevabilité du recours, tout d’abord la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel, estimant que la désignation du technicien affectait les droits et obligations du gérant, au sens de l’article R. 621-21 du Code de Commerce[1] et que le dirigeant était donc bien fondé à exercer un recours.
En revanche, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en ce qu’il a rejeté la désignation du technicien. La Cour se contente d’une application froide de l’article L. 621-9 en rappelant que la faculté pour le Juge Commissaire de désigner un technicien peut s’exercer à tout moment, en vue d’une mission qu’il détermine. Sous-entendu, en rajoutant des critères d’opportunité de la désignation d’un technicien, la Cour d’Appel est allée au-delà de la lettre du texte en en limitant par ailleurs la portée (une limitation dans le temps).
L’arrêt est logique en droit. Pour autant, il n’est pas sans poser un certain nombre de questions, qu’avait retenues la Cour d’Appel pour rejeter la désignation : il appartient en principe au Mandataire de justice d’exercer l’action en sanction à l’encontre du dirigeant. En déléguant la recherche des éléments de preuve à l’encontre du dirigeant, sur les deniers de la procédure collective (alors que le Mandataire est précisément rémunéré pour effectuer cette recherche), il y a en quelque sorte un détournement de la procédure de désignation d’un technicien.
La Cour de cassation a cependant pris soin de réserver à la décision la plus large publication, de sorte qu’il s’agit bien là d’un arrêt de principe qui pourrait donner lieu à une pratique récurrente.
Affaire à suivre, donc.
Etienne CHARBONNEL
Vivaldi-Avocats
[1] Cet article dispose notamment :
« Les ordonnances du Juge Commissaire sont déposées sans délai au Greffe qui les communique au Mandataire de justice et les notifie aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectées. […]
Ces ordonnances peuvent faire l’objet d’un recours devant le Tribunal dans les 10 jours de la communciation de la notification […] ».