Stipulation d’un TEG erroné

Laurent Turon
Laurent Turon

 

SOURCE : Cass 1ère civ, 12 novembre 2016 n° 15-25034 F-PB

 

            I – POUR CEUX QUI ONT RATE LE DEBUT

 

Si le TEG sert de base de calcul pour déterminer le taux usuraire d’un prêt, il en a en dehors de cette fonction, un rôle informatif à l’égard de l’emprunteur, et doit être porté à la connaissance de celui-ci dans certaines conditions[1].

 

Le contrat d’argent n’étant productif d’intérêts qu’en vertu d’une stipulation écrite[2], le TEG doit donc naturellement être mentionné dans cet écrit au visa de l’article L 314-5 (Nouveau) du Code de la Consommation ou de l’article L 313-4 du Code Monétaire et Financier, et ce, même si l’acte de prêt notarié a une finalité professionnelle[3].

 

Cette obligation doit être à nouveau respectée si le taux d’intérêt initialement prévu est augmenté par un acte postérieur accordant une prorogation du délai de remboursement[4].

 

Sur ce point, le texte et la jurisprudence qui s’y réfèrent son clairs. C’est sur le domaine de la sanction que les ambigüités méritent encore d’être dissipées. D’une manière générale, le législateur n’a pas sanctionné le TEG, laissant le soin à la jurisprudence d’en faire son affaire personnelle, sauf en matière de crédit immobilier, dont la sanction est posée par l’article L 312-33 ancien du Code de la Consommation, qui dispose dans son dernier alinéa :

 

« Dans les cas prévus aux alinéas précédents, le prêteur ou le bailleur pourra en outre être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge. »

 

Il ne s’agit donc pas d’une nullité, mais d’une déchéance du droit aux intérêts conventionnels, facultative (« pourra ») avec un curseur de sanction (« déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion (…) »).

 

Ainsi, en dehors du cas spécifique du crédit immobilier, c’est bien le droit commun du contrat qui s’applique.

 

La Cour de Cassation faisant usage des vices du consentement, et plus particulièrement de l’erreur entachant le taux, va procéder à un amalgame des sanctions posées en matière de crédit immobilier pour le transposer sous certaines conditions aux autres prêts à intérêts en jugeant à de nombreuses reprises que l’erreur sur un TEG erroné entraîne la nullité de la stipulation d’intérêts et la substitution du taux de l’intérêt légal au taux de l’intérêt conventionnel[5].

 

C’est cette extension de la sanction applicable au TEG erroné attachée à un crédit immobilier, aux autres prêts à la consommation, qui est source d’ambiguïté pour le grand public et parfois pour certains commentateurs de jurisprudences.

 

En effet, l’extension de la sanction à l’ensemble des contrats de prêt n’est pas une conception totalement prétorienne. Elle repose sur la théorie de l’erreur posée à l’ancien article 1110 du Code Civil ainsi rédigé :

 

« L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. »

 

Il faut donc pour provoquer une sanction qui, pour le coup est totalement prétorienne (substitution du taux d’intérêt conventionnel par le taux d’intérêt légal) démontrer une erreur substantielle, c’est-à-dire déterminante de l’engagement du prêteur.

 

Et cette notion d’erreur substantielle, la Cour de Cassation l’a généralisée à tout litige relatif au TEG erroné, que le prêt soit ou non immobilier.

 

Plus clairement dit, la déchéance du droit aux intérêts conventionnels (et sa substitution prétorienne par le taux d’intérêt légal) étendue à tout prêt assorti d’un TEG erroné, a entraîné une homogénéité dans le traitement de la sanction qui quelle que soit la nature du prêt (immobilier ou pas), suppose de la part de l’emprunteur, la démonstration d’une erreur substantielle à son consentement.

 

Il n’y a donc pas, contrairement à la lecture littérale du texte précité, d’automaticité entre la déchéance du droit aux intérêts et la démonstration d’un TEG erroné. C’est ce que ne cesse de rappeler la Cour de Cassation, et notamment par sa dernière décision commentée.

 

            II – ABSENCE D’AUTOMATICITE ENTRE DECHEANCE DU DROIT AUX INTERETS ET TEG ERRONE

 

La Cour avait dans l’affaire commentée, à statuer sur une erreur de TEG démontrée dans un crédit immobilier. Pour autant, la Cour d’Appel n’est pas censurée, alors qu’elle a par la Haute Cour, refusé d’appliquer la sanction de déchéance du droit aux intérêts conventionnels. Pour approuver la juridiction du second degré, la Cour de Cassation juge :

 

« 1- Que l’erreur entachant le taux effectif global dont la mention est exigée dans un contrat de prêt, est sanctionnée par la substitution du taux de l’intérêt légal au taux d’intérêt contractuel ; que cette sanction est encourue lorsque le taux effectif global est erroné, et que l’erreur porte sur une décimale ; que pour débouter Monsieur et Madame X de leur demande d’annulation du taux effectif global, la Cour d’Appel a considéré qu’il n’était pas établi que le taux effectif global était « totalement erroné » ; qu’en statuant ainsi, tandis que Monsieur et Madame X faisaient valoir que l’erreur de calcul entraînait une différence d’une décimale entre le taux stipulé et le taux réel, la Cour d’Appel a violé l’article L 312-2 et R 313-1 du Code de la Consommation, ensemble l’article 1907 du Code Civil ;

 

2- Que l’erreur entachant le taux effectif global dont la mention est exigée dans un contrat de prêt est sanctionnée par la substitution du taux d’intérêt légal au taux contractuel ; que cette sanction est encourue, dès lors que le taux effectif global est inférieur au taux réellement pratiqué ou supérieur à celui-ci ; que pour débouter Monsieur et Madame X de leur demande d’annulation du taux effectif global, la Cour d’Appel a considéré qu’à supposer acquis que le taux effectif global indiqué soit en réalité supérieur au taux effectif global réel, un tel écart provenant d’un taux erroné par excès ne saurait fonder les prétentions des appelants à l’encontre de son taux effectif global puisque l’erreur n’aurait pas pu avoir comme conséquence que le contrat de l’emprunteur à consentir un coût global finalement supérieur à celui réellement assumé ; qu’en statuant ainsi, tandis que le caractère erroné du taux effectif global qui atteignait la décimale entraînait sa nullité, la Cour d’Appel a violé l’article L 312-2 et R 313-1 du Code de la Consommation, ensemble l’article 1907 du Code Civil.

 

3- Que pour débouter Monsieur et Madame X de leur demande d’annulation du taux effectif global, la Cour d’Appel a considéré que la situation qui bénéficiait à l’emprunteur ne saurait avoir pour conséquence de contraindre la banque à restituer une partie des intérêts payés, une telle sanction paraissant au surplus non proportionnée aux griefs allégués par Monsieur et Madame X, qu’en statuant ainsi tandis que la sanction du caractère erroné du taux effectif global consiste en la substitution du taux de l’intérêt légal au taux d’intérêt contractuel, la Cour d’Appel a violé l’article L 313-2 et R 313-1 du Code de la Consommation, ensemble l’article 1907 du Code Civil.

 

Mais attendu qu’ayant relevé que les emprunteurs arguaient d’un taux effectif global inférieur à celui qui était stipulé, de sorte que l’erreur alléguée ne venait pas à leur détriment, la Cour d’Appel a, sur ce seul motif, à bon droit, statué comme elle l’a fait, que le moyen n’est pas fondé (…). »

 

CQFD : il ne suffit pas de démonter l’existence d’un TEG erroné, il faut que ce TEG ait causé un préjudice ou à tout le moins, soit à l’origine d’une erreur substantielle dans l’engagement de l’emprunteur, ce qui ne pouvait pas être le cas en l’espèce, puisque le contrat de prêt portait sur un TEG inférieur à celui qui avait été annoncé dans l’offre.

 

Cette décision est un rappel doctrinal, puisque la Cour de Cassation a déjà écarté la nullité de la stipulation d’intérêt si l’erreur invoquée :

 

– est inférieure à la décimale prescrite par l’article R 313-1 (ancien du Code de la Consommation[6]) ;

– n’a pas causé un préjudice à l’emprunteur[7].

 

On relèvera à la lecture des décisions communiquées en bas de page, que la jurisprudence sur la notion d’erreur substantielle fait l’objet d’une publication, à la différence de l’application au cas par cas des principes qui font l’objet systématiquement d’arrêts non publiés (FD).

 

Fort logiquement et pour mémoire, s’agissant d’une sanction attachée à nullité, cette nullité peut être couverte dès la connaissance du vice et l’intention de le réparer[8]. Evidemment, il faut que cette reconnaissance intervienne dans des conditions dans lesquelles la connaissance du caractère erroné TEG, apparaissent sans ambiguïté.

 

On relèvera que les modifications apportées par l’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit au consommateur relatif au bien immobilier à usage d’habitation ne sont pas de nature à influencer un bouleversement de la jurisprudence ici commentée.

 

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats

 


[1] Les crédits soumis à cette obligation d’information ne coïncident pas nécessairement avec ceux soumis à la règlementation sur l’usure, ce qui ne facilite d’ailleurs pas le travail de recherche de la volonté du législateur.

[2] Article 1907, alinéa 2 du Code Civil

[3] Cass 1ère civ 22/01/2002, n° 93-13456

[4] Cass com 15/10/1996, bul civ IV, n° 232

[5] Cass 1ère civ 19/07/2007, n° 06-16694 F-PB ou cass com 30/10/2012, n° 11-23034 F-BP

[6] Désormais Code de la Consommation articles R 314-1 à R 314-15), Cass 1ère civ 26/11/ 2014, n° 13-230.33, FD et cass 1ère civ 09/04  2015, n° 14-14.216 FD

[7] Cass 1ère civ 16/09/2010, n° 08-20.550 FD

[8] Cass com 29/03/1994, RJDA 8-994, n° 947 ou cass com 17/09/2013, n° 12-21.951 ou encore cass 1ère civ 15/10/2014, n° 13-17.215

 

 

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