Secret des affaires (ou secret d’affaires) : la transposition de la Directive Européenne en droit français et ses incidences dans les relations commerciales, professionnelles et salariales

Laurent Turon
Laurent Turon

 

SOURCES :

 

Directive 2016-943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et informations commerciales non divulguées contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicite (la Directive) ;

 

Loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires ;

 

Articles L 151-1 à L 154-1 Nouveau du Code de Commerce

 

I – UN DISPOSITIF LEGISLATIF QUI N’A PU ABOUTIR QU’AVEC LA NECESSITE DE TRANSPOSER LA DIRECTIVE AVANT LE 9 JUIN 2018

 

I – 1.

 

Le secret d’affaires est un marronnier du droit régalien français. Il est vrai que le secret a mauvaise presse, dans une société qui a érigé la transparence en vertu cardinale, où la sphère des secrets, qu’ils soient publics ou privés, s’est réduite comme « peau de chagrin », au point que la France n’a jamais été, malgré trois propositions de lois en ce sens, capable de se doter d’une telle législation, avant que la Directive ne lui en fasse l’obligation.

 

A cet égard, la Directive devait être transposée dans les législations nationales des états membres avant le 9 juin 2018, c’est-à-dire que la loi de transposition est intervenue un mois trop tard, dans un contexte où les conditions d’application de la protection du secret des affaires sont soumises selon les dispositions de l’article L 154-1 du Code de Commerce, à la publication d’un Décret en Conseil d’Etat, dont le projet ou la date de parution ne nous sont pas encore connus.

 

            I – 2.

 

Pourtant, la violation du secret des affaires est une réalité de tous les instants. Ainsi, par exemple, en 2005, une étudiante de nationalité chinoise ayant effectué un stage au sein de l’équipementier automobile VALEO, a exporté plusieurs fichiers informatiques confidentiels de ladite société sur son disque dur personnel, en dépit des règles de confidentialité qui avaient été portées à cette connaissance.

 

De la même manière, en 2007, un ancien salarié de l’entreprise MICHELIN, ingénieur de recherches affecté à un centre de recherche classé comme « établissement soumis à un régime restrictif »[1], a collecté un nombre très important de données confidentielles qu’il a ensuite cherchées à vendre à des entreprises étrangères concurrentes directes de MICHELIN. L’une de ces entreprises, la société BRIDGESTONE a averti MICHELIN.

 

Ces deux exemples, bien qu’anciens, sont remarquables en ce qu’ils ont abouti à une situation répressive. Ainsi, l’étudiante chinoise a-t-elle fait l’objet d’une condamnation à un an d’emprisonnement dont 18 mois avec sursis pour abus de confiance par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES, par un jugement du 18 décembre 2007, alors que l’employé indélicat de MICHELIN a quant à lui été condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis et une amende de 5 000 € pour abus de confiance par le Tribunal Correctionnel de CLERMONT-FERRAND dans une décision du 21 juin 2010.

 

Pour autant, l’arsenal juridique français ne permettait pas jusqu’à cette récente loi, de réprimer efficacement ces atteintes au secret des affaires. Avant la directive, les informations économiques sensibles d’une entreprise étaient protégées par un ensemble de textes disparates aux champs d’application et aux finalités variables, dont l’efficacité et la cohérence étaient insuffisantes. Les infractions pénales existantes (cf. supra) apparaissaient en effet inadaptées et les actions en réparation, d’une efficacité limitée.

 

Ainsi, par exemple :

 

– le vol réprimé par l’article 311-1 du Code Pénal est applicable au vol de documents confidentiels, mais pas à celui de l’information confidentielle, en l’absence de soustraction du support matériel des informations ;

 

– l’abus de confiance défini par l’article 314-1 du même Code est plus adapté à la répression de la violation du secret d’affaires, mais ne permet cependant pas de sanctionner efficacement toutes les sanctions de violation d’affaires. En effet il requiert une remise préalable d’une information, laquelle s’inscrit généralement dans ce contexte, dans une relation contractuelle en l’absence d’une telle remise de données confidentielles (c’est-à-dire si l’auteur de la violation au secret s’en est emparé), l’infraction d’abus de confiance ne saurait être constituée ;

 

– le recel qui devrait toucher le bénéficiaire de la violation du secret des affaires, reste peu adapté à la répression de l’atteinte de données confidentielles d’une entreprise, en raison de leur caractère immatériel ;

 

– la livraison d’informations à une puissance étrangère visée aux articles L 411-6 à 411-8 du Code Pénal, et plus généralement les infractions portant atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, sont d’une application délicate. Ainsi, l’étudiante chinoise a-t-elle échappé à cette infraction dans l’affaire MICHELIN. La juridiction correctionnelle de CLERMONT-FERRAND a en effet jugé que le seul classement du centre de recherche concerné en établissant à un régime restrictif, n’induisait pas nécessairement que les éléments essentiels du potentiel économique de la France au sens de l’article 410-1 du Code Pénal étaient concernés, et au contraire, relevait que l’étudiante s’était adressée à trois entreprise étrangères, non pas en raison de leur qualité d’entreprise étrangère, mais de concurrent direct de MICHELIN. On voit ici à quel point l’interprétation stricte d’un texte répressif est sujet à difficultés, notamment lorsqu’il touche des domaines voisins, comme celui du secret des affaires ;

 

– la même observation peut être répétée en ce qui concerne la divulgation d’un secret de fabrique prévu à l’article L 1227-1 du Code du Travail et L 621-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, qui ne permet de sanctionner que les salariés et dirigeants de l’entreprise concernée. De plus, la notion de secret de fabrique est plus étroite que celle du secret d’affaires. Selon la jurisprudence, elle vise les procédés de fabrication, de préparation ou de transformation de matière première en produits finis, offrant un intérêt pratique et commercial et tenu caché aux entreprises concurrentes. Dans l’affaire MICHELIN toujours, le Tribunal Correctionnel a constaté qu’aucune précision concernant le dépôt éventuel d’un brevet sur les informations rassemblées par l’ancien salarié concerné, n’avait été apportée et a prononcé la relaxe pour le délit de révélation du secret de fabrique, alors que ni les textes applicables, ni la jurisprudence intérieure n’exigent que le procédé en cause soit breveté ou brevetable.

 

Ainsi donc, il a été traditionnellement fait le constat que le bouclier juridique sur le secret d’affaires était perfectible, alors que le bouclier judiciaire, laissait quant à lui, franchement à désirer.

 

Tout d’abord, dans le cadre de mesures in futurum (très souvent des expertises judiciaires), le secret des affaires qui n’avait pourtant aucune définition en droit français, a été systématiquement invoqué par l’auteur, d’acte de concurrence déloyale, ou parfois même de contrefaçon, voire par certains associés majoritaires, avec en tout cas, devant les juridictions du fond, un certain succès.

 

Certes, la Cour de Cassation avait (avant la Directive) jugé que le secret des affaires ne constituait pas un obstacle en lui-même à l’application des dispositions de l’article 145 du Code de Procédure Civile, dès lors que les mesures ordonnées procédaient d’un motif légitime, et étaient nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées[2]. Il résultait de ce droit prétorien que le moyen tiré d’un risque de violation du secret des affaires ne constituait pas un obstacle autonome à la mise en œuvre d’une mesure d’instruction in futurum, à charge pour la juridiction d’intégrer dans son appréciation, la légitimité du motif invoqué[3].

 

Mais en l’absence d’une définition précise de ce qui est protégeable ou pas au sens du secret des affaires, les praticiens redoutaient la timidité des juridictions saisies d’une demande d’expertise, qui avaient tendance à rejeter la demande au motif essentiel qu’il appartenait d’abord au demandeur de faire reconnaître la violation d’un droit protégeable, quitte à ce que la juridiction du fond ordonne une mesure d’instruction cette fois-ci au visa des articles 245 et suivants du CPC pour mesurer l’étendue de la violation des droits.

 

En l’absence de mesure in futurum, le risque de déperdition, voire de soustraction des éléments de preuve en cours de procédure judiciaire, était grand, de sorte que pour le coup, le secret des affaires protégeait au-delà de ce qui était souhaitable.

 

Plusieurs groupes de travail avaient cherché à encadrer le secret des affaires. Il peut être fait référence à un groupe présidé par Monsieur Claude MATHON, Avocat Général à la Cour de Cassation, qui avait recommandé de mettre en place un mécanisme de protection s’inspirant de celui applicable aux procédures relevant de l’autorité de la concurrence.

 

En effet, en matière de contrôle des pratiques anti-concurrentielles, la nécessité de protéger le secret des affaires est prise en compte par l’article L 463-4 du Code de Commerce, dont l’alinéa dispose que « sauf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à l’exercice des droits de la défense, d’une partie mise en cause, le rapporteur général de l’autorité de la concurrence peut refuser à une partie la communication ou la consultation de pièces ou de certains éléments contenus dans ces pièces mettant en jeu le secret d’affaires d’autres personnes. Dans ce cas, une version non confidentielle et un résumé des pièces ou éléments en cause lui sont accessibles. »

 

Le décret n° 2009-142 du 10 février 2009 pris en application de l’article L 463-4 du Code de Commerce relatif à la protection du secret des affaires devant l’autorité de la concurrence présente les modalités d’application de ces dispositions aux articles R 463-13 à R 463-15-1 du même Code.

 

Mais la réflexion emporte elle-même ses limites. Ainsi, par exemple, dans une co-entreprise dont les associés, personnes physiques ou morales, développent chacun de leur côté des activités concurrentes, l’associé minoritaire se verra-t-il opposer par l’associé majoritaire avec qui il demande des comptes, le secret d’affaires, avec en fonction du Magistrat chargé de recevoir l’argumentation, une acceptation plus ou moins forte du moyen, voire des juridictions qui considéraient que le défaut de publication des comptes sociaux (pourtant obligatoire) ne pouvait pas être invoqué par un tiers lorsque ce défaut de publication cherchait à protéger un secret d’affaires (ici les résultats de l’entreprise).

 

Il faut comprendre de la lecture de ce qui précède que l’appréciation du secret des affaires s’inscrivait dans le cadre d’une appréciation très subjective, source d’aléas et d’insécurité juridique tout à fait inacceptables, de sorte que l’on s’interroge encore aujourd’hui sur la raison pour laquelle la France a tardé à légiférer sur ce domaine.

 

II – LA DIRECTIVE ET L’EVOLUTION DU DROIT PRETORIEN

 

            II – 1.

 

C’est finalement une fois de plus l’Europe qui va permettre à la France de sortir du carcan dans lequel elle s’était enfermée, par la publication de la Directive, qui définit le secret d’affaires comme suit :

 

« 1) «secret d’affaires», des informations qui répondent à toutes les conditions suivantes: a) elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exact de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles, b) elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes, c) elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes ».

 

La Directive invite par son article 11, § 2, les Etats membres à mettre en place une réglementation permettant aux juridictions de déroger au secret d’affaires en évaluant « son caractère proportionné » en fonction des circonstances particulières de l’espèce et notamment « les intérêts légitimes des tiers » (11, § 2.G).

 

La 1ère Chambre Civile va être le premier à tirer parti de cette définition européenne du secret des affaires, pour l’intégrer dans son droit prétorien[4] qui dès 2012, dans une espèce mettant en jeu le secret de la vie privée, avait affirmé que le recours à la mesure in futurum restait possible, mais l’accès à la pièce dont il était demandé communication devait être indispensable à l’exercice du droit de la preuve, dans un contexte où la mesure prescrite devait être proportionnée aux intérêts en présence (la Directive ne dit rien d’autre)[5].

 

La même Chambre invitait les juridictions du fond à rechercher si les mesures d’instruction[6] « confiées à un tiers soumis au secret professionnel n’étaient pas proportionnées au droit des sociétés alliances d’établir la preuve d’acte de concurrence déloyale attribué à l’agent général et à la préservation du secret d’affaires des sociétés GAN (…). »

 

Un éminent auteur[7] écrivait en commentant cette décision :

 

« La solution est ici nouvelle en ce qu’elle étend cette approche proportionnelle au secret d’affaires issant ainsi ce secret au rang des motifs légitimes susceptibles de s’opposer aux mesures d’instruction in futurum. Plus précisément, l’approche qui est préconisée par la Cour de Cassation est celle de la balance entre les intérêts en présence. En l’espèce, la société concurrente avait proposé à la Cour d’Appel en lieu et place de la communication des « fichiers clients » une mesure d’instruction confiée à un tiers soumis au secret professionnel. L’opposition aux mesures imposées par le Juge de première instance était donc constructible. Cette mesure semblait en effet permettre l’équilibre entre la manifestation de la vérité et le secret d’affaires (…). »

 

Et il faut reconnaître que pour la première fois, une norme sous forme de balance entre la légitime protection du secret des affaires, et le droit tout aussi légitime à avoir accès à des informations aux fins de protection de ces propres droits, était mise en place, selon des principes directement inspirés de l’article 2 de la Directive.

 

            II – 2.

 

C’est cette balance posée par la Directive qui est reprise par la loi, à l’aide de ses article L 151-1 à L 154-1 créés pour l’occasion.

 

III – LE DISPOSITIF LEGISLATIF SUR LA PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES

 

Le dispositif passe par une définition cette fois-ci claire du secret d’affaires (III-1), avant d’aborder les conditions d’obtention (licites ou illicites) du secret des affaires (III-2), et de mettre en place des exceptions au secret (III-3), pour ensuite aborder l’action en prévention, en cession ou réparation d’une atteinte au secret (III-4), et en terminer par la préservation du secret des affaires dans le cadre d’une instance judiciaire qui devrait nettement clarifier les échanges à ce sujet (III-5).

 

            III – 1. Qu’est-ce qu’une information couverte par le secret des affaires ?

 

La définition est posée par l’article L 151-1 du Code de Commerce, qui reprend celle donnée par la Directive. Pour être protégée, une information

 

ne doit pas être en elle-même dans la configuration et l’assemblage exact de ses éléments, généralement connus ou aisément accessibles pour les personnes familières de ce type d’informations, en raison de leur secteur d’activité ;

 

doit revêtir une valeur commerciale effective ou potentielle du fait de son caractère secret ;

 

faire l’objet de la part de son détenteur légitime, de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances pour en conserver le caractère secret.

 

Peuvent ainsi être couverts par le secret des affaires, une simple connaissance technologique, un savoir-faire, des données commerciales relatives aux clients, aux fournisseurs, au coût d’étude et de stratégie de marché, transmis quel que soit le support (écrit, verbal ou dématérialisé).

 

Il faut encore s’interroger sur l’obligation pour son détenteur de mettre en place des procédures de protection raisonnables. Doit-on considérer dans ces conditions que le détenteur imprudent ne sera plus protégé au motif que sa défaillance doit être assimilée à la divulgation d’informations au public. Le débat méritera d’être approfondi par les juridictions du fond et la Cour de Cassation.

 

            III – 2. L’obtention d’informations couvertes par le secret des affaires

 

                        III – 21. L’obtention d’informations secrètes de manière licite

 

C’est ici une nouveauté posée par l’article L 141-151-3 du Code de Commerce. Le secret des affaires pourra être licitement obtenu lorsqu’il résulte d’une part, d’une découverte ou d’une création indépendante, ou d’autre part, d’un procédé d’ingénierie inverse, c’est-à-dire de l’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui aurait été mis à la disposition du public, ou qui sera de façon licite en possession de la personne qui obtiendra l’information.

 

Il semble désormais aujourd’hui légalement possible d’acheter des produits concurrents, de les démonter, aux fins d’en observer ses composants technologiques, et éventuellement mesurer l’avantage concurrentiel qu’il procure.

 

Le texte n’est cependant pas d’ordre public, et autorise des stipulations contractuelles contraires, de sorte que les producteurs et industriels sont invités à modifier leurs Conditions Générales de Ventes, intégrant des stipulations limitant l’obtention du secret par de tels procédés.

 

                        III – 22. L’obtention d’informations secrètes de manière illicite

 

L’obtention du secret illicite ne se résume pas aux actes qualifiés généralement de concurrence déloyale et ou d’espionnage industriel. L’obtention d’un secret d’affaires est illicite, dès lors qu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur et qu’elle résulte (article L 151-4 du Code de Commerce) :

 

– d’un accès non-autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ;

 

– de tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyales et contraires aux usages en matière commerciale.

 

De la même manière, l’utilisation et la divulgation d’un secret des affaires non autorisées, sont sanctionnées au visa de l’article L 151-5 alinéa 1 avec en toile de fond, l’introduction régalienne de la théorie de la connaissance obligée, qui sanctionne le bénéficiaire du récipiendaire d’une information couverte par le secret des affaires dans tout contexte où il aurait dû savoir, au regard des circonstances, que ce secret, avait été obtenu directement ou indirectement d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite (L 151-6 du Code de Commerce).

 

Ce dernier texte est un pas important fait dans la protection du secret des affaires, puisque l’acquéreur d’une information qu’il sait couverte par le secret des affaires au regard de la définition qu’en donne le législateur, devra s’enquérir auprès de la personne de laquelle il reçoit cette information, des conditions dans lesquelles il a obtenu cette information et de la légitimité de cette acquisition, et plus clairement encore du droit qu’il dispose à transmettre cette information.

 

            III – 3. Les exceptions au secret des affaires

 

                        III – 31.

 

Il n’y a pas de secret d’affaires à chaque fois que la divulgation impose ou est autorisée par le droit de l’Union Européenne, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national, notamment dans l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives (article L 151-7 du Code de Commerce).

 

L’exception apparaît logique, mais pour les praticiens, peut être sujet à critiques.

 

Ainsi, par exemple, toute entreprise doit-elle spontanément répondre aux demandes de la DGCCRF ou de la DDRP, à défaut, l’entreprise ou le dirigeant est passible des peines de l’article L 450-8 du Code de Commerce, qui punissent d’emprisonnement de deux ans et d’une amende 300 000 € le fait pour quiconque de s’opposer de quelque façon que ce soit à l’exercice des fonctions, dont les agents mentionnés à l’article L 450-1 du même Code, sont chargés en application du présent Livre (Livre IV) ont enquêté sur les conditions d’application des dispositions des titres II et III du Livre IV du Code de Commerce consacré à la liberté des prix et de la concurrence.

 

La difficulté tient à l’utilisation de ces informations dont la transmission est obligatoire devant d’autres juridictions qui obéissent à d’autres droits, et notamment les juridictions pénales devant lesquelles les traités internationaux, le droit européen et même le Code Pénal, protègent le droit au silence d’une part, et celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination, d’autre part.

 

La juridiction pénale peut-elle prendre en compte dans le cadre de son dispositif répressif, les faits transmis par ses administrations ou autorités administratives ? Le débat n’a pas encore été clairement posé devant la Cour de Cassation, mais mériterait de l’être.

 

                        III – 32.

 

Le texte opère également une hiérarchie des places en rang supérieur, la liberté d’information, qui priment le secret des affaires lorsqu’il s’agit de révéler dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lorsque lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (loi Sapin 2).

 

                        III – 33.

 

La loi réserve enfin le droit des salariés et de leur représentant dont le secret des affaires ne leur est pas opposable, lorsqu’ils auront obtenu une information protégée dans le cadre de leur droit d’être informé ou consulté. Il en est ainsi lorsque les salariés auront divulgué une information protégée les représentant dans le cadre de l’exercice légitime de ces derniers, de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice. Et sur ce point, on devine que la Chambre Commerciale et la Chambre Sociale n’auront pas la même définition des limites au droit des salariés à divulguer des informations obtenues dans le cadre des conseils d’administration au point que l’on peut se demander si ce texte ne va pas complètement abolir l’obligation au secret et à la confidentialité auxquels est tenue chaque personne présente dans un Conseil d’administration, en ce compris les représentants du personnel.

 

            III – 4. Les actions en prévention, en cessation ou en réparation d’une atteinte au secret

 

                        III – 41.

 

L’article L 152-3 I autorise le Juge (vraisemblablement le Juge des référés) qui peut :

 

interdire la réalisation et la poursuite des actes, utilisations ou divulgations du secret ;

 

interdire les actes de production, d’offre, de mise sur la marché ou d’utilisation de produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret d’affaires ou l’importation, l’exportation ou le stockage de tels produits à ces fins ;

 

ordonner la destruction totale ou partielle de tous documents, objets, matériaux, substances ou fichiers numériques contenant le secret d’affaires concerné ou dont il peut être déduit, ou selon le cas, ordonné la remise totale ou partielle au demandeur.

 

En pratique, le texte sera d’application restreinte, tant il est rare que le recéleur d’une information couverte par le secret d’affaires décide de l’utiliser sur la place publique.

 

Bien évidemment, la publicité portée à cette information couverte par le secret des affaires ne pourra pas être utilisée par le receleur dès lors qu’il a lui-même divulgué cette information couverte par le secret des affaires (article L 151-4 alinéa 2), mais en revanche, toutes les personnes qui ont eu accès à la publicité de cette information ne sont pas concernées par cette interdiction, de sorte que l’on voit bien à quel point, cette procédure sera rare et finalement de peu d’intérêt.

 

C’est la raison pour laquelle l’article L 151-2-5 du Code de Commerce prévoit la substitution des mesures préventives à une indemnité et c’est sur ce point que le législateur a fait un pas sérieux dans l’amélioration de la réparation du préjudice qui doit être évalué en tenant compte (article L 152-6) des éléments suivants :

 

– les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;

 

– le préjudice moral causé par la partie lésée ;

 

– les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissement intellectuel, matériel et promotionnel que celui-ci a retiré de l’atteinte.

 

En intégrant les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires dans le périmètre de l’évaluation de la préparation du préjudice subi par la victime, le législateur franchit un pas vers les dommages et intérêts punitifs.

 

En effet, jusqu’à présent, le droit régalien et le droit prétorien s’entendaient pour une réparation strictement limitée au préjudice subi par la victime qui pouvait être sans rapport avec le gain dégagé par le recéleur d’une information soumise au secret des affaires.

 

Par exemple, une entreprise en difficulté qui imagine un procédé susceptible de lui permettre de rebondir, aura-t-elle les plus grandes peines à établir son préjudice sur la base d’un simple manque à gagner, si l’auteur de la violation est un de ses grands concurrents, en plein santé financière, qui ne manquera pas de souligner que la déconfiture de son concurrent tient plus à la mauvaise gestion de l’entreprise, qu’à l’utilisation d’un secret d’affaires.

 

Dans le cadre de ce nouveau dispositif, le Juge pourra s’extraire du carcan de la perte du chiffre d’affaires ou du manque à gagner subi par la victime, et pourra calculer l’indemnisation sur les bénéfices réalisés par l’auteur de l’infraction, en ce compris l’économie en recherche et développement.

 

Bien que peu mis en avant par la doctrine qui commente ce nouveau dispositif législatif, ce mode de calcul du préjudice semble pour notre part, être un point fondamental et novateur, dans la réparation du préjudice, qui mérite systématiquement d’être utilisé.

 

Mieux encore, le Juge peut à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tiendra notamment compte du droit qui aurait été dû si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret d’affaires en question (article L 152-6 alinéa 5). C’est ici une clé remarquable dont l’utilisation pourra être facilement utilisée par nos Magistrats, qui peinent souvent à évaluer le préjudice d’une victime, au regard du dispositif actuel.

 

                        III – 42.

 

Enfin, autre nouveauté qui déroge à l’article 32-1 du Code de Procédure Civile qui sanctionne les procédures abusives ou dilatoires, mais qui de fait, est quasiment inutilisée par les juridictions qui autorisent le Juge à condamner toute personne physique ou morale qui agira de manière dilatoire ou abusive sur le fondement du nouveau régime, à le condamner au paiement d’une amende civile, mais également à réparer le préjudice subi par la victime à des dommages et intérêts (article L 152-8).

 

Le montant de cette amende ne pourra pas être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts. En l’absence d’une telle demande de la part de la victime, l’amende pourra ne pas excéder 60 000 €.

 

III – 5. Le secret des affaires et la procédure judiciaire

 

Le besoin de réglementer la communication des pièces devenait un point crucial du contentieux des affaires.

 

Tout d’abord, le Juge pourra désormais, à l’aide de la définition du secret des affaires posée par les textes précités, qualifier une information de manière objective, c’est-à-dire selon les critères posés par la loi, une information en déclarant au regard de ces critères, si elle est couverte ou pas par le secret des affaires.

 

Ensuite, le texte (article L 153-1) autorise lorsqu’une information est reconnue comme étant couverte par le secret des affaires, de désigner un tiers qui seul prendra connaissance (en dehors de la partie plaignante) de cette information, afin de déclarer s’il y a lieu d’appliquer l’une des mesures ci-après reprises :

 

– décider de limiter la communication et la production de cette pièce à certains de ces éléments, en ordonner la communication et la production sous une forme de résumé ou restreindre l’accès pour chacune des parties, au plus à une personne physique et à une personne habilitée à l’assister ou à la représenter (dispositif classiquement retenu dans le cadre du droit processuel pendant devant la Cour de l’Union Européenne) ;

 

– décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en Chambre du Conseil ;

 

– adapter la motivation de sa décision et les modalités de publication de celle-ci ou nécessité de protection du secret des affaires.

 

Il faut comprendre de ce dispositif qu’évidemment le secret des affaires sera protégé, mais comme il est protégé, le Juge n’hésitera plus à ordonner dans le cadre du débat contradictoire la communication de tel ou tel élément, si les informations qu’il détient sont nécessaires à la manifestation de la vérité.

 

A y regarder de près, le texte aura un effet inverse de ce qui est aujourd’hui constaté : le Juge ordonnera plus facilement la communication de certaines pièces, puisque désormais ce droit à communication est encadré.

 

Cet encadrement s’impose également aux parties, qui seront alors tenues à une obligation de confidentialité. En effet, toute personne ayant accès à une pièce ou au contenu d’une pièce considérée par le Juge comme étant couverte ou susceptible d’être couverte par le secret des affaires, sera tenue à une obligation de confidentialité, lui interdisant toute utilisation ou divulgation de cette information (article L 153-2 alinéa 1). Cette obligation perdurera au-delà du procès, jusqu’à ce qu’elle soit considérée comme publique ou qu’une décision autre écartera la protection du secret des affaires.

 

Ainsi donc dans le cas du contentieux, le secret des affaires est-il protégé à trois niveaux :

 

le premier tient à l’encadrement de la transmission d’informations soumises par le secret des affaires ;

 

le second tient à la rédaction même du jugement dont les attendus éviteront soigneusement (dès lors que la décision a vocation à être publiée) tout élément susceptible de trahir ce secret des affaires ;

 

avec en corollaire une obligation des parties à conserver ledit secret, qui ont eu connaissance dans le cadre de cette procédure, de ce secret, à le conserver, sauf à souffrir des sanctions prévues par le texte en cas de divulgation d’une information couverte par le secret des affaires.

 

Eric DELFLY

VIVALDI-AVOCATS


[1] Conformément à l’instruction interministérielle n° 486 du 01 /03/1993 sur la protection du patrimoine scientifique et technique dans les échanges internationaux.

[2] Cass civ 2ème Ch. 07/01/1999, bul 1999 II, n° 4, n° 95-12984 ou 2ème civ 25/05/2000, n° 97-17-768 ou enfin 2ème civ 08/02/2006, bul 2006 II n° 44 n° 05-14198

[3] Voir en ce sens cass 2ème civ 14/03/1984, n° 82-16076 et 82-16876 ou cass com 05/01/1988, bul 1988 IV n° 7, pourvoi n° 86-15322

[4] Jusqu’alors seule la 2nde Chambre spécialisée dans le droit processuel et la Chambre Commercial en avait fixé les contours de façon approximative.

[5] Cass. 1ère civ. 05/04/2012, n° 11-14177, bull. civ. I n° 65

[6] Cass. 1ère civ. 22/06/2017, n° 15-245, publié au bull.

[7] Géraldine GOFFAUX-CALLEBAUT, « Le secret d’affaires enfin pris en compte face aux mesures d’instructions in futurum », bull. Joly Société novembre 2017, p 657 et suivantes

 

 

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Vivaldi Avocats