Revirement de jurisprudence – Faute inexcusable de l’employeur : la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

Judith Ozuch
Judith Ozuch

La Cour de cassation élargit le périmètre d’indemnisation des victimes d’AT/MP en cas de faute inexcusable de l’employeur en considérant que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Par ce revirement, la Cour de cassation accepte dorénavant que les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles obtiennent une réparation pour les souffrances physiques et morales endurées après consolidation sans qu’il soit besoin de prouver que la rente perçue ne couvre pas déjà ces souffrances.

Sources : Cour de cassation, Assemblée plénière, 20 janvier 2023, Pourvoi n° 21-23.947, Publié au bulletin et n°20-23.673

La Cour de cassation élargit le périmètre d’indemnisation des victimes d’AT/MP en cas de faute inexcusable de l’employeur en considérant que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Par ce revirement, la Cour de cassation accepte dorénavant que les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles obtiennent une réparation pour les souffrances physiques et morales endurées après consolidation sans qu’il soit besoin de prouver que la rente perçue ne couvre pas déjà ces souffrances.

Dans deux affaires similaires, les salariés sont décédés des suites d’un cancer des poumons après avoir inhalé des poussières d’amiante. Les caisses d’assurance maladie ont pris en charge les pathologies au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.

Les ayants droit ont saisi une juridiction de Sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Pour qu’une faute inexcusable de l’employeur soit reconnue, le salarié doit démontrer :

  • que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié,
  • et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver[1].

La faute inexcusable permet alors l’indemnisation de différents préjudices et la majoration à son maximum d’une rente versée par la CPAM.

Depuis l’année 2009, la Cour de cassation juge que la rente versée à la victime d’un accident du travail indemnise :

  • d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle,
  • d’autre part, le déficit fonctionnel permanent[2].

La Haute juridiction considérait que la victime qui percevait une rente d’accident du travail ne pouvait obtenir une réparation distincte au titre des souffrances physiques et morales qu’à la condition qu’il soit démontré que celles-ci n’ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent[3].

Avec ces deux arrêts en date du 20 janvier 2023, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et énonce que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

La Haute juridiction explique sa décision au regard de trois arguments :

  1. La jurisprudence précédente ne se conciliait pas avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d’incapacité permanente défini à l’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.
  2. Il apparait que les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n’indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.
  3. Enfin, cette nouvelle position de la Cour de cassation permet un rapprochement avec la jurisprudence du Conseil d’État qui juge que la rente d’accident du travail vise uniquement à réparer les préjudices subis par le salarié dans le cadre de sa vie professionnelle[4].

La Cour juge désormais que « la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ».

On ne peut ainsi qu’encourager les entreprises à souscrire une assurance faute inexcusable de l’employeur et à vérifier les montants de couverture.


[1] Cour de cassation, Chambre sociale, 28 février 2002, n° 00-11.793

[2] Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 mai 2009, n° 08-86.050 et n° 08-86.485 et Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 11 juin 2009, n° 08-17.581 et n° 07-21.768 et n° 08-16.089

[3] Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 28 février 2013, n° 11-21.015

[4] Conseil d’état Contentieux, 8 mars 2013, n° 361273 et 4e-5e s.-sect. réunies, 23 décembre 2015, n° 374628, et CE, 5e ch., 18 octobre 2017, n° 404065.

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