Revendication, inventaire du patrimoine du débiteur et charge de la preuve.

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

Source : Cass. Com., 25 octobre 2017, pourvoi n° 16-22.083 F-P+B.

 

Tout créancier sait désormais qu’il lui appartient de déclarer sa créance à l’ouverture d’une procédure collective.

 

En revanche, l’action en revendication est moins connue et fait encore l’objet de nombreuses erreurs de la part des créanciers.

 

En effet, à compter de la publication au BODACC du jugement d’ouverture, le tiers propriétaire de biens se trouvant en possession du débiteur, dispose d’un délai de 3 mois pour présenter sa demande d’acquiescement en revendication.

 

C’est-à-dire faire reconnaître son droit de propriété sur les biens présents dans le patrimoine de la société.

 

En cas d’acquiescement du débiteur (ou de l’organe habilité à répondre), pas de difficulté : le droit de propriété du tiers est bien reconnu et est opposable au débiteur. En revanche, en cas de défaut d’acquiescement, du fait d’une réponse négative ou d’une absence de réponse, le tiers revendiquant est alors tenu d’introduire la phase contentieuse de la revendication, par la présentation d’une requête au Juge Commissaire.

 

L’article L. 624-16 du Code de Commerce pose les conditions de cette revendication :

 

«   Peuvent être revendiqués, à condition qu’ils se retrouvent en nature, les biens meubles remis à titre précaire au débiteur ou ceux transférés dans un patrimoine fiduciaire dont le débiteur conserve l’usage ou la jouissance en qualité de constituant.

 

Peuvent également être revendiqués, s’ils se retrouvent en nature au moment de l’ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété. Cette clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison. Elle peut l’être dans un écrit régissant l’ensemble des opérations commerciales convenues entre les parties […]. »

 

La condition principale posée par le texte est le fait que les biens revendiqués doivent se retrouver en nature dans le patrimoine du débiteur.

 

La Cour de cassation a posé le principe selon lequel il appartenait bien au tiers revendiquant de justifier de l’existence en nature des biens. Cependant, elle a également mis en avant une exception : il s’opère un retournement de la charge de la preuve lorsque l’inventaire du patrimoine du débiteur, prévu par l’article L. 622-6 du Code de Commerce, n’a pas été réalisé. En effet, il est alors particulièrement compliqué pour le tiers, qui par définition est… un tiers, de connaître le patrimoine de son débiteur. S’il ne dispose même pas de l’inventaire, autant dire que la démonstration de la présence en nature des biens est impossible. De sorte que la Cour de cassation a posé la solution selon laquelle cette défaillance dans la production de l’inventaire, qui tient somme toute à une défaillance des organes de la procédure, devait se retourner contre ces derniers, par une inversion de la charge de la preuve[1].

 

L’arrêt ici commenté vient ajouter une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel. En effet, au cas d’espèce, l’inventaire avait été réalisé, mais les Juges du fond ont estimé que cet inventaire était sommaire, incomplet et/ou inexploitable. La précédente jurisprudence sur le sujet ne visait, en suite de l’article L. 622-6, que l’absence d’inventaire, pour opérer un retournement de la charge de la preuve.

 

S’est ici posée la question d’un retournement identique, en cas non plus d’un inventaire manquant, mais simplement d’un inventaire incomplet. La Cour de cassation valide, comme pour l’absence d’inventaire, le retournement de la charge de la preuve.

 

Il faut vraisemblablement comprendre que, si les organes de la procédure collective étaient défaillants en cas d’absence d’inventaire, ils le sont tout autant lorsque l’inventaire est inexploitable, de sorte qu’ils doivent être « sanctionnés » de la même manière par le retournement de la charge de la preuve, sans que le tiers revendiquant n’ait plus à démontrer la présence dans le patrimoine des biens revendiqués.

 

La solution, si elle est juridiquement discutable (en vertu du principe selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur), la solution a le mérite du pragmatisme. En effet, et au risque de se répéter, le tiers n’est qu’un tiers et doit pouvoir, pour prouver la présence en nature dans le patrimoine du débiteur des biens qu’il revendique, s’appuyer sur des documents objectifs. S’il ne dispose pas du document « de base » qu’est l’inventaire, dont le caractère obligatoire est posé par le Code du Commerce, il est particulièrement compliqué pour lui de faire valoir ses droits, de sorte que même si la solution peut paraître « bancale » juridiquement, elle semble mériter l’approbation.

 

Etienne CHARBONNEL

Associé

Vivaldi-Avocats



[1] Voir par exemple, Cass. Com., 1er décembre 2009, pourvoi n° 08-13.187.

 

 

 

 

 

 

 

 

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